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5 février 2015

« Le cyberespace est une zone sans loi » Daniel Ventre

par Rafael Poch de Feliu*

 

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« Les états ne se sentent pas limités, ils préfèrent militariser le cyberespace », affirme Daniel Ventre [eConflits], spécialiste en cybersécurité au sein du CNRS en France ( NDT : et au CESDIP]) . « Tout ce qui affecte ces personnes est question d’espionnage et de sécurité nationale », dit-il à propos Wikileaks

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Le cyberespace est un terrain étranger au droit, et les états ne semblent pas très préoccupés pour remédier à cela, dit Daniel Ventre, chercheur du Centre National de Recherche Scientifique (CNRS) et titulaire de la chaire de Cybersécurité et Cyberdéfense des écoles militaires de Saint-Cyr Coëtquidan de l’armée française. Ventre est l’un des auteurs du dernier Dossier La Vanguardia , consacré à la cyberguerre, qui à été présenté à Madrid . Tout conflit armé a aujourd’hui une dimension cybernéticienne, explique t-il. La cyberguerre s’étend des actions militaires afin d’ enlever des capacités à l’adversaire, jusqu’à une manipulation des réseaux sociaux.

Les propositions de politiques et de communicateurs étasuniens d’assassiner Julian Assange ou Edward Snowden, les deux années du premier réfugié dans une ambassade à Londres et de l’autre à Moscou, les 35 ans de prison pour Chelsea Manning et d’autres dissidents : est-ce que tout cela fait partie de la cyberguerre ?

Oui, parce que tout ce qui affecte ces personnes relève d’espionnage et de sécurité nationale. Une information secrète a été divulguée. La puissance dans le cyberespace est basée sur le secret. Un État qui veut être une cyberpuissance doit être entouré de secret. C’est quelque chose qui vaut pour d’autres environnements militaires. Avec Assange et Snowden, nous sommes dans le domaine de la sécurité nationale et à la périphérie des questions de cyberguerre.

Existe-t-il, ou devrait-il exister, en matière de droit une espèce de Convention de Genève en matière de cyberguerre ?

Depuis longtemps des réflexions sont menées pour savoir si le droit international doit s’appliquer. Les uns disent que oui, les autres disent que non, mais le fait est qu’il n’y a aucun droit qui encadre ce domaine. On agit de façon égoïste en ignorant en partie le droit sachant que dans les cyberopérations militaires il y a rarement des victimes. Les États ne se sentent pas limités par le droit et se focalisent pour explorer les possibilités guerrières du cyberespace. Il se peut que cela change.

Nous sommes donc dans un espace sauvage. Croyez-vous que le droit, qui est quelque chose qui se développe d’une manière très lente, pourra un jour attraper la technologie digitale qui évolue et se développe à une vitesse, disons, stratosphérique ?

Depuis vingt ans on constate que la technologie avance beaucoup et le droit non. Ce n’est pas un problème de juristes, mais de définition, de coopération internationale. Ce sont les états qui marquent le jeu et pour le moment ils ne sont pas disposés à entrer dans cela. La technologie va de l’avant, mais on peut faire des lois qui l’anticipent. En France, nous avons une loi de 1988 qui interdit les attaques et les intrusions, et qui s’applique aujourd’hui dans les cas de piratage informatique. Quelle que soit la technologie, il y a des principes qui existent au-dessus d’elle.

Depuis les révélations de Snowden qui ont démontrées que les États-Unis ont créé le système de surveillance le plus grand de l’histoire, et d’Assange dans son dernier livre, qui présente Google comme une entreprise de ce système : croyez-vous qu’on peut continuer à soutenir que le danger d’un contrôle orwelliano se situe dans des pays comme la Chine ou la Russie ?

Le danger de contrôle est partout...

Comme possibilité, oui, mais : dans la pratique... ?

Dans la pratique, il est dans tous les États qui sont dotés de technologies de surveillance. Naturellement son efficacité dépend de sa capacité technologique, mais il peut se trouver aussi dans de petits pays. Le niveau d’intrusion dans la vie des individus dépend de l’utilisation qui est faite des données. On peut avoir des caméras vidéo partout sans qu’il n’y ait de conséquences. La différence réside dans les facteurs qui légitiment cette surveillance. D’un autre côté, nous pouvons avoir un pays qui est aujourd’hui démocratique et qui demain ne l’est plus, il peut y avoir des changements de régime, et c’est là qu’ on peut craindre que ces technologies tombent entre des mains peu recommandables. Et cela vaut pour la cyberguerre. Il s’agit de réunir des données et des informations sur l’ennemi, mais : qui sera l’ennemi de demain ? Peut-être les associés d’aujourd’hui, ces choses changent.

Vous écrivez dans notre dossier que « l’Europe participe à la sécurité collective avec son intervention dans la gestion de crises régionales à travers la promotion de valeurs universelles ». Sommes-nous devant la « fin de l’histoire », dans l’ère heureuse de la « guerre humanitaire » ?

Aujourd’hui nous sommes à la frontière de beaucoup de choses. Ce qui se passe au Moyen-Orient modifie beaucoup de certitudes. Le rôle des États, de l’Europe, des USA... Il y a beaucoup de versions contradictoires. On nous a dit que les États n’étaient plus les acteurs dominants de la scène internationale, maintenant ce seraient les acteurs non étatiques, on nous a parlé du poids des citoyens, pendant la période des printemps arabes, que le réseau social en terminerait avec les dictatures, de la fin des conflits territoriaux... toutes ces lectures sont reconsidérées. Il n’y a rien du tout de ferme et définitif.

Rafael Poch pour La Vanguardia depuis Paris

La Vanguardia. Barcelonne, 4 février 2015.

* Rafael Poch, Rafael Poch-de-Feliu (Barcelone, 1956) a été vingt ans correspondant de « La Vanguardia » à Moscou et à Pékin. Avant il a étudié l’Histoire contemporaine à Barcelone et à Berlin-Ouest, il a été correspondant en Espagne du « Die Tageszeitung », rédacteur de l’agence allemande de presse « DPA » à Hambourg et correspondant itinérant en Europe de l’Est (1983 à 1987). Actuellement correspondant de « La Vanguardia » à Paris.

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