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2 avril 2022

40 ans depuis la guerre des Malouines, l’impasse avec le Royaume Uni demeure

par Carlos Schmerkin*

 

Cela fait 189 ans que les les Îles Malouines ont été occupées illégalement par les Britanniques. Héritées du royaume d’Espagne lors de son indépendance en 1810, l’Argentine continue à réclamer leur souveraineté depuis l’usurpation en 1833. 40 ans de détresse inouïe des anciens combattants.

Mères de la Place de Mai :
« Les Malouines sont argentines,
les disparus aussi »
© Archivo Madres de Plaza de Mayo

Le 2 avril 1982, la dictature assassine se lance dans une aventure improvisée. Le débarquement aux îles Malouines s’est produit trois jours après la première grande grève générale du 30 mars contre la junte militaire qui régnait à feu et à sang dans le pays depuis le 24/03/1976. Leopoldo Galtieri, - le troisième président de facto après le général Videla et le général Viola- croyait que l’Angleterre n’allait pas intervenir et que Ronald Reagan allait rester neutre car il était son allié et que les USA, promoteurs connus de tous les coups d’État du continent avec l’excuse de la lutte « anticommuniste » n’allaient pas intervenir.

La stratagème pour redorer l’image de la dictature, de plus en plus rejetée par la population, provoqua la mort de centaines de jeunes conscrits. Margaret Thatcher, en envoyant le 5 avril sa flotte pour récupérer les Îles Malouines a mis en déroute l’armée argentine. La reddition fut signée le 14 juin 1982 avec un solde tragique de 649 morts du côté argentin et 255 du côté britannique. Galtieri a dû démissionner le 17 juin et fut remplacé par le général Reynaldo Bignone qui, voyant l’énorme discrédit provoqué par la défaite, appellera l’année suivante à des élections libres. Le 10 décembre 1983, le président élu Raúl Alfonsín créa la CONADEP (Commission nationale sur la disparition de personnes) afin d’enquêter sur les violations de Droits humains pendant les sept années de dictature.

Soldats argentins torturés © CECIM

Dès leur retour, les ex-combattants des Malouines dénoncent leur hiérarchie. Les plaintes évoquent l’imposition des tortures et la privation illégitime de liberté. La principale méthode qui apparaît dans les témoignages est l’ enterrement debout jusqu’au cou dans des puits que les soldats eux-mêmes devaient creuser , l’obligation de se plonger dans l’eau glacée complètement nus , les coups et le manque délibéré d’aliments.

Cette affaire, qui a débuté en 2007, a connu un fort retentissement en avril 2015 avec la déclassification d’archives des forces armées liées au conflit des Malouines. Cent-vingt soldats avaient dénoncé de tels actes visant 95 militaires. Le Parquet n’a retenu que 22 actes de torture survenus sur l’île de la « Gran Malvina » chez les forces spéciales Yapeyú. La justice argentine doit déterminer si ces faits relèvent de crimes contre l’humanité et qu’ils sont par conséquent imprescriptibles.

Les ex-combattants organisés dans le CECIM (Centre d‘anciens combattants Malvinas La Plata) feront une présentation devant la Commission des Nations Unies contre la torture car, selon son secrétaire Ernesto Alonso ils n’ont « aucune confiance en ceux qui dirigent le Pouvoir judiciaire de la Nation », c’est pourquoi « ils travaillent beaucoup avec les instances internationales ».

Selon la dépêche de EFE d’aujourd’hui, l’ancien combattant argentin Silvio Katz soutient que « le plus grand ennemi de la guerre des Malvinas n’était pas l’armée britannique mais ses propres supérieurs », qu’il accuse de torture dans une affaire judiciaire qui contient environ 170 déclarations de victimes contre une centaine de supérieurs. Après des années de silence, Katz, comme des dizaines d’anciens soldats argentins, a décidé de porter plainte afin de mettre les commandants militaires sur le banc des accusés ; d’autres ex-combattants aujourd’hui encore n’ont pas la force de parler.

Il est effrayant de connaître les chiffres des suicides des vétérans des Malouines. Les 52 cas signalés par l’Armée de terre et la Marine sont des chiffres infimes comparés aux estimations des associations d’anciens combattants, qui assurent que plus de 500 vétérans se sont suicidé et on parle de 2 500 décès associés aux effets traumatisants de cette guerre au cours de ces décennies.

Le choix des armes

Le 4 mai 1982 à 11h04, deux avions argentins, des Super Etendard, lancent deux missiles Exocet de fabrication française. L’un d’eux touche le destroyer « HMS Sheffield ». Le navire coule et les Britanniques comptent 20 morts et 24 blessés. Les Argentins viennent de montrer que la vénérable Royal Navy n’est pas invincible. L’Exocet est un missile français conçu par Aérospatiale dans les années 70 et assemblé à Bourges. C’est un « best-seller » vendu à plus de 2 000 exemplaires dans une vingtaine de pays.

Selon le film documentaire « L’affaire des missiles Exocet » de Olivier L. Brunet cet incident devient embarrassant pour la diplomatie française. Si François Mitterrand et Margaret Thatcher sont souvent opposés lorsqu’il s’agit de leadership européen, dès que le conflit des Malouines éclate la France soutient son alliée. Margaret Thatcher menace de rompre toute relation avec la France si tout n’est pas mis en œuvre pour stopper toutes livraisons des Exocet à l’Argentine via un pays tiers car l’Argentine cherche à reconstituer son stock et deux pays semblent disposés à apporter leur soutien : Israël et l’Afrique du Sud. Les services secrets français et anglais s’exécutent.

Toujours selon le documentaire, il reste trois Exocets argentins en service qu’il faut absolument mettre hors d’état de nuire. Une mission secrète baptisée « Plum Duff »[ aussi Opération Mikado] est confiée aux forces spéciales anglaises. L’objectif fixé aux célèbres SAS (Special Air Service), est de repérer les trois missiles et de les supprimer ainsi que les avions et les pilotes. C’est un fiasco et les SAS s’en sortent de justesse grâce à la coopération du Chili de Pinochet. Le 25 mai à 16h32, le cargo « Atlantic Conveyor » est à son tour touché par deux Exocets.

Le différend entre l’Argentine et le Royaume Uni

Les trois archipels objet de ce différend – incluant les Îles Georgie du Sud, Sandwich du Sud et les espaces maritimes environnants- ont une extension de 16 900 km² dont les Îles Malouines qui comptent 12 000 km2. Du point de vue administratif elles font partie de la province de Terre de Feu, Antarctique et îles de l’Atlantique Sud. La distance la plus courte entre les îles et le continent est de 356 km. Port Stanley, la ville principale est a 13 312 km de Londres. Sa population est estimée à 3 500 habitants dont 1 371 sont nés sur les îles. Il s’agit d’une population d’origine britannique provenant de celle installée par le Royaume Uni suite à l’occupation en 1833.

Iles Malouines
© Instituto Geográfico Nacional

La base militaire de « Monte Agradable » compte 1 500 militaires, effectif complètement disproportionné par rapport à la population. La présence des bateaux de guerre, avions de combat, des missiles et un sous marin nucléaire d’attaque type Trafalgar vont bien au-delà de la présumée « condition défensive ». Il s’agit de contrôler une zone stratégique, l’Atlantique Sud et la confluence bi-océanique, l’exploitation de ressources telles que la pêche (58% du PIB des Îles), les hydrocarbures (les Britanniques ont octroyé 34 licences d’exploitation entre 1996 et 2008). Selon l’opérateur Premier Oil, le gisement Sea Lion, découvert en 2010, sera capable de produire 250 millions de barils de pétrole sur 20 ans.

En décembre 1965 l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté la résolution 2065 par laquelle elle prend acte du différend entre l’Argentine et le Royaume Uni concernant la souveraineté des Îles Malouines et invite les deux gouvernements à poursuivre sans délai les négociations afin de trouver une solution pacifique. Dix autres résolutions ont été adoptées dans le même sens et aucune ne contient des références à la libre détermination. Le referendum malouin de mars 2013 n’a aucun effet du point de vue du droit international car les habitants des îles ne sont pas reconnus comme « un peuple » contrairement aux cas classiques de colonialisme. Le Royaume Uni a occupé les Îles et a expulsé la population et les autorités argentines en implantant ses propres colons.

La position argentine

L’obligation de régler le différend de souveraineté exclusivement par des moyens pacifiques, tout en respectant le mode de vie des habitants des îles, est un mandat constitutionnel et constitue une « politique d’État ». L’Argentine s’est engagée à respecter l’identité et le mode de vie des habitants des « Îles Malouines ». La position argentine réclame le respect de l’intégrité territoriale, tel qu’il apparaît dans les principes établis par la résolution mère du processus de décolonisation en 1960 (1514/XV). Outre les Nations Unies, plusieurs forums reconnaissent le droit de l’Argentine contre les activités unilatérales sur les zones du différend : la OEA, Groupe des 77 et la Chine, le Mercosur, la CELAC, etc.

Le président Alberto Fernández élu en octobre 2019 a attribué une haute priorité à la « Question des Îles Malouines ». Depuis septembre 2021, Guillermo Carmona dirige le « Secrétariat Malvinas, Antarctique et Atlantique Sud », créé en 2013 sous la tutelle du ministère des Affaires étrangères.

Dans une interview accordée au journal Los Andes, l’ancien député national (auteur de la loi sur la retraite anticipée pour les ex-combattants de Malvinas) a critiqué la « réticence » britannique à s’asseoir à la table des négociations. Il a également dénoncé les actions unilatérales du Royaume-Uni de pêche et d’exploitation des hydrocarbures ainsi que le processus de militarisation des îles :

« Le Royaume-Uni n’agit pas de manière transparente ou de bonne foi dans son processus de militarisation. Cette situation n’est pas nouvelle. Cela s’est déjà produit dans le conflit de l’Atlantique Sud lui-même. Nous avons récemment appris que l’introduction d’ armes nucléaires pendant la guerre des Malvinas impliquait la présence de quatre navires avec 31 armes nucléaires d’une énorme puissance destructrice. C’est une militarisation qui se fait en contravention de toutes les normes internationales. Parce que l’Atlantique Sud a été déclaré « zone de paix », exempte d’armes nucléaires par les Nations unies. Le Traité de Tlatelolco interdit l’introduction d’armes nucléaires en Amérique latine et dans les mers adjacentes ».

Le Secrétaire aux Malouines soutien que le Royaume-Uni a une position à double standard dans les relations internationales. Par exemple, l’intégrité territoriale que le Royaume-Uni revendique pour l’Ukraine a été violée dans le cas de l’Argentine pendant 189 ans ! »

« Contrairement à ce que dit le Royaume-Uni, l’Argentine a une politique de préoccupation pour la situation des insulaires et de recherche de l’intégration de ces habitants dans la communauté nationale argentine. Toute personne née dans les îles Malvinas a le droit d’affirmer son statut d’Argentin en présentant son acte de naissance et en demandant sa carte d’identité nationale. En fait, il y a eu des cas d’insulaires qui ont fait leur document et ont pu avoir une vie sur le continent argentin comme n’importe qui d’autre ».

A la question sur une éventuelle négociation, quelle marge de manœuvre l’Argentine a-t-elle ?

La Constitution nationale établit une limite claire : les Malouines, la Géorgie du Sud, Sandwich du Sud et les espaces maritimes correspondants, sont argentins. C’est la limite de toute négociation. Les conditions et modalités peuvent être négociées. La souveraineté ne se négocie pas. Cela est inscrit dans la Constitution nationale en tant que politique de l’État.

Si un dialogue et des possibilités de négociation étaient ouverts, d’autres conditions pourraient être mises sur la table de discussion comme les expériences des pays comme la Chine concernant Hong Kong, le cas du Panamá concernant le canal ou le cas des pays qui ont réalisé la décolonisation. Dans ces cas, les conditions, les délais, les modalités pourraient être discutés. Ces types d’expériences internationales sont pour nous des références.

Le 2 avril, la « Journée des anciens combattants et des morts de la guerre des Malvinas » sera commémorée dans tous le pays. Une occasion pour prendre conscience de la nécessité de défendre l’intégrité territoriale, de lutter pour un pays juste, libre, solidaire et souverain. En cette époque de guerres et d’absence de révolutions, il nous reste qu’à souhaiter la paix et penser qu’un autre monde est possible.

Carlos Schmerkin* pour son blog personnel

Carlos Schmerkin. Paris, le 2 avril 2022

*Carlos Schmerkin Ancien réfugié politique argentin, co-auteur de « La colombe entravée, récits de prison, Argentine 1975-1979 » (2004), Editions Tiempo), membre fondateur de l’Assemblée de Citoyens Argentins en France (ACAF). Membre de l’Internationale Progressiste. @CSchmerkin

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