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16 mai 2013

« Condenados », un film de Carlos Martinez

par Claude Mary *

 

Le film d’une vie

« C’est une promesse faite à moi-même : à partir de 60 ans, je me consacre à raconter mon histoire, parce que l’Histoire nous appartient à tous », confie Carlos Martinez. Dans les années 70, il est étudiant à l’Université de La Plata et militant au PRT-ERP, l’un des partis révolutionnaires en lutte contre le régime d’Isabel Perón. A partir de 1974, les arrestations d’opposants se multiplient. « J’ai été séquestré en octobre et blessé par balle. Emmené en ambulance, je suis resté hospitalisé, sous contrôle des militaires. J’ai été accusé de port d’armes de guerre et résistance à l’autorité, rappelle Carlos. Ensuite je me suis retrouvé bouclé dans la cave d’un commissariat mais un policier a prévenu le juge chargé de mon dossier et j’ai été transféré à la prison du quartier Devoto, puis à l’Unité 9 de La Plata. »

Comme d’autres étudiants, délégués syndicaux, journalistes, éducateurs, universitaires arrêtés, il est alors considéré comme un détenu « légal », dénommé « à disposition du pouvoir exécutif national », avec un dossier judiciaire suite auquel il est condamné à 6 années de prison.

A partir du coup d’Etat de 1976, les escadrons de la Junte de Videla commencent à appliquer un plan systématique de « disparitions » d’opposants. Beaucoup de détenus « légaux » sont alors regroupés dans l’Unité 9 de La Plata, transformée en prison de Haute Sécurité. Ce sont des prisonniers politiques bien encombrants pour leurs geôliers, puisqu’ils figurent dans des listes officielles, ont droit aux visites de leur famille et sont parfois réclamés par leur corporation, voire par des instances internationales. Les militaires décident alors de les parquer en différents pavillons. « Dans cette prison, fin 1976, ils ont commencé à classer les détenus par appartenance politique. Dans le pavillon 1, se trouvaient les dirigeants Montoneros et dans le pavillon 2, ceux de mon parti, le PRT. Nous étions étiquetés comme irrécupérables », relate Carlos Martinez.

Que « faire » des détenus « légaux » ? Les tortionnaires utilisaient par exemple la « fausse libération », signée formellement par un juge. Quand la famille réclamait de voir ce prisonnier, on annonçait à ses proches qu’il avait été libéré et que c’était à eux de le retrouver, comme ce fut le cas pour Gonzalo Abel Carranza (à 27 ans), en réalité jusqu’à aujourd’hui disparu. Il y avait aussi des prisonniers, utilisés comme des otages. « Lors de représailles, ces compagnons ont été fusillés en pleine nuit, sur une route déserte. Nos familles et leur entourage étaient aussi persécutées. Ma femme a été assassinée dans ce qu’ils présentaient ensuite comme un affrontement ; ma sœur est disparue », témoigne Carlos.

Beaucoup de ses compagnons ont été assassinés au long de ces deux terribles années. Mais au sortir de la dictature (1983), les survivants de ces années de plomb témoignent, s’associent, écrivent. Parmi les personnalités ayant passé par cette terrible Unité 9, Adolfo Perez Esquivel, Prix Nobel de la Paix 1982, Jorge Taiana, ex-ministre des Affaires Etrangères du gouvernement de Cristina Fernandez de Kirchner, Eduardo Anguita, actuel directeur du journal « Miradas al Sur » et auteur de « La voluntad », une histoire de la militance. Quant à Carlos Martinez, libéré en 1982, il se consacre au théâtre, au cinéma et reconstruit sa vie, par un film qui retrace les deux années les plus impitoyables de l’Unité 9.

Un défi : le tournage sur les lieux de détention

En 2004, commencent les repérages et l’investigation historique de « Condamnés ». En 2010, son projet gagne en Argentine un prix qui va permettre de financer le tournage. A une condition toutefois : que les scènes soient filmées à l’intérieur de cette même prison. Et ce, au moment même où se déroule, dans la ville de la Plata, le procès des tortionnaires qui sévissaient à l’époque de la dictature, à l’Unité 9. Un défi que Carlos accepte. « La prison, j’y ai passé six ans, ça me connaissait », dit-il avec un sourire. L’équipe a l’appui du directeur de la prison et un « casting » est ouvert, parmi les prisonniers et les gardiens, pour jouer un rôle. Fiction et réalité vont ainsi étonnamment se mêler. Le tournage voit se côtoyer, pendant quatre mois, des acteurs professionnels (Ingrid Pelicori, Enrique Dumont, Alicia Zanca) et de jeunes détenus tenant le rôle de militants politiques, tandis qu’un témoin-survivant se trouve, lui, derrière la caméra.

« Condamnés » reconstitue la vie au quotidien dans les couloirs interminables et alterne les scènes de parloirs avec d’autres, dans les cellules où des codes de toutes sortes sont inventés par les détenus pour communiquer entre eux, résister aux sévices, jour après jour.
En parallèle du tournage dans l’Unité 9, Carlos a aussi filmé les témoins-survivants au Tribunal de La Plata. Des séquences de témoignages « réels » sont ainsi incorporées au film et ajoutent à sa charge émotive. A l’issue du procès de 2010, 14 condamnations ont été prononcées, dont celle de l’ex-directeur de l’époque, à perpétuité.

Dans une version courte, « Condenados » est actuellement présenté au Festival de Cannes (hors compétition). Le 29 mai, aura lieu sa présentation officielle au siège du Parlement européen à Bruxelles, en présence du réalisateur, et le 30 mai (à 18h30) une projection pour le public et la presse est organisée par l’Ambassade argentine à Paris (présentation de Patricia Almirón, journaliste, membre du Collectif Argentin pour la Mémoire).

Claude MARY pour El Correo (depuis Buenos Aires)

Carlos Martinez, en avril 2013,
devant l’exposition de dessins à la Radio La Tribu :
« De los escraches, a los dibujos »
 Photo : © Claude Mary


*Claude MARY. Journaliste. Correspondante (à Buenos Aires)

El Correo. Paris, le 16 mai 2013.

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