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12 octobre 2018

Crise, chômage, troque, des disparus sociaux et soupe populaire

L’Argentine « en thérapie intensive »

par Stella Calloni *

 

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Dans un contexte de plus en plus tendu, où la crise sociale est de plus en plus profonde comme le révèlent les mille et quelques soupes populaires organisées dans différents quartiers, les cantines publiques fonctionnant même dans des écoles publiques fermées par le gouvernement provincial, dans les églises des quartiers les plus défavorisés et le système de troc, qui a commencé l’année dernière dans les localités de la province de Cordoba, se répand dans certaines municipalités de l’agglomération, de toutes parts éclatent les scandales d’une justice qui viole les lois et la constitution, instrumentalisée qu’elle est par le gouvernement pour traquer des opposants.

Tout semble sur le point d’exploser ; l’entrepreneur Jorge Fontevechia, patron de la maison d’édition Perfil, a révélé dans un entretien que le juge Claudio Bonadío s’occupe de l’affaire des photocopies de supposés cahiers de l’ex chauffeur d’un fonctionnaire dans la seule finalité de faire incarcérer Cristina Fernandez de Kirchner. Simultanément, le procureur Guillermo Marijuan vient de créer la surprise en poursuivant pénalement le ministre de l’Énergie, Javier Iguacel, pour « abus d’autorité et manquement à ses obligations de fonctionnaire de l’état » pour avoir octroyé une compensation aux fournisseurs de gaz pour la dévaluation du peso, ce qui s’est traduit par une nouvelle augmentation des tarifs.

D’autres organismes l’ont dénoncé et ces derniers jours, une demande de procès politique contre le Président Mauricio Macri a été intentée pour toutes les violations des droits du peuple argentin commises par son gouvernement, droits de l’homme compris. Iguacel a répartit que tous les critiques appartiennent au « Kirshnérisme », en dépit du fait que c’est l’opposition dans son ensemble qui s’est révoltée contre cette dernière injustice.

De son côté, le Centre d’Économie Politique (CEPA) dans son analyse sur le recouvrement rétroactif du gaz, prévient qu’avec « l’augmentation qui a commencé à s’appliquer ce mois-ci, la facture moyenne cumule, pour ce qui est de la gestion Cambiemos, une augmentation de 1 848% ». Et tout ceci au milieu de la dégradation de la situation sociale, tandis que le président Macri parle de futur « prometteur ».

Ceci est en train de provoquer une rébellion populaire manifeste qui a créé un réseau appelant à ne pas payer ces 24 échéances qui vont aller grossir les tarifs de gaz qui viennent d’augmenter récemment – déjà hors de prix – et l’opposition s’est réunie pour débattre au congrès et légiférer contre cette mesure inouïe.

Fontevecchia a affirmé que Bonadio manipule les déclarations des « repentis » pour porter préjudice à Fernandez de Kirchner et ainsi éviter que l’investigation n’atteigne les personnes inadéquates.

Dans une entrevue avec le journaliste Carlos Pagni, sur la chaîne de télévision de La Nacion, il a rapporté que lorsque les entrepreneurs commencent leur déclaration face à Bonadío et le procureur Stornelli, ils leur disent « Arrêtez, arrêtez, arrêtez, le seul objectif c’est que Cristina aille en prison, mais personne d’autre ».

Ainsi, la Cour de Cassation, également constituée de juges, alliés du gouvernement de Mauricio Macri, a validé les poursuites judiciaires contre l’ex présidente, ses enfants Maximo et Florencia, ainsi que d’autres anciens fonctionnaires.

Tout dernièrement, Bonadío a cité Máximo Kirchner, député du Front pour la Victoire – parti justicialiste dans le cadre de la même affaire des photocopies des cahiers du chauffeur Oscar Centeno, après que l’ex fonctionnaire José Lopez l’ait mentionné dans sa déclaration auprès du magistrat.

José Lopez est le repenti qui a jeté des sacs contenant 9 millions de dollars à l’intérieur d’un couvent ; il est en prison et a modifié plus de six fois ses déclarations. C’est Bonadío qui l’a poussé à « se repentir » pour l’utiliser dans l’affaire des cahiers contre Fernandez de Kirchner.

C’est ce qui ces jours-ci a poussé des fonctionnaires de l’Exécutif à alerter sur la gravité de l’abus des détentions préventives et a également suscité l’intervention d’organismes internationaux face à cette situation. Ceci a également provoqué une crise au sein l’alliance Cambiemos elle-même, en particulier en raison de l’affrontement avec la députée Elisa Carrió.

Cependant, la dégradation de la situation sociale est insoutenable. Près de 10 000 familles vivent dans les rues. Sur l’avenue Paseo Colon, les familles qui sont pratiquement comme des réfugiés, ont supporté les tempêtes d’il y a quelques jours. Des personnes de bonne volonté leur apportent vivres et vêtements. La vision de ces trottoirs où s’agglutinent environ cinq familles recouvertes seulement de plastiques, seul refuge contre la pluie, est dantesque.

Ce mardi nous nous sommes rendus dans les longues queues d’une cantine dans deux églises du quartier d’Almagro. Les témoignages sont bouleversants. Elvira, 80 ans, n’a pu payer la chambre qu’elle louait, car presque toute sa pension y passait. Elle dormait sous l’auvent d’une vieille maison. Une famille avec cinq enfants attendait son unique repas de la journée. Les religieux demandent à tous les voisins d’apporter ce qu’ils peuvent, le nombre de ceux qui ont faim ayant augmenté cinq à sept fois depuis l’année dernière.

Un travailleur d’une PME qui a fermé il y a sept mois – l’une des dix mille qui a fait faillite à cause de la crise -, n’a pu retenir un sanglot en se voyant dans cette situation. Avec sa femme et ses deux enfants, ils ont dû quitter le petit appartement qu’ils louaient. « Nous n’avons pas les moyens de résister, je connais des milliers de chômeurs. Nous sommes des disparus sociaux. Personne ne nous voit ni ne nous entend. Seule la bonne volonté de ceux qui nous donnent un repas par jour. »

Dans tout le pays, dans les zones de plus en plus appauvries, comme l’a publié La Jornada l’année dernière, le troc est commun. Des milliers d’employés de commerce sont à la rue et nous voyons chaque jour dans les quartiers les rideaux des petits magasins se fermer.

Dans certaines zones de l’agglomération, les instituteurs qui ne font pas cours se réunissent dans les cours d’écoles, surtout à l’ouest, dans la municipalité de Moreno, pour organiser des soupes populaires. La nourriture manque de plus en plus mais elle est distribuée en faisant preuve d’une solidarité impressionnante. Personne ne doute désormais que nous nous rapprochons à grands pas du 20 décembre 2001. Ni le Fonds monétaire international, ni d’autres organismes internationaux attirent l’attention dans leurs notes sur la gravité de cette crise, tandis que le gouvernement continue de rêver au prochain sommet du G-20 dans un pays en thérapie intensive.

Stella Calloni* Correspondante pour La Jornada

La Jornada. Buenos Aires, 10 octobre 2018, p 32

* Stella Calloni. Journaliste argentine, chercheur, spécialement en contre-insurrection et l’ « Opération Condor », parmi d’autres sujets.

Traduit de l’espagnol pour El Correo de la Diaspora par : Claudia Carlisky

El Correo de la Diaspora. Paris, le 12 octobre 2018

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