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28 février 2008

Israël en Amérique Latine

par José Steinsleger *

 

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« I »

Personne n’a imaginé, il y a 60 ans, que l’État de l’Israël, dont le peuple a rêvé pendant des siècles du « droit d’exister », finirait en le refusant à ses cousins palestiniens. Personne n’a imaginé que les chefs politiques du peuple élu finiraient par provoquer le terrorisme international, aux côtés des États-Unis.

Dans l’industrie de l’armement israélienne travaille un quart de la population économiquement active. Qui sont ses clients ? Pas ceux qui rêvent aussi avec leur « droit d’exister », mais les régimes qui réalisent des affaires juteuses, en s’adaptant aux règles du « libre marché ». Money, money, money.

Au début du mois a filtré que la Colombie achètera à Israël 24 avions supersoniques « rénovés » du type « Kfir » que les agents du Mossad ont contribué à dessiner en volant les plans du Mirage français, de même qu’ils ont aussi copié le tanker Merkava de l’Anglais Chieftain, et le fusil Galil de l’AK soviétique [Kalachnikov].

En dehors des transactions commerciales et des détails techniques, on remercie l’honnêteté de Juan Manuel Santos, ministre de la Défense de la Colombie : « On pense au conflit armé interne, pas chez les voisins ». Ou bien : chez les voisins. Ou bien : au Venezuela. Mais à voir … : Shakira n’a-t-elle pas dit que les Colombiens « sont-fatigués-de-la-guerre » ? Pressez-le à cocher « oui », « non », « je ne sais pas », « ça m’est égal », parce que le satrape de Álvaro Uribe Vélez est en route pour troisième ré- élection, et avec les gringos ils ont des idées.

Les intérêts d’armement d’Israël en Amérique Latine ont déjà une longue expérience. Là où il y a des œufs de serpent, ses marchands se font présents pour le gâter, l’orienter, l’entraîner, et pour lui vendre … de la « sécurité ». Ils ont commencé en secret au début de la décennie 1970, quand existaient encore des gouvernements qui croyaient au Droit international.

Précisément, la coopération stratégique Washington-Tel Aviv en Amérique Latine date de 1962, quand le gouvernement de Kennedy a incorporé aux « Corps de Paix » des techniciens sionistes pour diffuser le coopérativisme agraire comme forme de guerre psychologique dans un continent attiré par la révolution cubaine.

Après le coup d’État au Chili (le 11 septembre 1973), Israël a vendu à Pinochet des fusées « air-air » Shafir, tandis que des instructeurs israéliens atterrissaient à Santiago et des officiers chiliens peuplaient les académies militaires israéliennes. Israël et le régime raciste de l’Afrique du Sud étaient jusqu’alors les pays les plus amis du Chili.

La vieille doctrine extérieure d’Abba Eban (ministre des Affaires étrangères israélien, 1915-2002), diviser le spectre mondial entre les amis d’Israël et les amis des Arabes, a été substitué par Ariel Sharon, en s’approchant de la doctrine du Pentagone.

« L’effort militaire d’Israël – soulignait Sharon – est le principal à tous les niveaux et doit être dirigé dans la perspective d’un conflit global entre le monde communiste et l’Occident du capitalisme libre, en soutenant par les armes la cause occidentale dans n’importe quelle partie du monde ».

Ensuite, le préambule et le premier point de l’accord de coopération stratégique souscrit par Ronald Reagan et Menajem Beguin a patronné « des opérations conjointes au-delà de la zone de la Méditerranée ».

Le point trois de l’accord stipulait « une coopération étroite dans l’orientation de l’assistance militaire dans tout le tiers monde ». Et pour ce faire, Sharon a embauché l’étasunien Arie Granger pour effectuer une étude approfondie sur le marketing des armements en Amérique Latine.

Selon un éditorial de The Guardian (27/8/82) et Le Monde Diplomatique (octobre 1982), les deux signés par l’analyste Ignacio Klich, Israël aspirait à « … devenir le mandataire des États-Unis en Amérique Centrale, aux Caraïbes , en Afrique du Sud et à Taiwan, puisque pour des raisons politiques Washington ne peut offrir toute l’assistance militaire requise par les régimes amis ».

Rappelons le cas du Mexicain Marcos Katz, représentant officiel des industries aéronautiques israéliennes au Mexique et en Amérique Centrale. En juillet 1977, Katz s’est trouvé en difficulté quand le quotidien Haaretz de Tel Aviv l’a signalé comme l’affreteur d’un avion de transport argentin confisqué à l’aéroport de Siwell, aux Barbades. L’avion transportait 26 tonnes d’armes et de munitions vendues par Israël au Guatemala et embarquées par Katz au Portugal.

Le gouvernement de Bridgetown a présenté une plainte au gouvernement israélien. « Les armes – a-t-il observé – seront destinées au pays de l’Amérique Centrale compte tenu « du problème avec Belize » (dont le Guatemala réclamait la souveraineté).

Curieusement, Tel Aviv a « démontré » que l’avion qui les a transportées n’est pas sorti d’Israël. Et Katz ? Oubliez. En 1976, le gentleman avait donné 50 000 dollars à l’Université Religieuse Israélienne Bar Ilan pour créer une chaire au nom de ses parents, et Tel Aviv a considéré le sujet clos.

En 1978, après la suspension de l’aide militaire yankee au Guatemala pour violation systématique des droits de l’homme, Israël s’est apitoyé sur le régime génocidaire et lui a vendu 11 avions Arawa, 10 blindés RBY-MK, 15 000 fusils Galil, des mortiers de 81 mms, des bazookas, lance-grenades, trois garde-côtes Dabier, un système de transmissions tactiques, un circuit de radars et 120 tonnes de munitions.

« II »

Lors d’une séance du Tribunal Permanent des Peuples (Madrid, 1983), l’ex-secrétaire de presse du Ministère de l’Intérieur du Guatemala, Elías Barahona, a déclaré que dès 1977 Israël était « … l’associé principal des États-Unis pour sa stratégie militaire en Amérique Centrale ».

Barahona avait été un témoin d’exception du massacre commis par l’armée guatémaltèque contre un groupe de réfugiés dans l’ambassade d’Espagne le 31 janvier 1980, fait au cours duquel ont perdu la vie quelques parents de Rigoberta Menchú, la prix Nobel de la Paix.

Le discrédit de l’homme condamné pour génocide qui présidait alors ce pays d’Amérique Centrale, le général Fernando Lucas García (1978-82), a amené la CIA et le Mossad à chercher l’homme « idoine ». Pour des raisons commerciales évidentes, les Israéliens ont choisi le général Efraín Ríos Montt, officier de la force aérienne, qui en mars 1982 a fait un coup d’État et s’est mis à l’œuvre.

Le programme de Rios Montt s’appelait les « Fusils et les Haricots », une tactique anti guerrilla qui a donné des résultats macabres. Il s’agissait de rassembler la paysannerie dans des « campements modèles » pour isoler la base sociale du groupe de guérilleros. Les campements se sont convertis en centres d’extermination massifs, et jusqu’à aujourd’hui on continue de découvrir les fosses communes dans lesquelles des milliers de victimes ont été jetées.

L’assistance israélienne, consistait à « modifier le schéma de population et d’activité laborieuse », euphémisme caché dans le terme insolite de « palestinisation ». Simultanément, dans la jungle du département d’Alta Verapaz, Tadiran Israel Electronics montait une usine de munitions, de mitrailleuses Uzi et fusils Galil.

De son côté, la Tagle Military Gear Overseas, avec son siège à Tel Aviv, a installé une filiale dans l’hôtel Cortijo Reforma de la ville de Guatemala. Affaire qui comportait ses risques. Un groupe de guerilleros du Salvador a tué l’importateur d’armes et le consul honoraire israélien Ernesto Liebes, signalé comme « criminel de guerre pour l’assassinat de milliers de civils du Salvador ».

Les zones dévastées par l’ethnocide guatémaltèque étaient situées au nord du pays, riche en pétrole, uranium, cuivre, cobalt, nickel, chrome, magnésium et asbeste, des minerais sensibles très demandés aux États-Unis. L’insertion israélienne dans la zone a fonctionné dans le cadre de la protection stratégique de Washington dans le « triangle Guatemala-Salvador-Honduras ».

La relève d’Israël pour couvrir les arrières de Washington en Amérique centrale était assurée dès 1975. Par exemple, jusqu’à 10 jours avant la chute d’Anastasio Somoza (juillet 1979), Israël n’a pas arrêté de participer à la saignée du peuple nicaraguayen.

À la fin de 1982, le ministre de la Défense d’Israël, Ariel Sharon, est apparu au Honduras accompagné par le général David Ivry, le commandant en chef de la force aérienne. Selon le quotidien Tediot Anaronot, de Tel Aviv, Sharon a offert au Honduras 12 avions Kfir, des installations de radar et 50 conseillers militaires et spécialistes en sécurité. De son côté, Central América Rapport informait que le Honduras disposait d’une centaine d’experts israéliens en contre-insurrection, autant au Salvador, et 300 de plus au Guatemala. Selon l’agence de presse italienne Ansa, après avoir rasé Beyrouth, Israël a offert au gouvernement du Honduras et du Costa Rica l’armement capturé à l’Organisation pour la Libération de la Palestine (OLP) … gratis.

Le 20 juillet 1983, le New York Times il a publié un rapport secret de l’armée des États-Unis en révélant que telles armes avaient terminé dans les mains de la contra nicaraguayen. Malgré tout, 25 pour cent de l’armement des contras était de provenance officielle israélienne.

Au Salvador, le National Catholic Reporter a rendu compte d’un rapport sur la vente qu’Israël a faite au gouvernement de 25 avions Arava, de 19 Dassault Ouragan et de six Super-Mystere. Tel Aviv remettait à la dictature du Salvador 21 millions de dollars par an. Mais en 1983 le ministre des Affaires étrangères, Izthak Shamir a déclaré avoir l’intention d’élever l’aide militaire à 81 millions de dollars.

Des années plus tard, la chaîne de télévision ABC News a révélé qu’entre 1983 et 1986, des agents israéliens et estadunidenses faisaient parvenir à la Contra nicaraguayenne les armes qu’ils achetaient en Pologne et à la Tchécoslovaquie, avec des fonds de la CIA réservés pour des opérations secrètes (Afp, Washington, 8/4/89).

Les armes étaient parachutées au Salvador et au Costa Rica, après avoir été transportées au Panama, via la Yougoslavie et la Bolivie. « Seuls la CIA et les Israéliens peuvent t’offrir cela », a déclaré à la revue Newsweek Edén Pastora, leader des mercenaires de la contra nicaraguayens, après avoir reçu 500 fusils automatiques.

Au Panama, les intermédiaires de la CIA étaient le Cubain Félix Rodriguez (l’un des assassins du Che Guevara) et l’Israélien Mike Harari, le conseiller du général Manuel Antonio Noriega quand celui-ci collaborait encore avec la CIA. ABC News a ajouté que les avions se rendaient ensuite aux États-Unis, avec de la drogue chargée en Colombie et au Panama.

Traduit de l’espagnol pour El Correo de : Estelle et Carlos Debiasi

La Jornada du Mexique, le 28 février 2008.

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