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29 juillet 2008

Argentine
Victorieux et vaincus.

par Claudio Katz *

 

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Le plus grand conflit politique depuis 2001 s’est terminé par un triomphe net de la droite. Le bloc conservateur s’est imposé d’abord dans la rue et avec cette pression extraparlementaire il a défini le vote dans le Sénat. Le ruralisme a gagné parce qu’il a canalisé un revirement de la classe moyenne qui a commencé avec Blumberg, il a été renforcé par le triomphe de Macri et a débouché sur une révolte conservatrice engagée sur la rentabilité.

L’idéologie de droite s’est vérifiée dans les cacerolazos de « téflon » qui ont exalté « la patrie » et ont répudié « les tyrans », avec la couverture de la télévision qui a découvert oh combien est légitime de couper les routes quand ce sont des « paysans » et des tracteurs.

Mais, à la différence du passé, cette crise ne contenait pas de catastrophes financières ou d’hyperinflation et la conjoncture économique ouvre un certain espace pour la reconstitution du Gouvernement. C’est pourquoi, la droite stimule un virage conservateur de la majorité, bien que dans l’immédiat, elle veuille la tranquillité. Les manifestations ont déjà rempli leur fonction et maintenant gênent les détenteurs du pouvoir.

Le Gouvernement a joué le tout ou rien et il a reçu une grande claque. Il a perdu de la base électorale, de la popularité, le contrôle parlementaire et le contrôle sur quelques gouverneurs. Le recul des Kirchner est attribué à leur aveuglement, au caprice et à l’autisme. Mais leur attitude n’est pas si exceptionnelle, ni ce n’est la première équipe présidentielle qui cherche à asseoir son pouvoir encore, dans la deuxième étape de sa gestion.

Pendant la confrontation, le Gouvernement a oscillé entre la concession économique et la provocation politique. Il a déployé des gestes autoritaires tandis qu’il acceptait toutes les demandes de ses adversaires, à l’exception de la résolution emblématique 125. La cause principale de l’échec officiel fut le refus d’appeler à une mobilisation populaire en dehors du cadre défini du justicialisme, de la CGT et des organisations cooptées. Ils n’ont pas forgé ce soutien pendant les cinq premières années et ils ne l’ont pas improvisé non plus dans la crise, par crainte de ressusciter le soulèvement qui avait enseveli De la Rúa.

Le Gouvernement a perdu parce qu’il ne s’est jamais éloigné des banquiers et des industriels qui ont exigé de mettre fin à la confrontation. Cette alliance empêche la redistribution proclamée du revenu. Si les salaires et les retraites n’ont pas significativement augmenté c’est cause de l’incompatibilité de ces mesures avec le capitalisme de neo-développement que promeuvent les officiels.

Le triomphe de droite a été consommé par la méfiance populaire envers les discours éloignés de la pratique mise en œuvre par le Gouvernement. Le flaire populaire sait que les pièges de l’Indec pointent contre la mobilité des salaires et pas seulement contre la rente des valeurs indexées. L’empreinte menemiste du TGV ne passe pas non plus inaperçue et la transformation subite de proches alliés en ennemis soudains accentue ce manque de crédibilité.

La toile de fond du problème est l’épuisement du péronisme comme mouvement populaire. Cette structure permet de gagner des élections et de diriger l’État, mais elle ne réveille déjà plus d’enthousiasme. Ce qui se recrée actuellement au Venezuela a substantiellement décliné en Argentine.

Certains considèrent que le conflit a confirmé la réaction de l’establishment face à toute menace de ses intérêts. Mais ce choc ne transforme pas le Gouvernement en représentant de la cause populaire. Ce rôle devrait se vérifier dans sa gestion et non dans le comportement des adversaires. La progression de l’inégalité et des revenus démontre aux puissants où se situent les Kirchner.

La droite les rejette parce qu’ils sont étrangers à leur élite conservatrice, ils arbitrent entre toutes les fractions capitalistes et limitent les conflits sociaux avec une rhétorique contestataire. Mais cette aversion politique n’annule pas la coïncidence dans les intérêts sociaux qui unit les deux secteurs. Ceux qui ne reconnaissent pas cette association attribuent l’échec officiel à une gestion malheureuse du conflit et non à l’engagement avec les banques, l’UIA et les pools semenciers.

Pendant le conflit, une partie de la gauche s’est alignée avec le ruralisme, en soulignant le caractère massif de la révolte. Mais cette appoggiature sociale n’a pas déterminé le profil progressif de cette protestation. Comme le démontrent, les autonomistes de la Bolivie ou les étudiants du Venezuela, une mobilisation réactionnaire peut attirer des foules. L’histoire du « gorillisme » (conspiration militaire) argentin est un exemple familier de cette possibilité.

Il suffit d’observer la demande en jeu (éliminer un impôt sur le bénéfice agraire), les protagonistes (la Société Rurale) et les méthodes de la protestation (blocage) pour se débarrasser de tout doute sur le caractère conservateur du mouvement ruraliste. Il est absurde d’assimiler son action avec une grève. Les ouvriers ont continué à travailler tandis que leurs patrons coupaient des routes, en réclamant de plus grands bénéfices et non de meilleurs salaires. Les soi-disant "petits producteurs" constituent en réalité un segment capitaliste qui a poussé ses intérêts communs vers ceux des grands propriétaires et entrepreneurs après avoir exigé l’annulation des rétentions mobiles.

L’analogie avec le soulèvement de 2001 n’est pas non plus très heureuse. Il y a sept ans les petits épargnants ont défendu leurs économies aux côtés des chômeurs contre les banques, tandis que cette fois la classe moyenne a agi aux cotés des propriétaires de l’agrobusiness. Pendant quatre mois le pays est resté polarisé et une troisième alternative au rejet du ruralisme conservateur et à la critique du Gouvernement n’a pas émergé. Une accumulation de confusions politiques a empêché la gestation de cette option à contre-courant. Mais il n’est pas trop tard pour que cette alternative germe face à la nouvelle scène qu’a laissé le conflit.

Claudio Katz es économiste et professeur de l’UBA.

Página 12 . Buenos Aires, le 29 Juillet 2008.

Traduction de l’espagnol pour El Correo de  : Estelle et Carlos Debiasi.

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