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1er novembre 2012

Argentine : « Les mauvais airs » du bon porteño</I>

par José Steinsleger *

 

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Au bord du Plata s’élève la Ville Autonome de Buenos Aires (CABA), mégalopole prodigieuse et macrocéphale dans laquelle ses habitants, les porteños [ceux du port], semblent être condamnés « … à la chance des êtres tératologiques, qui est celle de vivre pour soi-même et non pour l’espèce » (Ezequiel Martínez Estrada) [1].

Je souligne cette opinion du grand écrivain argentin dans « La cabeza de Goliath » (1940), sans toutefois souscrire aux idées de l’érudit qui, avec d’autres « esprits libres », a nourri l’erratique imaginaire libéral, que les gauches et les droites de l’Amérique Latine continuent de conserver à l’égard du pays sudaméricain.

La vision de Martínez Estrada fut juste, mais dénotait quelque chose de plus qu’une réussite littéraire. Avec 2,9 millions d’habitants (14 500 par km²), la CABA occupe le septième millième du territoire que les porteños nomment « l’intérieur ». Et voilà qu’elle tient 872 fois en Autriche et au Portugal, dont les surfaces, mesurées en hectares, équivalent à celles de seulement cinq des plus grandes familles de la bourgeoisie propriétaire terrienne argentine.

Grande ville de classes moyennes, la CABA génère 70 % de la valeur ajoutée nationale, rassemble 90 % des sociétés financières, 53 % des dépôts bancaires, 60 % des prêts au secteur privé non financier, 70 % des entreprises de software, et un essaim d’affaires immobilières, professionnels et de services.

De là, possiblement, la célèbre coté râleur des porteños. Qui à la rigueur obéit à sa prospérité historique, puis en dehors des changements brusques, ilots de pauvreté et de misère, et de l’abîme néolibéral de 2001, ne sont jamais allés aussi mal qu’ils le disent. En 2008, la CABA enregistrait déjà le niveau de revenus par tête le plus élevé de l’Amérique Latine, après la ville de Mexico.

En 2003, un homme politique au profil bas et sous-estimé par ses propres camarades, a gagné les élections après que son rival, l’imprésentable Carlos Menem, ait renoncé à se mesurer avec Néstor Kirchner lors du ballotage. Et comme l’a si bien rappelé le sociologue Julio Fernández Baraibar (en citant Alberto Guerberof), l’Argentine « a eu un président sans parti, d’un pays sans État ».

Neuf ans après, 54,11 % des argentins ont validé la gestion de Néstor et de Cristina Fernández de Kirchner. Pourquoi ? Les gauches sans peuple et les technocrates répondent : à la suite des prix à l’hausse des matières premières (en particulier, le soja). Faux ! Ainsi qu’au Venezuela, avec ou sans chavisme kirchnerisme, le soja et le pétrole étaient déjà là.

Dans les deux processus, le déterminant n’a pas non plus été la seule générosité de l’économie, mais la volonté politique de redistribuer les revenus en faveur de l’État et vers ceux qui ont été détruits par le modèle néolibéral. Par conséquent, on ne comprend pas bien ce que les porteños réclament aujourd’hui, quand ils recommencent à proposer que « les gens » sortent dans la rue pour protester contre la présidente.

De quoi se plaignent-ils ? Le parc automobile a augmenté de 75 %, 190 000 PME ont été créées, et les troupeaux de la classe moyenne a triplé de 20 à 60 %. D’un autre côté, 5 millions de jeunes ont trouvé un emploi, un million a accédé pour la première fois à l’université, 5 millions de retraités ont perçu 18 augmentations (70 % des familles, avec deux retraites), salariés et employeurs ont signé 2 000 accords, et le gâteau des revenus a été partagé en faveur des classes pauvres et moyennes.

Les chiffres officiels ? Le journaliste sollicite de l’indulgence. Parce que bien que la centrifugation sémantique de mots et de concepts est réelle, il se refuse à reconnaître que le terme « officiel » soit égal à mensonge, « uhmmm … », « qui sait ». Ou alors le politiquement correct consiste t-il à considérer comme bonnes les données officielles du Mexique, de la Colombie, du Chili et du Pérou, et à soupçonner celles de l’Argentine, la Bolivie, Cuba, Équateur, Venezuela ?

Incluant Borges, on dit que les porteños sont « progressistes ». Cependant, l’auteur de « Fictions  » fut une figure et un génie, et l’année dernière plus de 64 % de porteños ont réélu son alter ego comme chef de la CABA : le raciste, réactionnaire et ridicule, Mauricio Macri.

Malgré tout, si les cinq partis de la « vraie » gauche avaient appuyé le kirchnerisme à la CABA, les résultats ne changent pas non plus. Et cela fonctionne associé à un traumatisme politique bicentenaire : la propre et unique caractéristique de la « mentalité porteña », qui a l’habitude d’associer ses idées à celles du pays, en confondant ses intérêts avec ceux de la nation.

A titre d’exemple : à la fin de 1983, quand le gouvernement de Raúl Alfonsín a imposé le contrôle des changes, les porteños ont accepté la mesure comme un acte de souveraineté économique. Et le mois dernier, après que le gouvernement de Cristina ait fait de même, ils ont explosé : « carcans des changes » ! y compris les 1,5 million d’argentins qui , entre janvier et un juillet dernier, se sont promenés à l’étranger ?

En mettant main sur un terme gramscien plombé, « hégémonie », peut-on affirmer que les oligarchies de la fin du XIXe Siècle ont imposé au porteños la capacité pour généraliser une vision du monde.

L’hégémonie qui sous-jacente dans tous et chacun des éditoriaux et des articles du monopole médiatique Clarin, et du quotidien La Nacion : la démocratie, che ? [2] Le meilleur système du monde … : toujours et quand, il n’y a pas d’élections !

José Steinsleger pour La Jornada du Mexique

* Écrivain et le journaliste argentin. Editorialiste à la « La Jornada de Mexico ». Résident au Mexique.

La Jornada. Mexique, le 31 octobre 2012.

Traduit de l’espagnol pour El Correo par  : Estelle et Carlos Debiasi

El Correo. Paris, le 1er novembre de 2012.

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Notes

[1L’œuvre littéraire et surtout les essais de Ezequiel Martinez Estrada (1895-1964) jalonnent les principales lignes politiques et philosophiques de l’Argentine du XXe Siècle. Ecrivain « phare » de la pensée nationale qui a fait penser et écrire plusieurs générations d’intellectuels argentins. NDLT

[2Che : expression populaire équivalent à « mec » très utilisée en Argentine et en Uruguay. D’où le surnom du Che d’Ernesto Guevara. Les latinoaméricains appellent tous les argentins « che » en s’amusant. NDLT

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