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« Capitalisme cognitif », software libre et matrice productive
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Durant la dernière semaine de mai a eu lieu à Quito le « Sommet du Bon Savoir », où ont été débattues des propositions sur des politiques publiques pour promouvoir une économie qui, au lieu d’être basée sur des ressources limitées, le soit sur d’autres bases infinies, comme la connaissance.
Tout au long de l’histoire, les biens communs ont eu tendance à être enfermés, appropriés, brevetés. En Europe, à la fin du Moyen Âge, les terrains communs qui ont été clos au bénéfice de quelques uns. Plus près de nous dans le temps, la connaissance commune allait souffrir d’un processus similaire : connaissances médicinales, récits et même les gènes ont été enserrés au moyen de brevets. Et ces dernières années, jusqu’aux relations personnelles, comme l’amitié, ont été empaquetées par les réseaux sociaux pour les transformer en un formidable business. L’approfondissement de ce phénomène a amené à ce qui aujourd’hui s’appelle le « capitalisme cognitif » c’est-à-dire une forme d’accumulation économique basée davantage sur la vente de brevets, licences, technologie, produits culturels et autres formes de connaissance que sur la production de biens.
Ce recul constant des « communs » a quelques exceptions. L’une des plus récentes et d’une croissance importante, a été le software libre (SL) c’est-à-dire, l’élaboration de moyens informatiques communs de la part de la communauté pour le bienfait de tous. Cette dynamique a généré une quantité importante de software, révélant comment il est fait pour que les autres puissent le modifier et l’améliorer, avec la garantie que les avancées seront aussi libres grâce à des licences spécifiques. En quelques décennies ce type de software est arrivé dans serveurs, des banques, des portables et même au sein la Station Spatiale Internationale, qui récemment s’est mise à utiliser une distribution de GNU/Linux appelée « Debian ». Un software qui aurait coûté des millions est produit entre plusieurs pour le bénéfice de tous.
Le modèle a avancé vers d’autres domaines : hardware libre, développement de technologies libres, de films, de musique. Ce phénomène, baptisé culture libre, a des exemples puissants : Wikipedia, s’il était coté depuis la logique du marché, vaudrait des milliers de millions de dollars et, cependant, il fonctionne comme un bien commun d’accès libre auquel, de plus, nous tous pouvons participer. Des millions de dollars dans des moyens produits par l’ensemble pour le bénéfice de tous font que, justement, cela n’a pas de sens de leur mettre un prix.
Le succès de ce modèle surgi depuis les bases pour donner des réponses plus satisfaisantes et accessibles a permis d’imaginer une économie basée sur la connaissance libre.
Le Bon Savoir
En Équateur le « Bon Vivre » ou « Sumak Kawsay » est l’un des principes qui régit la Constitution de 2008. Cela pose un modèle de vie qui dépasse la commercialisation de la vie, pour mettre en tête les valeurs ancestrales, de respect pour la Pachamama (la Mère la Terre), égalité, et justice sociale. Mais l’Équateur se trouve sur une planète avec d’autres formes de circulation du pouvoir et des ressources, et le « Bon Vivre » court de sérieux risques de ne pas pouvoir dépasser le niveau déclaratif. En ce moment, ce petit pays Latinoaméricain dépend fort d’une poignée de ressources primaires exportables, surtout le pétrole. Au gouvernement, on a compris que, bien qu’il y ait de la croissance, dépendre de ressources non renouvelables n’est pas durable sur le long terme. C’est ainsi qu’ils ont pensé développer une société basée sur un bien pas seulement renouvelable, mais aussi infini : la connaissance.
Bien que l’idée s’avère excellente, réfléchir à comment changer la matrice productive pour un autre basée sur la connaissance libre n’est pas travail facile. C’est pourquoi le gouvernement équatorien a contacté un groupe de hackers et d’activistes à travers de l’IAEN (l’Institut de Hautes Études Nationales) pour qu’ils conçoivent des politiques publiques qui permettent d’avancer vers une économie sociale de la connaissance. L’un des organisateurs, enseignant et promoteur du SL Milton Cerda, explique que « le « Bon Connaître » naît dans le contexte du « Bon Vivre ». Nous nous sommes rendu compte qu’il n’est pas suffisant d’ajouter de la valeur aux biens primaires que nous exportons. Maintenant on veut passer des ressources limitées à des ressources illimitées pour la connaissance. C’est pourquoi l’IAEN a passé un contrat avec un cabinet de conseil international pour créer un projet qui cherche à ébaucher des lignes de politique publique dans beaucoup de domaines pour passer d’une économie primaire-exportatrice à une basée sur la connaissance ».
Au cours de la dernière semaine de mai, s’est tenu le « Sommet du Bon Savoir » à Quito. Presque 200 personnes de différents endroits s du monde (avec une majorité d’équatoriens) et ayant de l’expérience dans différents domaines se sont réunies pour proposer des nouvelles politiques publiques : cadres juridiques de la propriété intellectuelle, hardware libre, agriculture durable, énergies renouvelables et décentralisées, cybergouvernance. Pendant la présentation de l’événement le ministre coordonnateur de la Connaissance et du Talent Humain, Guillaume Long, a demandé aux personnes présentes d’imaginer le Bon Savoir sans oublier que l’Équateur est un petit pays et qu’il est nécessaire d’obtenir que le sommet « ne soit pas seulement un apport conceptuel, mais aussi pratique ».
Pendant les réunions ont surgi les exemples qui ont permis de visualiser cette société. Cela vaut la peine de s’arrêter sur l’un qui sert à illustrer le phénomène : de nombreux paysans pourraient utiliser des tracteurs pour améliorer leur production et conditions de travail, mais ces machines sont chères et importées, il est proposé de profiter des dessins existants disponibles dans Internet. L’État pourrait appuyer les PME, les coopératives ou lancer un nouveau programme pour capte cette connaissance, l’adapte aux nécessités locales et produise les tracteurs. De cette façon plusieurs objectifs se rejoindraient, comme répondre à un besoin, développer l’industrie locale, substituer une importation et faire des apports à la connaissance libre pour que le modèle soit repris par d’autres pays. L’importation de tracteurs ou le paiement de licences pour les fabriquer localement auraient permis de satisfaire une nécessité mais n’aurait pas modifié la dépendance technologique.
Des idées similaires ont émergé pour l’éducation (production et utilisation de contenus libres au lieu de continuer à acheter des manuels à des multinationales), les énergies renouvelables (ce qui s’appelle « smartgrids »), l’agriculture (un registre de cultures locales et des savoirs ancestraux avec les licences libres pour éviter que la vie soit brevetée), les sciences (un registre libre de connaissance financé par l’État), le développement de communs urbains.
Jusqu’à présent la connaissance libre a été développée par des individus ou des organisations pour la mettre à la disposition de tout le monde. Si les États donnaient plus de force à ce patrimoine commun, on pourrait arriver à développer une nouvelle matrice productive capable de rompre avec le cercle vicieux de la dépendance qui permet aux pays développés de vendre un bien infini comme la connaissance pour financer la création et l’appropriation de nouveaux savoirs.
Peu à peu les hommes politiques comprennent que le développement économique n’est pas capable d’en terminer avec la pauvreté pour diverses raisons. La plus prégnante est que l’humanité consomme déjà plus que la planète est capable de reproduire. De cette façon, l’unique solution viable est la redistribution des ressources existantes, dont la majorité est appropriée par une petite portion de l’humanité et commercialisée au moyen des brevets, marques, droits d’auteur et toute une série de traités avec lesquels les pays développés font pression sur les sous-développés. La distribution de la connaissance libre peut servir de base à une société plus égalitaire.
La route du Bon Savoir sûrement ne sera pas facile et actuellement l’Équateur, de même que presque tous les pays du ’Tiers Monde’, sont contraint à se soumettre à la logique de la propriété intellectuelle au moyen de traités et d’accords. Le chemin vers le Bon Savoir ne sera pas facile, mais dans un contexte où personne ne semble visualiser une possibilité dépassant le capitalisme actuel, cela vaut la peine de prendre des risques.
Esteban Magnani pour Página 12
Titre original : « L’économie de la connaissance ».
Página 12, Suplemento Cash. Depuis Quito, 8 juin 2014.
Traduit de l’espagnol pour El Correo par : Estelle et Carlos Debiasi
El Correo. Paris, le 14 de juin 2014.
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