Accueil > Empire et Résistance > Ingérences, abus et pillages > Esclavage version 2011 en Argentine :le secteur agricole sous surveillance
Plusieurs cas d’exploitation d’ouvriers agricoles dont des enfants, vivant dans des conditions indignes ont été découverts ces derniers jours en Argentine. Montrées du doigt certaines grandes entreprises sans scrupules du secteur agricole comme Nidera.
Le 30 décembre dernier, dans la province de Buenos Aires, dans une propriété à l’accès difficile, liée à la multinationale Nidera, qui faisait l’objet d’un contrôle pour évasion fiscale (estimée à 260 millions de pesos), ont été trouvés 133 travailleurs –adultes et 30 enfants et adolescents- venant du Nord de l’Argentine.
Ils vivaient dans des sortes de caravanes de tôle par vingt dans des conditions effrayantes : travaillant dix heures par jours, vivant sans eau , sans électricité, sans sanitaires, ils ne savaient même pas où ils se trouvaient, ne pouvaient sortir de la propriété, et était retenue sur leur salaire –dont ils ne connaissaient pas vraiment le montant- la nourriture que l’entreprise leur vendait à des prix exorbitants.
Ces conditions de servitude digne d’un autre temps ont suscité un vif émoi dans le pays, et posent crûment la question des droits de travailleurs saisonniers. Le recrutement de personnes très pauvres dans de Nord du pays, avec la promesse de travailler à la récolte de maïs dans la province de Buenos Aires dans une grande entreprise pour un bon salaire.
Transportés en bus directement, une fois arrivés, il était interdit aux ouvriers agricoles de sortir de la propriété. La menace était simple, si l’un d’eux abandonnait son poste, tous retournaient à leur village sans salaire. Le Procureur de la République saisit de l’affaire a confirmé que ces gens ne savaient pas dans quel endroit ils se trouvaient.
Le groupe Nidera est une multinationale, leader sur le marché argentin des semences et principale exportatrice d’huiles, céréales et oléagineux. Il représente à lui seul 10% du total des exportations argentines pour ces produits. En 2010, ce fut le sixième exportateur de céréales (après Cargill, Bunge, ADM, Dreyfus y Toeper) et le 7ème pour les produits dérivés et huiles. Nidera est leader sur les semences soja et tournesol, numéro deux sur le maïs et troisième sur le blé. Il est également présent dans le fret maritime, et dans des sociétés de garanties financières. Selon la revue Mercado, en 2009 Nidera Argentina a facturé 3,500 milliards de pesos, se plaçant au 47 ème rang des entreprises argentines.
Cette société originaire des Pays-Bas – son nom vient des initiales des grands marchés où elle œuvrait (Netherlands,India, Deutschland, England, Russie et Argentine) s’est installée en Argentine en 1929. Mais malgré cette carte de visite, Nidera n’en est pas moins sous surveillance.
Elle paye 1 dix millième de son CA en impôt sur les bénéfices, autant dire pas grand chose et l’AFIP lui réclame 260 millions de pesos pour évasion fiscale. Soupçon d’évasion fiscale qui touche aussi les trois autres principaux exportateurs de créréales Bunge, Cargill, Molinos Ríos de La Plata .
Comme le dénonce Horacio Verbitsky dans Pagina 12, le 9 janvier dernier, la comptabilité de Nidera est pour le moins créative, et se base sur trois éléments : factures de fournisseurs inexistants, commerce triangulaire et personnel non déclaré, ainsi l’entreprise échapperait-elle à quatre impôts différents « rétention sur exportation, bénéfices, tva et charges sociales) , et l’ AFIP de dénoncer une organisation qui se charges de fournir des fausses factures à diverses entreprises.
Et le journal Pagina 12 d’expliquer que Nidera contrôle, par exemple, Concordia Agritrading PTE Ltd, de Singapour, où sont dirigées 90 % de ses exportations de céréales argentines , selon ses déclarations aux douanes. Or, il semble que le chargement va au Brésil, Chine, Espagne, Inde et Pérou, sans passer par Singapour. L’impôt sur les bénéfices à Singapour est de moitié celui de l’Argentine : 17 contre 35 %. C’est ainsi qu’on peut comprendre que la société paye très peu d’impôts sur les bénéfices en Argentine, d’autant qu’elle comptabilise une grande partie de ses ventes comme étant des produits transformés, où les cours ne sont pas connus contrairement aux matières premières, et pas soumis à l’impôt sur les exportations.
Bref à cela, il faut ajouter, comme l’explique l’article de Pagina 12, les liens qu’entretient Nidera avec l’oligarchie du Campo et la presse conservatrice. Parmi les actionnaires minoritaires de Nidera Argentina , on trouve Rolgra Inversora SA, présidée par Raúl Simón Loeb, président de la chambre de commerce argentine pour le Sud Est asiatique ; Nidera organise différents concours avec les Ecoles d’agronomie et le soutien de certains groupes de presse ; c’est l’ un des principaux exposants d’ Expoagro, dans la société actionnaire duquel on retrouve les journaux Clarín et La Nación.
Or les deux journaux sont dans le déni des conditions de servitude dans lesquelles travaillaient les 133 ouvriers agricoles de Nidera. La règle du travail agraire impose depuis 2008, un nombre d’heures maximum par jour et semaine, et réglemente le paiement des heures supplémentaires, jours fériés et dimanches. Mais les représentants des organismes patronaux du secteur comme Sociedad Rural, CRA, Federación Agraria y CONINAGRO font de la résistance.
Pourtant, le plus surprenant, est que le président de Nidera global, Martin Mayer Wolf, est un des soutiens de l’Ong de « Acion International », qui aide les gens à sortir de la pauvreté par l’insertion et le travail partir de leur propre travail, en s’appuyant sur le micro crédit.
Aujourd’hui le groupe Nidera nie les faits qui lui sont reprochés concernant les 133 ouvriers agricoles : ceux-ci auraient bien des contrats de travail – y compris ceux qui sont mineurs- de travailleurs saisonniers qui auraient été transmis à l’AFIP et donc ne seraient pas clandestins, et vivaient et travaillaient dans de bonnes conditions.
Pourtant le Procureur de San Nicolás, Rubén Darío Giagnorio est intervenu au titre de l’article 140 du code pénal argentin qui punit de prison de trois à quinze ans la réduction et le maintien d’une personne en état servitude ou de conditions analogues.
Pour les observateurs, jusqu’à ce que le procureur se saisisse de l’affaire, Nidera s’était peu préoccupée de savoir si ces travailleurs se trouvaient dans une situation légale. Les entreprises une fois dans l’œil du cyclone se pressent de présenter les dits documents. Contrats ou pas, il n’en demeure pas moins que les conditions de vie de ces ouvriers agricoles étaient déplorables et indécentes, à commencer par les conditions sanitaires.
Selon la justice, d’autres entreprises dans la région, présentent des faits similaires. Selon Telam, quelques jours après ce fut 120 ouvriers dont des enfants, dans la localité de Ramallo, dans l’estancia Santa Celestina, propriété de Status Ager SA, qui ont été trouvés également dans des conditions de travail et de vie indécentes.
Dans un autre secteur, à San Rafael (Mendoza) cinq enfants boliviens travaillant dans des fours de briqueterie, à la suite de nouveau contrôle, alors qu’on avait déjà trouvé en novembre dernier 7 travailleurs clandestins mineurs dans la même zone. Autre cas, 34 personnes dont six mineurs ont été trouvés dans un atelier clandestin de vêtements dans des conditions terribles d’insalubrité, travaillant de 7 à 19h du lundi au samedi, pour les marques Riffle Dening Manufactured, Riffle Jeans et Vanderholl.
Mais c’est le secteur agricole qui reste le plus coutumier du fait semble t-il. D’autant que comme le soulignait dans Telam , le ministre du travail argentin « depuis 30 ans les conditions du travail agricole n’ont cessé de se dégrader, et ce n’est pas en sept ans qu’on peut renverser la situation, mais nous avançons ».
En juin dernier, un projet de loi a été présenté pour réformer le régime du travail agricole, celui en vigueur datait de Videla , établissant trois types de contrat.
El Correo, 11 janvier 2011
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