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La présidente Cristina Fernández de Kirchner avait décidé de démettre par décret Martín Redrado de la présidence de la Banque Centrale. Une mesure qui a plongé l’Argentine pendant 48 heures dans une crise quasi institutionnelle.
Le président de la Banque Centrale est indépendant. C’est pourquoi la présidente a du procéder à son licenciement par décret, signé par tous les membres de son gouvernement, invoquant la « mauvaise conduite ». Martin Redrado est considéré par l’exécutif comme un rebelle puisqu’il a refusé l’usage des réserves de la banque centrale pour le remboursement de la dette. Mais le premier round a pris fin avec une décision de la justice argentine intervenue vendredi soir qui empêche le gouvernement d’utiliser les réserves de la Banque Centrale pour payer la dette, et prévoit le retour dans ces fonctions de Martin Redrado dans ses fonctions.
Il est vrai qu’après l’annonce faite par la présidente Cristina Kirchner, l’opposition - de droite et de gauche- s’est mise vent debout contre cette décision, qui semblait, maladroite - jugée comme autoritaire en ayant recours au décret-et assez inefficace sur le fond. La question de fond est avant tout quelle est la justification de cette dette ? Quelle en est la réalité ?
Quelle légitimité pour la dette ?
La cause évoquée par le gouvernement concernant le licenciement de Redrado est le non respect de l’application du décret 2010/09 concernant Fondo del Bicentenario. Mais que cache cet intitulé ? L’utilisation des réserves monétaires pour payer la dette du pays.
Le point crucial est bien la légitimité de la dette. Un point sur lequel les Kirchner n’ont jamais voulu être offensifs. L’indépendance de la Banque Centrale est toujours un sujet sensible face au pouvoir exécutif. Mais en l’occurrence les liens de Redrado avec la Federal Reserve des Etats-Unis sont connus, sans parler de son passé en Argentine au sein de l’équipe de Menem.
Par ailleurs, l’Argentine fait partie du groupe des 20 en charge du sauvetage de la finance internationale. Il est donc paradoxal de penser qu’aujourd’hui la présidente qui veut payer la dette avec les réserves de la Banque Centrale doit pour se faire affronter Redrado. Où est la manipulation, la déstabilisation ?
Car pour Redrado payer la dette avec les réserves aurait été possible si l’Argentine envisageait de contacter de nouveaux prêts … mais ensuite les arguments ont changé Redrado craignant que cela crée un précédent, que ces réserves servent à quelque nationalisation liée au Bicentenaire comme racheter 50% de la compagnie pétrolière Repsol. Ce qui ne serait pas bien vu du coté des européens ou des Etats-Unis. Les arguments et les coups partent dans tous les sens.
Banquiers et constitutionnalistes débattent
Dans l’univers bancaire les avis ont été durant ces quelques heures de crise très partagés. La dirigeante de la banque Banco Nación, Mercedes Marcó del Pont, a déclaré qu’il était impensable que les choses fonctionnent si l’autorité monétaire n’était pas en phase avec la politique économique menée par le pouvoir exécutif. De son coté, l’ex-chef de Banco Central Javier González Fraga s’est déclaré en faveur de l’utilisation des réserves monétaires pour payer la dette mais « s’interroge sur les pressions faites sur Redrado ». Le dirigeant de Banco Ciudad, Juan Curutchet, a aussi dénoncé ce licenciement. L’ex -ministre de l’Economie Ricardo López Murphy a dit qu’il était opposé au dévoiement de la Carta Orgánica de la Banque Centrale, tant pour la création du Fondo del Bicentenario que pour le licenciement de Redrado.
Quant aux constitutionnalistes, ils sont divisés sur la frontière des attributions. Si le congrès n’exprime pas le contraire, à travers la commission qui contrôle la validité des DNU, ceux ci tiennent valeur de loi. Or sous cet angle, le décret qui a ordonné l’utilisation de ces réserves tient ce rang et donc doit être respecté. Reste qu’il y a un vide juridique, quand le corps parlementaire -dont cette fameuse commission- est en cours de formation. Pour le professeur de droit public Gustavo Arballo, il n’est pas de la compétence du président de la Banque Centrale de juger de la constitutionnalité des normes qui l’engagent. Il peut saisir les tribunaux. L’article 9 de la Carta Orgánica del Central prévoit que le dirigeant de l’autorité monétaire ne doit pas se soumettre à des directives en matière de politique monétaire. Mais s’il s’agit d’un décret ayant rang de loi c’est différent. La désignation du président de Banco Central requiert l’accord du Sénat. Et sa destitution oblige à un passage nécessaire devant un conseil réunissant des membres de l’Assemblée et du Sénat.
L’opposition contre attaque
Vieux débat que celui concernant la politique monétaire au service d’une politique économique. Les défenseurs de la présidente mettent en avant cet argument. Et pourtant la Banque Centrale se doit d’être un organisme indépendant. Ceux-ci expliquent à qui veut l’entendre qu’ « utiliser une partie des réserves accumulées ces dernières années pour affirmer la crédibilité et le respect du remboursement de la dette est normal et techniquement correct ». Mais justement plusieurs voix s’élèvent au sein de la Banque Centrale argentine pour dire que les réserves ne peuvent être utilisées à cette fin. Qu’en plus la méthode en agissant par décret, squeezant le débat au Congrès n’est pas très démocratique, revenant à ne pas respecter les institutions et le débat démocratique. D’ailleurs c’est sur ce point que l’opposition a vivement contre attaqué.
Le député Fernando Solanas a déposé une plainte au pénal contre les responsables du Fondo del Bicentenario, estimant que la communauté devait réagir devant cette nouvelle ruse destinée à cacher les politiques d’endettement aux conséquences catastrophiques pour le peuple argentin. Plainte déposée « pour non respect de l’ordre juridique et constitutionnel » qui détermine qu’un gouvernement ne peut négocier ni payer une dette suspectée d’être une fraude contre l’Etat. Proyecto Sur appelle tous les citoyens, responsables politiques, à mener des actions légales contre les responsables du décret qui a donné naissance à ce fond. Solanas a rappelé que c’est un affront à tous les argentins de prétendre honorer le Bicentenaire de la révolution de mai en payant des dettes frauduleuses et en entretenant le modèle pervers d’endettement qui est un lègue de la dictature militaire de 1976, du ménémisme (Menem), du deluarisme (De La Rua). Autre plainte au pénal aussi déposée par le député Mario Cafiero sur la légalité du DNU 2010 qui crée le Fondo Del Bicentenario et prévoit la possibilité de disposer jusqu’à 40% des réserves.
Ce différend est donc aujourd’hui à plusieurs titres entre les mains de la justice, ce qui prendra plusieurs mois, sans pour autant qu’on soit sûr que l’affaire soit jugée sur le fond.
<U>El Correo</U>. Paris, le 10 janvier 2010.