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30 mai 2019

En souvenir de l’un des symboles du militantisme populaire argentin

Envar « Cacho » El Kadri (1941-1998)

L’inoubliable

par Javier Torres Molina

 

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Il est né à Rió Cuarto, dans la province de Cordoba, en Argentine, le 1er mai 1941. Il était avocat, il a commencé à militer après le renversement de Perón en 1955 dans les rangs de la Jeunesse Péroniste.

Il n’y a pas de doute, Envar « Cacho » El Kadri est l’un des symboles du militantisme populaire qui en Argentine a constitué ce vaste mouvement qui a d’abord été connu comme la Résistance Péroniste à la fin des années 50 et pendant les années 60 et ensuite comme le Péronisme Révolutionnaire. Le calendrier signale des dates pour les quelles le souvenir doit nécessairement être extériorisé et alors que dix ans se sont écoulés depuis son décès, rien de mieux que récupérer à travers ses propres mots cette partie de l’histoire dont il a été le protagoniste.

Son militantisme a commencé quelque temps après le renversement de Perón. Les bombardements de la Place de Mai, les exécutions de José León Suárez et la proscription du péronisme ont été des événements qui l’ont marqué à vif. Sur les causes qui l’ont amené lui et toute sa génération, à s’impliquer activement dans la politique, il disait : « Je crois que la première de toutes a été un sens profond de rébellion face à l’injustice ».

À peine était-il sorti de l’adolescence, aux cotés d’une poignée de collègues il a fondé la Jeunesse Péroniste. Au début, les actions qu’ils réalisaient consistaient à se rassembler dans la rue Florida et à suspendre un portrait de Perón et d’Evita, et défiant le décret-loi 4161 qui interdisait que de les nommer en public, ils criaient des slogans en leur faveur et chantaient la marche péroniste. « C’était plutôt de gagner la rue et de faire actes de présence, ce qui s’appellerait après, agitation. Nous ne connaissions pas ce noms, nous le faisions empiriquement, de façon un peu inorganique, comme une manière de dire ‘nous sommes là’. » Bien entendu la répression ne s’est pas faite attendre et avec l’application du « Plan Conintes » [Plan de commotion interne de l’Etat], il fut emprisonné entre 1960 et 1963.

Plus tard, ils se sont organisés dans tout le pays sous le « Mouvement de la Jeunesse Péroniste », qui ensuite fut à l’origine des « Forces armées Péronistes » (FAP), essayant en 1968 de mettre en place un foyer guérillero à Tucumán, qui n’a pas pu se développer après avoir été découvert par l’armée.

L’adoption de la lutte armée comme pratique politique fut décidée après qu’aient échoué les tentatives de coups de militaires péronistes et que le retour de Perón fut empêché : « En 1966 la voie de la lutte armée par tous les moyens reste ouverte, les militaires promettent de gouverner vingt ans, promettent d’être les réorganisateurs du pays, vont mettre une nouvelle république, et encore une fois, avec ce gouvernement militaire d’Onganía, la variante d’ajustement fut les travailleurs, encore une fois la même excuse qu’il était nécessaire de fermer les plantations de sucre qui appartenaient à l’Etat, qu’il fallait les privatiser, il fallait jeter les gens à la rue, alors là , il y a eu pour nous un point d’inflexion et à partir de là nous décidons de nous organiser pour la lutte armée, une partie rurale , une autre urbaine, et d’affronter les militaires sur l’unique terrain qu’ils nous laissaient, qui était celui de la lutte armée ».

Malgré l’échec de Taco Ralo, les FAP sont le premier groupe qui a eu une continuité dans la lutte armée en Argentine : « avec l’échec on peut faire un roman pour pleurer et se lamenter toute la vie, où on peut le transformer en signal de départ de quelque chose, dans notre cas d’immédiate solidarité des gens, le fait qu’ils nous reconnaissaient comme militants, le fait qu’il n’y avait pas de doute que tout ce que nous avions fait, fût en fonction de la lutte et la révolution a fait que nous nous sentions réconfortés. Nous étions un groupe de jeunes argentins qui sans l’aide de personne avait pris la décision de porter en avant une lutte révolutionnaire et nous avions commencé à la mener. Ce n’est pas que nous nous sommes réveillés un jour, comme rebelles ou violents et que nous décidions de changer le monde, mais nous venions de ce militantisme dans la durée malgré notre jeunesse et avions été contemporains de tout ce processus d’attaque des valeurs de la souveraineté populaire, de la démocratie et de la conquête des travailleurs ».

« Ils ne nous ont pas vaincus »

Les mobilisations populaires qui se sont succédées à partir du Cordobazo, l’apogée des organisations armées et de la campagne électorale qui ont mené Cámpora à occuper la présidence pour quelques jours, Cacho El Kadri les a vécues depuis la prison : « Il semblait que nous étions au bord de la révolution » affirmait-il en ce qui concerne 1973 et ajoutait : « Cette idée du bord de la révolution est bonne, parce qu’on peut aussi être au bord du précipice, nous étions au bord et nous avons confondu ce grand appui et cette grande participation populaire pour l’ensemble du mouvement qui a servi de résistance à la dictature et qui l’a enfermé et l’a obligé à faire des élections et à permettre que le péronisme participe et que Cámpora gagne du premier tour. C’était une grande erreur de croire que tout ce grand appui qui existait au mouvement de révolte et de résistance aux dictatures était un appui direct aux postulats de chaque organisation ».

« Nous avons voulu forcer les temps de l’histoire, nous n’avons pas été capables de voir que les peuples ont d’autres temps, et il fallait respecter ces temps » affirmait-il à la manière d’un bilan : « Les gens entre le temps et le sang choisissent le temps, ils disent que nous n’allons pas sacrifier le peu que nous avons, consolidons-le. Tout n’est pas si linéaire, parce qu’il y a eu beaucoup de groupes qui ont essayé d’arrêter cela, le Péronisme de Base avec cette idée de construire une organisation indépendante des bureaucrates ou des traîtres et de travailler avec les bases, parmi les Montoneros il y a eu aussi des courants qui voyaient cela, mais déjà les temps s’étaient épuisés et la dictature militaire a été instaurée pour en finir avec toute tentative même réformiste ou contestataire, ne parlons même pas d’une tentative révolutionnaire ».

À partir des années 75, il s’est exilé en France, d’où il a dénoncé de façon internationale les crimes de la dictature militaire. Avec le retour de la démocratie, il s’est consacré aux sujets culturels, en choisissant comme métier la production cinématographique et la direction d’un label discographique, mais toujours en essayant d’apporter à la reconstruction du mouvement national et populaire.

Son obsession fut le souvenir des collègues tombés et la volonté de former la mémoire historique de notre peuple, dans ce sens son apport à travers des conférences et des rencontres - surtout auprès des jeunes – que ce soit dans des quartiers, des universités ou dans des manifestations dans l’ensemble du pays, fut inestimable.

« Comme modèle de pays ce n’est pas celui dont nous avions rêvés » disait-il en 1996, « ce n’est pas ce pays pour lequel nos camarades ont lutté et ont donné leur vie, c’est le pays de l’individualisme, du ne t’emmêle pas, du sauve qui peut, de l’exclusion sociale, du modèle économique qui bénéficie à peu et laisse maintenant comme marginaux la majorité de la population ».

Malgré cette situation Cacho Kadri affirmait que « ils ne nous ont pas vaincus, parce que nous sommes beaucoup ceux qui inorganiques, indépendants, en dehors des partis ou des modèles existants, continuons à penser qu’il est possible de construire un autre pays, qu’il est possible de transformer les relations de concurrence, de marcher sur la tête de celui qui est à côté, de grimper, de gagner, ce modèle qu’ ils nous ont mis comme l’unique chose possible, le modèle du triomphateur ».

Jamais, il ne s’est habillé du costume de militant pour intervenir dans un collique ou avoir une discussion politique, son militantisme était sa vie même. Il soutenait que, pour lutter, il n’était pas nécessaire « de lire un manuel » ni que la révolution était faite « avec des équerres ou des règles », il savait qu’il suffisait de s’identifier à la lutte du peuple et que seulement « il faut sentir comme sienne toute injustice qui est commise contre n’importe quelle personne partout dans le monde », faisant sienne avec une totale autorité la phrase du Che Guevara . Avec humilité et avec toutes ces prémisses, il a cherché jusqu’à la fin « à creuser sa propre tranchée où lutter ».

Le 19 juillet 1998 ce grand cœur qu’il avait lui a dit basta, il avait 57 ans chargés de lutte, de solidarité et de tendresse. Ceux qui comme nous avons eu la chance de le connaître nous sentons l’obligation de donner le témoignage de sa lutte - qui est la même pour laquelle des milliers de militants ont donné leur vie - et de continuer d’essayer de changer ce présent : « Ainsi je crois que cet échec d’un projet de pays libéré va se retourner dans la mesure où chacun de nous est capable de construire depuis nous mêmes ce monde solidaire, plus juste, plus fraternel, plus égalitaire dont nous rêvons et pour lequel nous luttons ».

Rebelión , le 16 juillet 2008.

« Nous avons perdu, nous n’avons pas pu faire la révolution.
Mais nous avons eu, nous avons, nous aurons raison d’essayer.<br/ Et nous gagnerons chaque fois qu’un jeune sait que tout ne s’achète pas,
ni se vend et qu’il sent l’envie de vouloir changer le monde. »
ENVAR EL KADRI

Traduit de l’espagnol pour El Correo par : Estelle et Carlos Debiasi.

El Correo de la Diaspora. Paris, le 30 mai 2019

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