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7 octobre 2013

Espionner et contrôler : pouvoir réel ou illusion

par Stella Calloni *

 

Toutes les versions de cet article : [Español] [français]

Un article du New York Times révèle que les USA joints à des entreprises privées de renseignement, ont créé un système en ligne de gestion du comportement des personnes pour les espionner et les contrôler à travers les réseaux sociaux. Les nouvelles formes d’espionnage sont des versions actualisées de contrôle qui ont déjà été expérimentées par nos pays pendant les dictatures militaires et la guerre froide.

Le périodique étasunien New York Times a publié récemment un article – « La vraie guerre contre la réalité » [«  The real war against reality  ». Peter Ludlow. NYT, 14 de junio de 2013] - dans lequel il révèle que l’Armée des USA conjointement avec des entreprises privées de renseignement « ont créé un système de gestion de comportement « on-line » des personnes », dans ce qu’ils qualifient de « lutte contre les idéologies extrémistes et la propagande anti-étasunienne » et analyse de quelle manière opère cette manipulation des réseaux sociaux.

Le programme a été développé à la demande expresse de la Force Aérienne étasunienne, avec différents objectifs, entre autres, celui de « fabriquer la réalité » et, pour tout dire, vendre cette réalité falsifiée afin de contrôler les réseaux sociaux et les sociétés en général, à travers les moyens d’information de masse qui participent à ces opérations et les engrenages essentiels de la dite « guerre psychologique ».

Tel qu’il est conçu, ce programme « permet de contrôler de multiples identités en ligne (dénommée « puppet » ) pour créer des commentaires dans des espaces de communication sociale, créer de faux consensus sur des thèmes déterminés, reléguer à l’arrière-plan les opinions non désirées par le Gouvernement de la Maison Blanche et étouffer les commentaires et informations qui ne correspondent pas à leurs objectifs stratégiques. »

« Dans le réseau de l’espionnage cybernétique nous sommes bien sur plus surveillés les uns que les autres »

Un analyste britannique nous avertit « qu’une grande partie du travail de renseignement que réalisent les USA » est dans les mains d’entreprises privées qui « nous seulement occultent sinon qui fabriquent la réalité » à travers un type de software qui « manipule les médias de communication sociale ».

Pour l’analyste Anthony Gucciardi, cité par le New York Times, l’objectif de cette « guerre cybernétique » n’est pas « d’améliorer la réputation internationale » de l’Armée des USA – comme l’ont suggéré les commandants militaires de ce pays, mais bien de promouvoir « le développement d’un important réseau d’ordinateurs qui font circuler constamment des messages écrits spécifiquement pour être publiés par les réseaux sociaux et les pages de commentaires de nouvelles », qui en réalité sont destinées à leurrer les sociétés et « diriger » les réseaux sociaux.

Bien sûr, le renseignement militaire soutient que cela se fait « au nom de la sécurité étasunienne »

Pour qui a souffert dans sa propre chair les concepts, programmes, opérations, coups d’état, interventions, assassinats massifs, disparitions forcées sous les dictatures militaires installées au nom de la « Doctrine de Sécurité Nationale (des USA) aux temps « chauds » de la « guerre froide », la situation nous ramène directement dans le passé. Et le niveau des ressources d’espionnage nous fait nous ressentir comme des sociétés illégales et rigoureusement surveillées.

Parce que dans les réseaux d’espionnage cybernétique nous sommes tous surveillés, les uns plus que les autres bien sûr. Le quotidien (NYT) cite également le psychologue étasunien Peter Ludlow « il s’agit d’une méthode efficace pour leurrer une population en générant une fausse réalité, au lieu d’imposer leur volonté (celle des mentors de l’espionnage) par la force. »

C’est-à-dire, « s’approprier » jour après jour d’une société déterminée pour contrôler, au moyen de l’utilisation de cette véritable guerre sous couverture, mettant en action ce qui est qualifié de « Psyops » (opérations psychologiques), comme partie d’une stratégie militaire étasunienne, dans la même lignée que les actions de déstabilisations que les vénézuéliens nomment à juste titre « coup d’état permanent »

Dans ce cas, l’effet du « coup d’état permanent » nécessite la « falsification habituelle de la réalité » et une des armes les plus évoluée pour y parvenir sont les moyens de communication de masse sous le commandement du pouvoir hégémonique (plus de 90% dans le monde) qui participent à cette guerre en toute impunité.

Par ce même moyen, Adolf Hitler réussit à paralyser et à dominer et à faire complice de ses crimes une bonne partie du peuple allemand, et Joseph Goebbels, son homme clé, est à présent imité et dépassé par les nouveaux semeurs de fascisme du 21ème siècle qui sont parmi nous.

Le mensonge, ils le qualifient de « liberté d’expression » ; le dénigrement, destiné à falsifier la réalité quotidienne, la vie, l’histoire des pays, la culture des peuples, érodant les identités et valeurs conquises par l’humanité à travers les Temps, ils le nomment « expression indépendante » de la presse libre. A la liberté d’entreprise, elle est imposée comme « liberté de la presse ».

Et les analystes du NYT mentionnent la similitude de programme d’espionnage et d’implantation d’une réalité fausse avec le contenu du « Manuel de capacitation pour la guerre non conventionnelle » des militaires des USA, et avec les « opérations planifiées pour transmettre des informations et indicateurs sélectionnés aux public étranger (nous) afin d’influer sur ses émotions, motivations, raisonnements objectifs et en ultime instance, sur le comportements des gouvernement étrangers (les nôtres), organisations et groupes au moyen des dites opérations psychologiques ».

Pourquoi cette vigilance globale nous affecte-t-elle tous ? Parce que « espionner est pouvoir ». « Avec le prétexte de la guerre contre le terrorisme nous sommes tombé dans la terreur totale », soutient Luis Britto Garcia, le célèbre écrivain, narrateur, essayiste, et dramaturge vénézuélien, auteur de plus de 60 titres et distingué par de nombreuses récompenses internationales.

Britto Garcia rappelle que « depuis le 19ème siècle, toutes les législations garantissent l’inviolabilité de la correspondance ». Et pourtant, actuellement, les gouvernements et les entreprises, non seulement s’arrogent le droit de prendre connaissance du contenu des messages qu’ils suivent ou interceptent, mais aussi d’utiliser, publier et consigner les informations obtenues. Facebook et autres réseaux sociaux prétendent détenir la propriété intellectuelle de tout ce qui circule sur leur réseaux C’est comme si les compagnies de transports de déclaraient propriétaires de toute la marchandise qu’elles transportent. Dans sa course pour confisquer les moyens de production, le capitalisme confisque l’information », soutient l’essayiste.

« Et si espionner donne un pouvoir irrationnel et mafieux, ajouterons-nous, empêcher cette action, c’est non seulement récupérer la souveraineté, des droits, de la dignité, rien moins que la liberté »

Il est lamentable que ce contrôle ne soit pas appliqué à la solution de graves problèmes qui affectent le monde, comme « le crime organisé, le commerce de produits dommageables pour la santé, le trafic des armes, la corruption politique, les délits bancaires, l’évasion fiscale, le trafic des personnes, l’exploitation du travail, le blanchiment de capital, les paradis fiscaux, le monopole des aliments, les faux prétextes pour les guerres - comme la construction imaginaire d’armes de destruction massives et autres. Si de tels fléaux persistent, c’est parce que l’espionnage ne les empêchent pas : il les rend possible et assure leur impunité. »

« L’espionnage ne viole pas le secret, il le crée », dit un autre paragraphe, dans lequel il analyse comment celui qui espionne se retrouve attrapé à son propre jeu. Et ainsi se construisent des mondes fantasmatiques, inexistants, ce qui conduit inévitablement au labyrinthe, sinon au précipice.

Et si espionner donne un pouvoir irrationnel et mafieux, ajouterons-nous, empêcher cette action c’est non seulement récupérer la souveraineté, les droits la dignité, sinon rien moins que la liberté face à des systèmes de domination et des processus de recolonisation qui menacent la vie des peuples.

Devons-nous nous convertir en sociétés clandestines ou livrer aujourd’hui la bataille qu’est à présent capable de mener l’Amérique Latine, comme l’ont démontré les récents accords de défense conjointe contre l’espionnage entre le Brésil et l’Argentine et ceux qui se discutent en ce moment pour une action conjointe de toute la région ? Revenons à Britto Garcia : « leur pouvoir consiste à nous obliger à nous cacher. Qu’ils se cachent eux ! »

Stella Calloni pour Télam

Télam. Buenos Aires, le 21 septembre 2013.

Traduction de l’espagnol pour « Les états d’Anne » de : Anne Wolff

El Correo. Paris, le 7 octobre 2013.

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* Stella Calloni. Journaliste argentine, chercheur, spécialement en contre-insurrection et l’ « Opération Condor », parmi d’autres sujets.

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