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MEDIAS ET COMUNICATION
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Ana Bizberge et Bernadette Califano analysent en Argentine le décret de création de l’Enacom [1] , et se demandent si la convergence technologique peut être en soi un argument pour passer outre les conséquences dérivant du processus de concentration économique des groupes de communication qui s’intensifie grâce aux mesures adoptées par le macrisme.
Par Ana Bizberge* et Bernadette Califano**
Le 4 janvier dernier, en Argentine, le Bulletin Officiel a publié le décret de nécessité et d’urgence (DNU) N 267/2016 qui crée l’Organisme National de Communications (EnaCom) [Ente Nacional de Comunicaciones] pour unifier les organismes de régulation des lois de Services de Communication Audiovisuelle et la loi Argentina Digital (Argentine numérique) et qui modifie plusieurs articles. On voit là une mesure aux teintes clairement politiques qui en appelle au discours de la convergence et au développement rapide des nouvelles technologies pour justifier l’introduction de modifications normatives qui favorisent amplement les groupes de médias du pays.
Si l’intention était effectivement de créer une nouvelle régulation intégrant les deux lois et rendant compte d’une « politique publique de communications du XXIe siècle », comme l’ont affirmé les fonctionnaires du parti vainqueur Cambiemos [conservateur ++], la fusion entre ces deux organismes de régulation était-elle vraiment la première mesure indispensable ? Quel fondement justifie la modification de lois votées au Parlement par décret et pourquoi procéder à la modification de seulement quelques articles qui favorisent la concentration médiatique ?
Des organismes internationaux tels que Regulatel, Cepal et l’Union Européenne citent trois étapes pour la régulation de la convergence :
Par conséquent, la première mesure à prendre pour réguler un environnement convergent est de faire une réforme législative définissant l’autorité de régulation et sa portée, non pas l’inverse. Dans le cas argentin, le nouvel organisme présente une composition où le pouvoir exécutif s’avère surreprésenté. En effet, celui-ci désigne quatre des sept membres du directoire et peut révoquer n’importe quel membre, y compris ceux nommés par le Parlement, « directement et sans motif exprès ». Les décisions du directoire sont prises à la majorité simple, et en cas de ballottage, le président bénéficie d’un vote double. L’Enacom, quant à lui, n’a pas besoin de tous ses membres car les dispositions transitoires établissent qu’il est légalement constitué en la présence de quatre membres.
Ces dispositions font obstacle à l’atteinte d’objectifs propres à un régulateur indépendant et laissent transparaître les mêmes vices que l’on reprochait à la politisation d’Afsca et Aftic durant le gouvernement de Cristina Fernández de Kirchner. L’importance de disposer d’une autorité d’application et de fiscalisation indépendante des pouvoirs politique et économique a déjà été mentionnée par le Bureau du Rapporteur pour la Liberté d’expression de la Commission inter-américaine des Droits de l’Homme de l’Organisation des États américains.
En ce qui concerne la convergence institutionnelle, les organismes internationaux reconnaissent l’existence de différentes solutions, comme l’incorporation de fonctions convergentes pour le régulateur des télécommunications, la création de nouveaux organismes régulateurs convergents ou encore la coopération entre les organismes existants dans les domaines interférant les uns avec les autres. Ces solutions trouvent écho dans des modèles institutionnels au niveau international :
Ce que nous essayons de dire c’est que la décision d’unifier l’Afsca et l’Aftic ne répond pas nécessairement à une exigence de la convergence, étant donné qu’un régulateur s’avère plus efficace que deux, comme l’exposent les considérants du DNU.
Le changement technologique vertigineux met en jeu les cadres normatifs et les régulations doivent donc définir les principes qui protègent et promeuvent les droits que doit créer la politique publique de communication. Dans le cas contraire, toute norme en la matière s’avèrerait très vite obsolète. Les réformes régulatrices, quant à elles, doivent impliquer les différents acteurs du secteur, et l’espace dans lequel les dits consensus doivent se conclure, comme le préconise l’Unesco, est le Parlement et non une commission créée à l’intérieur d’un ministère dépendant directement du pouvoir exécutif.
La convergence technologique en soi ne peut pas constituer l’argument utilisé pour contourner une discussion plus large impliquant toutes ces facettes, et encore moins pour gommer la centralité et les conséquences du processus de concentration économique des groupes de communication qui, dans ce nouveau contexte, acquièrent une vigueur renouvelée.
Página 12. Buenos Aires, 8 janvier 2015.
Traduit de l’espagnol pour El Correo de la diaspora par : Floriane Verrecchia-Ceruti
El Correo de la diaspora. Paris, le 10 janvier 2016.
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[1] Le décret du 29 décembre 2015, publié le 4 janvier 2016, crée l’Autorité nationale pour les communications (ENACOM). Cette nouvelle Autorité absorbe l’Autorité fédérale des services de communication audiovisuelle (AFSCA) et de l’Autorité fédérale des technologies information et des communications (AFTIC) qui disparaissent.