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L’Etat argentin en tant qu’actionnaire a du mal à faire valoir ses droits. Le patronat fait un lobby honteux, oubliant les règles du droit des actionnaires et criant à l’ingérence. C’est l’affaire Siderar. Derrière, un homme très puissant : Paolo Rocca à la tête du groupe Techint.
Le patronat argentin aurait-il une vision biaisée de la représentation des actionnaires, surtout lorsqu’il s’agit de l’Etat ? L’affaire agite l’Argentine depuis plusieurs jours, et se politise à travers la presse.
Pourtant, quoi de plus banal que l’exercice du droit des actionnaires. « En fin de semaine se sont tenues quatre assemblées générales, normalement et légalement, comme doivent se passer des AG et comme le prévoit la loi ». Cette petite phrase du ministre de l’économie argentin Boudou était une façon de remettre les pendules à l’heure.
Car l’affaire Siderar, spécialiste de l’acier, filiale du conglomérat international Techint (sidérurgie, ingénierie, pétrole, santé …) -qui compte plus de cent entreprises, un chiffre d’affaires de 18 milliards de dollars 46 000 salariés dans le monde - est au cœur d’une polémique.
L’Etat argentin est actionnaire de quelque 42 entreprises notamment à travers la Anses (organisme gestionnaire des retraites), parmi lesquelles Mirgor, Solvay Indupa, San Miguel, mais aussi Macro, Patagonia, Grupo Galicia,… et totalise 27 administrateurs.
Concrètement l’Anses détient 27,9% du capital de Siderar dont l’actionnaire est le groupe Ternium avec 61% du capital, lui -même filiale à 62 % de Techint , tous deux ayant désormais leur siège au Luxembourg.
Paolo Rocca qui règne sur Ternium (qui, à elle seule, contrôle 66 sociétés) et surtout sur le conglomérat Techint ne l’entend laissé sa place à cet actionnaire, bien que Siderar soit cotée en bourse de même que Ternium. Pas question pour lui d’envisager l’entrée de nouveaux administrateurs de l’Etat au conseil d’administration et surtout que ceux-ci exercent leur droits de vote à hauteur du capital détenu.
Souvent chantres du libéralisme, les dirigeants des grandes entreprises argentines devraient être les premiers sur les rangs pour défendre l’application des règles du droit des actionnaires et de la bonne gouvernance. Mais voilà que la venue au conseil d’administration de deux représentants de plus de l’Etat au conseil de Siderar, déclenche des cris d’orfraie et l’opposition de droite et la presse conservatrice de crier au scandale de la main mise de l’Etat, et d’une dangereuse dérive.
En vertu du décret 441/11 (qui déplafonne les droits de vote maintenus à 5%) il y a un administrateur de l’Etat, deux autres auraient leur place selon la loi dans Siderar. Ce que la dernière AG a rejeté. Il a fallu que l’Etat actionnaire face entendre sa voix, à défaut de faire entendre raison sur ses droits d’actionnaire – sa place au conseil d’administration - et l’application de la loi.
Résultat, la justice a été saisie et l’ AG du 15 avril dernier a été annulée par une décision du 27 avril, donnant raison pour la première manche à l’Etat annulant du coup la distribution de dividendes -sur le montant de laquelle s’était opposé l’administrateur de l’Anses, puisque n’étaient pas pris en compte ses droits de vote à hauteur du capital détenu.
D’ailleurs la Comisión Nacional de Valores (« CNV »), qui régule les marchés, avait déjà déclaré les décisions prises en AG de Sidérar irrégulières pour des raisons administratives.
Mais voilà Paolo Rocca qui est aussi l’un des VP l’association des patrons d’argentine AEA s’appuie comme relais d’opinion sur le groupe de presse Clarin – qui d’ailleurs est loin d’être neutre dans cette affaire, puisque lui-même a aussi 9% de son capital détenue par la Anses, et que de plus le groupe est dans un combat contre le gouvernement sur la loi portant sur la concentration des médias.
Politisant la question à outrance, le puissant groupe Techint brandit la menace étatique sauf que dans plusieurs pays d’Europe à commencer par la France ou l’Italie, la présence d’administrateurs représentant l’Etat est monnaie courante. Et surtout l’affaire parait une véritable opération de déstabilisation de la politique du gouvernement argentin, une fois rapportée à l’importance très relative de la société Siderar à l’aune du conglomérat géant qu’est Techint : un ou deux administrateurs représentant l’Etat ne va pas bousculer la gestion du groupe. Certes leur influence peut jouer sur la répartition des bénéfices et des dividendes, ou quand il s’agit de voter pour un investissement risqué dans un pays.
Quoiqu’il en soit, un conseil d’administration doit argumenter et justifier ces décisions. Mais ce qui compte, n’est-ce pas que le Conseil d’administration respecte les règles de gouvernance ? Car celles-ci sont devenues pour les entreprises cotées – à commencer par les Etats-Unis- le nœud gordien.
Curieusement, le groupe Ternium, coté à New-York, met en avant sur son site internet son code de conduite et son code éthique concernant ses principaux dirigeants et administrateurs. Mais il est mentionné que ce code ne s’applique pas à trois sociétés du groupe dont Siderar, qui est doté d’un autre code de conduite qui semble à la lecture plus vague.
Le patronat argentin est pour une bonne part peu propice aux innovations managériales. Témoin, les récentes mesures proposées par le gouvernement concernant la participation aux bénéfices –mesures inspirées de celles qui ont fait leurs preuves en France depuis de Gaulle- ont, là encore, soulevé un tollé.
Dans l’affaire Siderar, le patron de Techint a eu comme soutien dans sa bataille contre l’introduction d’administrateurs supplémentaires de l’Anses, les dirigeants syndicaux de l’UOM, en tant administrateur ouvriers, qui représentent les actions détenus par les travailleurs à la suite du PPP lié au plan de privatisation mis en place sous Menem qui a permis à Paolo Rocca de faire de belles affaires à bons comptes. Des syndicats qui soutiendraient donc le conglomérat Techint plutôt que l’Anses qui représente les fonds de retraite et les intérêts de leurs concitoyens ? A moins qu’il ne s’agisse d’un renvoi d’ascenseur ?
Ingérence de l’Etat dénoncée ou manœuvre organisée de déstabilisation du gouvernement ? Dans l’entourage de Ternium ont a même laissé entendre que l’affaire Siderar déstabilisait le groupe voire la Bourse de New-York. Et cela, le jour même où la note des Etats-Unis était mise sous surveillance. De qui se moque t-on ?
Pendant ce temps, Javier Varela Sobrado, président du Groupe Peugeot-Citroën Argentine, a annoncé un plan d’investissement de 700 millions d’euros avec une augmentation de la production de 25%. Une nouvelle largement passée sous silence, la presse conservatrice préférant alimenter la peur.
El Correo. Paris, le 1er mai 2011.
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