Portada del sitio > Nuestra América > Terrorismo de Estado > Plan Cóndor > Actualidades > Astiz se trouve sur une base navale alors qu’il a perdu son statut de (…)
Aujourd’hui 17 septembre 2003 Alfredo Astiz est à nouveau en détention et toujours dans sa tanière. Comme les fois précédentes, le problème du lieu de sa détention n’a pas évolué. Hier le Juge Canicoba Corral, aujourd’hui le Juge Fédéral Sergio Torres, tous deux font la même grossière erreur. A moins qu’ils ne peuvent faire autrement tant la pression locale et étrangère est grande. Le fait est que tant qu’on ne pourra pas écarter les Forces Armée Argentines de ces détentions, elles continueront à être inefficaces.
Par Martín Granovsky
Página 12, 10 de agosto 2003.
Il a été condamné en France pour la mort de deux religieuses après s’être infiltré parmi les Mère de la Place de Mai et avoir planifié leur enlèvement. Lorsque Garzón a demandé son arrestation, Astiz a reçu des instructions de la marine et il réside aujourd’hui dans une base navale sur ordre du juge Canicoba Corral. Tous ont oublié un fait important : il y a cinq ans « El Cuervo » a perdu son statut de militaire. Il a été destitué et révoqué par le gouvernement.
Astiz infiltré dans la marine
Il est difficile de se glisser dans une base. Mais Alfredo Astiz y est parvenu. Grâce à l’aide de ses amis de la marine, il est aux arrêts dans une base navale bien qu’il ne soit pas militaire. Il a perdu ce statut lorsqu’il a été révoqué. Astiz a cessé de jouir de sa liberté absolue depuis que le juge espagnol Baltasar Garzón a ordonné l’arrestation de 46 répresseurs argentins pour crime contre l’humanité. Il devrait être reclus dans un lieu sous surveillance civile, et non militaire, mais il a fini par bénéficier de la protection de l’armée qui le protège depuis que son rôle dans les massacres de la dictature a été révélé pour la première fois. « El Cuervo » a bénéficié d’une chaîne qui ne porte pas encore de nom adéquat. C’est peut être une succession de confusions, d’erreurs, de la sottise, de l’ignorance partagée, de la mauvaise foi ou le tout à la fois.
Quand le gouvernement du président Nestor Kirchner a abrogé le décret de Fernando de la Rua, et donc autorisé la justice à agir, le juge Rodolfo Canicoba Corral a accédé à la demande de Garzón en appliquant le même critère pour tous les cas. Ainsi, le ministre de la Défense José Pampuro a ordonné à chaque chef d’état important du pays de notifier les militaires de leurs armées pour leur communiquer les arrestations. Ils devaient être arrêtés dans leurs postes de rattachement. Les militaires dans l’armée de terre, les pilotes dans l’armée de l’air et les marins dans la marine. Certains étaient déjà détenus dans des unités militaires comme Jorge "El Tigre" Acosta. D’autres, âgés de plus de 70 ans, bénéficiaient des avis favorables des juges qui les ont laissé poursuivre en résidence surveillée leur détention déjà entamée après le procès pour les vols de bébés qui n’était pas régi par les lois de « Devoir d’obéissance » et « Point final ».
Il y avait deux cas distincts, celui de l’ex-général Carlos Guillermo Suárez Mason et celui d’Alfredo Astiz, ex-capitaine de frégate. Suárez Mason avait été affranchi de l’armée au début de la démocratie, quand il ne s’était pas présenté à la farce d’auto-jugement organisée par le Conseil Suprême des Forces armées. Astiz a perdu son statut de militaire en 1998 lorsque Carlos Menem l’a destitué. Quand Canicoba a décidé d’accéder à la demande de Garzón, Suárez Mason était déjà en résidence surveillée. Astiz, en revanche, était libre. Astiz, né en novembre 1950, n’a pas encore 53 ans et il est loin des 70 ans, est donc passé de la rue à la base militaire. Hier Página/12 a enquêté pour retrouver la résidence actuelle d’Astiz mais le journal a reçu plusieurs réponses. Un porte-parole de la marine a déclaré que celle-ci n’était pas autorisée à évoquer la question. Et s’est borné à dire : « Il faut appeler le juge. Nous ne faisons qu’appliquer les ordres de la Justice. » Un fonctionnaire du tribunal a déclaré qu’Astiz se trouvait dans une unité de la marine. Il n’a pas précisé laquelle.
Un fonctionnaire du Ministère de la Défense a déclaré, avec certitude, qu’Astiz vit déjà à Puerto Belgrano, la plus importante base de la marine, près de Bahía Blanca, et la plus forte concentration de troupes de l’armée. Puerto Belgrano est elle-même une petite ville reliée au centre civil de Punta Indio. Il n’a pas été possible de savoir dans quel endroit de la base Astiz se trouve, ni même s’il est réellement arrêté ou s’il parcourt les rues de Puerto Belgrano, tel un héro, sous les applaudissements encourageants de ses anciens camarades. Un autre fonctionnaire de l’exécutif, de rang inférieur au précédent, a indiqué qu’Astiz n’était pas à Puerto Belgrano mais à Río Santiago, plus près de Buenos Aires. C’est là-bas, dans une base de Zárate que la marine a regroupé le plus grand nombre de ceux qui sont recherchés par Garzón. Astiz n’est pas un prisonnier ni un marin comme les autres. Un membre du gouvernement de l’état qui a participé à l’arrestation d’Astiz nous a raconté une scène :
Je lui ai expliqué sa situation et ce que pourrait être son avenir, y compris une possible extradition vers un autre pays et il n’a pratiquement rien dit. Il ne me regardait pas dans les yeux. Il répondait par des monosyllabes. Et il n’a discuté à aucun moment. Un type froid. Glacial.
Avec Antonio Domingo Bussi, tout était différent : il criait, discutait, argumentait, se mettait en colère. L’interlocuteur de Página/12 a indiqué son étonnement de voir que les marins continuent à dire qu’Astiz est une personne très influente parmi ses pairs, qu’ils soient retraités ou encore en activité. « Ils me disent que sur 100 généraux, il y en a 10 qui respectent Bussi et aucun ne respecte Suárez Mason, mais ils traitent Astiz comme s’il était un officier encore en exercice ou un supérieur. »
L’armée a, dans une large mesure, érigé Astiz en symbole des niveaux de commandement intermédiaires qui ont formé les bandes de voyous exécutantes chargées des enlèvements, des tortures, des vols et des meurtres.
Dans la marine, sa prétendue influence s’explique peut être par le fait que ce passé a été présenté comme une série d’actes d’héroïsme et d’obéissance. La marine n’a jamais abandonné son symbole. Le journal a même découvert qu’après sa révocation, Astiz est allé jusqu’à travailler pour les services de renseignements navals. Mais une autre partie de l’influence d’Astiz vient d’un cadeau du pouvoir civil, qui émet des signaux équivoques, tel un feu de signalisation devenu fou.
Son arrestation dans une base de la marine en est une preuve.
La loi sur le personnel militaire en vigueur depuis 1971 stipule, dans son article 5 : « le statut militaire est la situation juridique provenant de l’ensemble des droits et devoirs définis par les lois et règlements applicables au personnel qui occupe un rang dans la hiérarchie des forces armées ».
L’article 10 stipule que le statut militaire se perd à la suite d’une révocation.
L’article 20 prévoit huit causes d’exclusion. La sixième mérite d’être lue: « Pour le personnel d’encadrement permanent et le personnel en retraite, la révocation est produite par la destitution en tant que peine principale ou accessoire. Par ailleurs, la révocation est applicable dans les cas de révolte ou de condamnation émanant de tribunaux communs ou fédéraux à des peines équivalent à celles qui prévoient la destitution comme peine accessoire dans l’ordre militaire. »
En janvier 1998, la journaliste Gabriela Cerruti a cité une phrase d’Astiz dans la revue Tres Puntos : « je suis le meilleur pour tuer un homme politique ou un journaliste ». Menem, alors Président, a signé un décret qui imposait sa destitution en raison d’une « attitude inconsidérée et irresponsable ayant entraîné une très grave situation affectant le prestige de la marine et d’autres institutions ». Alfredo Bravo, alors député national, a regretté que Menem fonde sa décision sur le fait que le prestige de la marine avait été affecté par les propos d’Astiz « alors qu’en réalité sa revendication du terrorisme d’état répugne la conscience de l’humanité ».
Depuis lors, dans les formes Astiz a perdu son salaire, son grade et ses avantages sociaux. Dans les faits, on a toujours soupçonné que les services de renseignements navals l’ont aidé avec des fonds secrets. Si tel était le cas, sa résidence actuelle sur une base dont les frais sont pris en charge par le budget de la marine serait un blanchiment…très « VIP ».
Deux solutions possibles.
L’internement d’Astiz sur une base militaire peut comporter deux irrégularités.
– Premièrement, son traitement spécial, différent de celui de tout autre prisonnier.
– Deuxièmement, son traitement en tant qu’officier de la marine alors qu’il a en fait perdu son statut militaire.
La première irrégularité est aggravée parce qu’Astiz n’est pas un prisonnier comme les autres. Il a participé, en tant qu’officier opérationnel, aux groupes de l’ESMA, c’est lui qui a tiré sur l’adolescente suédoise Dagmar Hagelin pour la capturer et il a été le responsable chargé de s’infiltrer dans le premier groupe des Mères de la place de Mai. Pour se rendre crédible, Astiz est allé jusqu’à les accompagner dans leurs rondes autour de la pyramide avec une conviction telle qu’elles disaient craindre pour ce jeune de 27 ans si préoccupé du sort des disparus. A cause de lui, les mères et les religieuses françaises Alice Domon et Léonie Duquet ont été séquestrées et Astiz a été condamné par contumace en 1990 par la justice française qui a remis à la chancellerie une nouvelle demande d’extradition vendredi pour qu’il soit mis en prison.
Astiz n’est pas le premier prisonnier à bénéficier du traitement VIP, ni le premier à échapper aux horribles conditions de détention de tout prisonnier. Ainsi par exemple, l’ex-officier n’a pas à souffrir des mêmes conditions qu’un prisonnier de la province de Buenos Aires. Selon Juan Pablo Cafiero, Ministre de la sécurité, rien qu’à Buenos Aires il y a sept mille détenus qui « vivent entassés, dans de véritables camps de concentration où ils dorment chacun leur tour deux à trois heures pour se partager un matelas, où les gens sont désoeuvrés toute la journée et ont besoin de l’attention de 80% du personnel policier ».
Les prisonniers VIP d’origine militaire sont généralement envoyés dans des unités militaires. Les prisonniers VIP d’origine civile -comme Emir Yoma en son temps- sont envoyés vers des unités militaires comme Campo de Mayo ou des sites civils mais qui dépendent des forces de sécurité, comme les ports militaires de la gendarmerie nationale. Si, comme l’indique la Constitution, être un prisonnier présente un avantage comparatif pour tout un chacun, pour Astiz, être mené vers une base navale est une récompense inexplicable qui efface le passé une fois de plus. Astiz a déjà bénéficié une fois de la loi de Devoir d’obéissance qui lui a permis d’échapper aux poursuites pénales en Argentine parce qu’il avait atteint un grade intermédiaire au début de la dictature. C’était la première fois qu’il profitait d’un passé qui n’allait pas se retourner contre lui. Il a ensuite été destitué et révoqué. Si ce deuxième chapitre ne sert même pas à placer Astiz dans une condition différente des autres, le tableau est encore plus difficile à comprendre pour tous.
Jusqu’à présent, tout a marché par automatisme. Le pouvoir exécutif ne s’était pas aperçu qu’Astiz avait changé de situation et le pouvoir judicaire non plus. La marine a eu, pour une fois, le plaisir de faire montre d’obéissance. Elle a appliqué l’ordre de l’Exécutif en le remettant à la Justice - une instruction équivoque parce que dans son cas c’est un rôle qui aurait dû incomber à la police fédérale - et respecte l’ordonnance du juge Canicoba en le faisant placer dans une base.
S’il s’agit de deux irrégularités, il y a bien aussi deux façons de mettre un peu de logique dans toute cette confusion. Tout d’abord, que les pouvoirs exécutif et judiciaire se mettent d’accord, par ordre du juge ou par communication du Ministère de la Défense, et qu’ils corrigent l’erreur initiale en transférant Astiz vers un lieu de détention sans aucun lien avec l’Armée. Ainsi, en passant, ils mettraient fin à une relation qui irrite non seulement les parents des victimes d’Astiz mais perturbe également l’entendement des nouveaux officiers de la marine.
Ensuite, que les bases militaires servent dorénavant à soulager le sort des prisonniers sans statut militaire, comme Astiz, qui sont entassés dans les commissariats. Beaucoup d’entre eux sont accusés de délits moins graves que l’enlèvement et le meurtre de citoyens et d’étrangers.
Página /12, 10 août 2003
Traduction pour El Correo: Agnès Debarge