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7 novembre 2003

L’Opération Peter Pan o Pedro Pan

 

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Entre 1960 et 1962, 14.000 enfants cubains ont quitté secrètement leur pays pour les États-Unis. Cette opération spectaculaire, surnommée Pedro Pan (Peter Pan), fut encouragée par le Département d’État américain et la CIA afin d’aider les familles cubaines qui désiraient sauver leurs enfants du communisme. Aujourd’hui, quarante ans plus tard, certains enfants se voient comme des emblèmes de la lutte contre le communisme et d’autres, comme des otages d’une guerre.

LES ENFANTS DE PEDRO PAN

Une campagne de peur

Cette histoire débute en janvier 1959, au cœur d’un pays en pleine révolution, au moment où Fidel Castro défile triomphant dans les rues de La Havane à Cuba. Mais l’euphorie collective qu’entraîne la chute du dictateur Batista fait place peu à peu à l’inquiétude. Le clergé catholique, qui s’oppose à certaines réformes, fait l’objet de répression. Les arrestations d’opposants se multiplient et des histoires inquiétantes circulent. Ces histoires sont principalement véhiculées par "Radio Swan", une radio privée hostile au nouveau régime cubain et qui émet depuis une île au large du Honduras. La radio annonce qu’il y aura bientôt une loi à Cuba qui obligera les enfants à quitter leurs parents : « Ils vous prendront vos enfants quand ils auront cinq ans et les garderont jusqu’à l’âge de 18 ans. Ne leur laissez pas vos enfants ! Allez à l’église et suivez les instructions de votre clergé. »

Même le très sérieux Time Magazine aux États-Unis parle d’un projet de loi cubain visant à "nationaliser" les familles. L’article, daté du 6 octobre 1961, explique que les enfants de trois à dix ans vivraient dans des dortoirs d’État et ne verraient leurs parents que deux fois par mois.

Le rôle de la CIA

Des documents déclassifiés récemment prouvent que la CIA était effectivement impliquée dans l’Opération Pedro Pan. Les informations propagées par Radio Swan, sur la nationalisation des familles, se sont révélées fausses.

Wayne Smith était conseiller de l’ambassadeur des Etats-Unis au moment de la révolution cubaine. Il a connu le directeur de "Radio Swan", David Phillips. Selon Wayne Smith, cette histoire de nationalisation des familles était fausse et elle a été largement diffusée par "Radio Swan" et par des agents de la CIA pour nourrir le mécontentement populaire envers le gouvernement. Très actif en Amérique latine à cette époque, David Phillips était un agent de la CIA, spécialisé dans les opérations noires. En 1954, au Guatemala, il dirigeait la campagne de propagande et sa station de radio a permis de renverser le gouvernement élu de Jacobo Arbenz en diffusant de la fausse information. Au début des années 70, il a aussi participé à une mission secrète qui visait à empêcher la prise de pouvoir de Salvador Allende au Chili. On aurait même vu cet homme en compagnie de Lee Harvey Oswald, quelques semaines avant l’assassinat du président Kennedy.

Poussés par Radio Swan, les parents désespérés se précipitaient vers le groupe Rescate, ne sachant pas que cette organisation était financée par la CIA.

Albertina O’Farril reconnaît aujourd’hui avoir fait partie de cette organisation clandestine composée de riches Cubains impliqués dans l’Opération Pedro Pan. Albertina O’Farril confirme qu’en plus de permettre à des enfants de quitter Cuba, le groupe Rescate participait à des activités d’espionnage et de subversion. Ce groupe a imprimé le faux projet de décret gouvernemental confirmant que l’État cubain allait nationaliser les familles. Rescate a aussi été impliqué dans deux tentatives d’assassinat contre Fidel Castro.

Radio Swan et Rescate faisaient partie d’une vaste opération autorisée par le président Eisenhower en mars 1960, pour renverser le régime Castro.

L’Opération Mangouste

L’échec de l’invasion de la "Baie des Cochons" marque la fin du programme de subversion initié par le président Eisenhower, mais surtout détruit les espoirs des enfants de Pedro Pan qui rêvaient de revoir rapidement leurs parents.

L’exploitation politique des enfants cubains continue avec le président Kennedy, qui autorise un vaste plan pour déstabiliser et saboter le régime cubain : l’Opération Mangouste.

Maria Torres, une enfant de l’ "Opération Peter Pan", enquête depuis dix ans sur l’exode des enfants cubains. Elle est chercheuse et professeure de sciences politiques à l’Université DePaul de Chicago. Elle a appris qu’avec l’ "Opération Mangouste", on voulait notamment exploiter l’image des enfants. Le gouvernement étasuniens a réalisé un film de propagande, qui s’adressait avant tout aux pays latino-américains tentés de suivre l’exemple cubain.

Maria Torres a mis la main sur d’autres documents déclassifiés qui démontrent que le gouvernement américain ne voulait pas que les familles se réunissent. Le gouvernement américain a refusé l’offre des Nations Unies de payer des billets d’avion aux parents cubains désireux de retrouver leurs enfants aux États-Unis. Par cette décision politique, le gouvernement américain empêchait ainsi des milliers d’enfants de vivre avec leurs parents.

Des enfants déracinés

Ces milliers d’enfants ont été pris en charge à leur arrivée à Miami par le Catholic Welfare Bureau, dirigé par le père Walsh. En raison des tensions grandissantes entre Cuba et les États-Unis, les parents tardent à rejoindre leurs enfants. Comme les camps sont débordés, le Catholic Welfare Bureau décide d’envoyer les jeunes Cubains partout au pays, dans des maisons de redressement, des orphelinats ou encore des familles d’accueil.

Candy Sosa, une enfant de Peter Pan, chante aujourd’hui dans différentes boîtes de nuit dans les environs de Los Angeles. Sa mère, comme bon nombre de parents, a envoyé trois de ses quatre enfants à l’abri, aux États-Unis. Les parents pensaient rejoindre leurs petits quelques semaines plus tard. Candy Sosa passera quelque temps dans les camps du Catholic Welfare Bureau : « C’était comme un camp militaire. Au début, j’ai eu de la difficulté à m’adapter parce que je n’étais pas habituée à ça. Mais mon frère était séparé de nous et c’était pire pour lui ; c’était l’agonie. » Ensuite, elle a été dans une famille. Elle sera abusée sexuellement durant un an et demi. Lorsque ses parents arrivent finalement aux États-Unis, la famille qui se présente à elle n’a plus rien à voir avec ses souvenirs d’enfance.

Rafael Ravelo est un autre enfant de l’Opération Peter Pan. À 13 ans, il quitte ses parents et ses trois sœurs. Les frères des écoles chrétiennes ont convaincu la mère d’envoyer son fils aux États-Unis jusqu’à ce que Fidel Castro perde le pouvoir. Rafael Ravelo, visiblement très ému : « Lorsque j’ai quitté Cuba, je me souviens surtout de mon père. Je n’avais jamais vu mon père pleurer et il ne m’embrassait jamais. Mais ce matin là, il s’est levé à 5 heures et il n’arrêtait pas de pleurer. Il m’a serré dans ses bras et il m’a dit que les frères des écoles chrétiennes étaient de bonnes personnes. Il n’est pas venu à l’aéroport. » Après 18 ans d’exil, il retrouvera enfin sa famille.

Emilio Cueto est avocat à la Banque Interaméricaine de Développement (BID. Cet enfant de l’Opération Peter Pan est resté seul puisque sa famille n’est jamais venue le rejoindre aux États-Unis. La majorité des enfants on attendu en moyenne quatre à cinq ans avant de retrouver leurs parents. Pour d’autres, les retrouvailles tardent. Emilio Cueto ne reverra sa famille que 16 ans plus tard. Son appartement est rempli d’objets et de souvenirs cubains. Emilio Cueto : « Voici ma chambre, je dors chaque nuit à La Havane, avec visa, sans visa, si le gouvernement le veut ou pas. Mais surtout, je refais le pays qui n’existe pas car ici se trouvent les gens qui se trouvent à Cuba et à l’extérieur. Quand même, on ne peut pas vivre séparés toute la vie, il faut que ça finisse un jour. »

En conclusion

Que ce soit Candy Sosa, Rafael Ravelo ou Emilio Cueto, les enfants de Pedro Pan sont les enfants d’une guerre froide, manipulés par des adultes. Ils les ont utilisés comme de petits automates que l’on monte et démonte afin d’animer le grand jeu politique - un jeu d’adultes qui ne se soucie guère du bien-être des petits.

Par Pierre Duchesne et Christine Gautrin
Radio Canada. Canda, le 7 novembre 2003

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