Portada del sitio > Nuestra América > Hermano Indígena > 30 000 Indiens contre Texaco en Equateur
Pendant plus d’une semaine, agriculteurs et Indiens d’Equateur ont tenu en haleine tout le pays. Motif : leur plainte contre un des géants du pétrole, ChevronTexaco, qu’ils accusent de dommages environnementaux. Le procès vient de s’achever. Tous attendent le verdict, qui devrait être connu dans les prochaines semaines.
"Le procès du siècle commence". Le titre qui barre la une du quotidien La Hora, dans son édition du 22 octobre, résume la teneur des articles de la presse équatorienne au lendemain de l’ouverture de l’action en justice qui oppose près de 30 000 Indiens et agriculteurs à la société pétrolière étasunienne Chevron-Texaco, qui, de 1972 à 1992, a opéré en Equateur. D’après la plainte déposée devant la Cour supérieure de justice de Nueva Loja, à 180 kilomètres au nord-est de Quito, et que le juge Alberto Guerra Bastidas a estimé recevable au mois de mai dernier, "Chevron-Texaco a utilisé des méthodes [d’excavation] abandonnées ou interdites dans d’autres pays en raison de leurs effets nocifs pour l’environnement et la santé. Cette attitude a causé de nombreux dégâts environnementaux, a détérioré la santé des habitants et a détruit une partie du patrimoine."
Le document officiel admet cependant que Texaco "a réalisé des travaux de reconstruction", mais précise que ceux-ci "ont été très insuffisants".
L’audience d’ouverture donne le ton et la stratégie employés par les avocats des différentes parties. D’entrée de jeu, les défenseurs de la Texaco tentent, purement et simplement, de faire annuler le procès. Une attitude qui agace non seulement le juge, mais aussi El Comercio, le plus important quotidien du pays : "Adolfo Callejas, avocat de Texaco, commence par dire au magistrat qu’il n’est pas compétent pour juger cette affaire", explique le quotidien. Qui poursuit : "Cette première intervention n’est pas du tout du goût du juge, ni des plaignants." D’ailleurs, le magistrat, après une première interruption de séance, assure : "Je me considère comme compétent et cette cour est la bonne juridiction pour juger ce cas." Pour La Hora, les paroles de l’avocat de la société étatsunienne sont pour le moins mal venues : "Nous allons recourir à toutes les instances possibles pour démontrer que ChevronTexaco n’est pas responsable de pollution dans l’Est équatorien." Alberto Wray, avocat qui défend les Indiens, rappelle dans ce même quotidien que "les dommages causés il y a trente ans ont engendré une pollution toujours active aujourd’hui car les produits sont encore présents dans le sol".
Désastre écologique
Tout au long des neuf jours du procès, qui s’est achevé le 29 octobre et dont le verdict sera connu dans les prochaines semaines, Texaco a tenté de montrer qu’il n’avait pas pollué et, surtout, que les plaignants n’apportaient aucune preuve. Pourtant, un témoin de marque est venu confirmer les dires des 30 000 agriculteurs et Indiens qui se plaignent. Comme le rapporte El Universo, "René Vargas Pazzos, ancien ministre des Ressources naturelles, a expliqué que l’Equateur a payé très cher son inexpérience en matière d’exploitation pétrolière." Avant d’ajouter, précise le quotidien de Guayaquil, que "ce qui a été fait [à l’environnement et aux hommes] est terrible et criminel. Nous nous en sommes rendu compte en 1992, au moment où Texaco terminait ses opérations. El Universo reprend, dans un autre article, les arguments d’un autre avocat des plaignants, l’Etatsunien Steven Donziger, plutôt confiant en l’issue du procès. "Nous avons toutes les preuves" pour faire condamner Texaco. "C’est un moment historique pour ce pays, c’est la première fois qu’une société qui a réalisé des bénéfices grâce aux richesses d’un pays revient devant la justice de ce même pays pour répondre de ses actes."
D’après plusieurs associations locales, Texaco aurait amassé plus de 30 milliards de dollars en vingt ans d’exploitation du pétrole de l’Amazonie équatorienne.
Outre les questions purement juridiques sur la compétence du tribunal local, ce procès inédit, mettant pour la première fois en cause une entreprise étatsunienne dans une affaire de pollution à l’étranger, doit apporter une réponse chiffrée aux dommages causés. D’après El Comercio, "les écologistes estiment à 6 milliards de dollars le coût des réparations." Un calcul jugé "conservateur" par un des experts en environnement qui soutient l’action des Indiens. David Russel déclare en effet au quotidien de Quito que "Texaco a laissé derrière lui le désastre écologique le plus important d’Amérique latine." Dans ce que El Comercio appelle "la lutte de David contre Goliath", le journal revient sur le soutien dont bénéficient les plaignants en la personne de Bianca Jagger, ex-femme du chanteur des Rolling Stones. Pour cette militante des droits de l’homme, "la seule façon de faire entendre raison à une multinationale est de la frapper au portefeuille."
Par Marc Fernandez
Courrier international
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