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26 janvier 2010

Argentina : Le Fonds du Bicentenaire est un puits sans fond

par Adolfo Pérez Esquivel

 

La résistance contre la dictature militaire a toujours suivi des consignes claires en défense de la vie et des droits du peuple, dont la suivante : "la dette extérieure comme la répression …est l’oeuvre de ceux qui ont vendu la nation". Les militants ne doutaient pas alors que cette dette faisait partie du projet de domination du pays, qu’elle allait provoquer un coût énorme en vies humaines, détruire la capacité productive du pays et engendrer la dépendance, la pauvreté et la faim du peuple.

Aujourd’hui, la droite argentine fait tout un plat de la décision présidentielle de payer les intérêts de la dette extérieure avec les réserves de la Banque Centrale, mais elle ne se pose pas de questions sur le fond du problème : ils se sont tus pendant toutes ces années au lieu de chercher à savoir qui sont les responsables de cette dette extérieure et qui est à l’origine des négociations qui l’ont augmentée de la sorte.

En conséquence, il faut absolument se rappeler le manque de courage et de volonté politique des gouvernants depuis la fin de la dictature en 1983, eux qui ont refusé systématiquement d’enquêter sur l’origine frauduleuse de cette dette qui a renforcé le projet néolibéral, surtout durant le gouvernement de Carlos Menem, lui qui a privatisé les entreprises nationales et les ressources énergétiques, qui a favorisé la vente indiscriminée des terres, et la destruction et l’appropriation des ressources naturelles. Tout cela, avec la complicité des gouverneurs provinciaux, a renforcé le néolibéralisme jusqu’à nos jours.

Actuellement, le gouvernement devrait faire mémoire du passé en prenant en compte l’investigation judiciaire qui a débouché sur la "Sentence Olmos", et en créant un audit de la dette extérieure, audit réclamé depuis 10 ans par le Juge Fédéral Ballestero qui a présenté le jugement rendu au Congrès, qui ne l’a toujours pas traîtée (cf. note explicative). Les députés des divers partis ont laissé cette affaire pénale dans un fond de tiroir et ont refusé de réaliser une investigation pertinente afin de pouvoir déterminer quelle est la partie légitime de cette dette et sa partie illégitime.

Pendant le mandat présidentiel de Nestor Kirchner, on a annoncé que l’Argentine avait déjà payé la dette extérieure au FMI et qu’on ne voulait plus rien savoir de cet organisme de rapine. Mais la présidente Cristina Fernandez Kirchner, en faisant usage d’un "Décret de Nécessité et d’Urgence" (DNU) veut utiliser les Fonds de Réserve de la Banque Centrale pour payer la somme de 6 milliards 569 millions de dollars, correspondant à la plus grande partie de la dette extérieure qui vient à échéance en 2010, au travers de la création du Fonds du Bicentenaire.

La suite de cette histoire est connue de tous les Argentins : la demande de démission à Martin Redrado, Directeur de la Banque Centrale qui refuse de la donner, et tout le conflit que cela a déchaîné et dont profite la droite pour déstabiliser le gouvernement avec même la complicité du vice-président de la République, Julio Cobos, qui garde sa fonction et commet ainsi une faute absolue d’éthique politique. S’il veut être opposant au gouvernement, qu’il s’oppose en étant en dehors de celui-ci. L’imbroglio politique est à la mode : alors que le gouvernement s’emmêle dans ses contradictions, lui se spécialise en marquant des buts contre son propre camp.

Il est fort intéressant de relire les déclarations antérieures de la présidente quand elle comparaît "les fonds vautours aux rats du Riachuelo". Spécialement parce que les rats et la pollution continuent à sévir malgré les déclarations d’assainissement qui ont été annoncées mais ne se sont jamais concrétisées.

Quelque chose de similaire arrive à l’économie du pays, aussi polluée que le Riachuelo, et cela requiert un autre type de "nettoyage". Pour cela, il faudrait aller au fond du problème et non pas avoir recours au Fonds du Bicentenaire qui est un puits sans fond. Avec cette méthode, on en revient toujours à cette vieille histoire : "Plus nous payons, plus nous devons et moins nous possédons".

Le peuple veut savoir de quoi il s’agit : depuis le 25 mai 1810 jusqu’à aujourd’hui, pourquoi l’Argentine doit toujours se soumettre aux tribunaux des États-Unis et pourquoi a-t-elle une dette extérieure aussi polluée ?... Quelles sont les raisons qui empêchent de faire un audit pour connaître enfin ce que nous devons et ce que nous ne devons pas ?

Le Fonds de réserve de la Banque Centrale, il faudrait l’utiliser pour réduire la faim et la pauvreté qui affecte une grande partie de notre peuple, pour récupérer le patrimoine perdu, les terres, les ressources naturelles et les entreprises nationales de base. Il faudrait lutter pour récupérer la souveraineté nationale qui est aujourd’hui malheureusement perdue.

La présidente explique que "faire une analyse pour savoir si la dette extérieure est légitime a paru au premier abord démocratique, mais elle ajoute qu’on ne peut plus aujourd’hui parler de dette illégitime bien que ce terme sonne bien". En fait, cela ne sonne pas très bien, mais cette affirmation superficielle sonne irresponsable et dramatique. Cet argument conduit à justifier l’injustifiable ; la dette fait partie de la répression et elle est tâchée de sang. C’est comme si l’on voulait justifier les lois d’impunité du "point final" et de "l’obéissance due" votées durant le gouvernement de Raul Alfonsin.

La "loi sur les Médias", imposée par la dictature militaire, a été en vigueur depuis ces années-là, cependant le gouvernement a eu la volonté politique de la dépasser et d’affronter la forte résistance des intérêts corporatifs et d’une opposition récalcitrante.

Avec de nombreux secteurs de la société, nous soutenons les nouvelles mesures proposées et les lois justes, orientées vers le bien du peuple comme, par exemple, la subvention de 180 pesos pour les enfants ou la réforme de la Cour Suprême ou encore l’abrogation des lois d’impunité. Il n’est donc pas impossible de prendre des mesures qui visent à transformer la réalité du pays, cela requiert de la clarté conceptuelle et la volonté politique.

Alors, pourquoi ne pas avoir la même attitude et la même audace pour affronter le problème toujours retardé de la dette extérieure alors que l’on possède les outils légaux pour le faire ?...

La présidente explique qu’elle ne pense pas promouvoir un débat ou une révision sur la légitimité de cette dette, alors qu’il paraît évident que, dans les politiques publiques actuelles des droits de l’Homme, le respect et la garantie des droits économiques, sociaux et culturels du peuple, brillent encore par leur absence. De plus, le gouvernement réduit la problématique des droits de l’Homme à la période de la dictature, de 1976 à 1983, sans prendre en compte ce qui est arrivé depuis cette période. Il laisse tout cela dans une sorte de "limbes" qui oscille entre l’indifférence et l’impunité.

Il vaudrait mieux prendre en compte la volonté politique des secteurs techniques et des secteurs sociaux pour parvenir à la transparence et à la souveraineté économique, plutôt que de mendier et de tendre à nouveau la main au FMI.

Il existe des législateurs progressistes et des organisations populaires et économiques qui, depuis bien des années, travaillent sur ce sujet et font des propositions pour trouver une réponse à cette situation provoquée par la dette extérieure et par la dépendance que supporte le pays. Ils font des suggestions très sérieuses pour trouver des chemins qui permettent de récupérer le patrimoine et la souveraineté nationale.

Le conflit avec la Banque centrale pourrait être pour la présidente l’occasion d’analyser avec humilité le maniement des affaires publiques en prenant conscience que personne n’est maître absolu de la vérité et que, par conséquent, il devient, selon son expression, "nécessaire et urgent" d’ouvrir des espaces de dialogue, même avec des secteurs qui ne sont pas d’accord avec quelques décisions gouvernementales.

Une chose est d’entendre et autre chose est d’écouter ; une chose est de voir et autre chose est de regarder. Il faut apprendre à écouter et à regarder en même temps pour savoir vers où avancer dans le pays. Comme le disait Mgr Angelelli : "Nous devons avoir une oreille tournée vers le peuple et une autre vers l’Evangile pour savoir vers où nous devons aller". C’est dans ce sens que le débat parlementaire sur la dette extérieure est devenu indispensable pour trouver une solution juste et pour renforcer la démocratie.

Le gouvernement se demande où il va bien pouvoir trouver des fonds pour faire face à tous les engagements assumés par le pays. Voici quelques suggestions :

La "loi sur les entreprise minières" représente une véritable offense pour le peuple ; il est vraiment nécessaire et urgent de la modifier car cette modification permettrait d’obtenir des ressources nécessaires et de préserver l’environnement en empêchant que des entreprises sans scrupules continuent de dévaster et de saccager le pays.

Cette loi a été votée pendant la présidence de Menem avec la complicité des gouverneurs provinciaux. Personne n’ignore aujourd’hui que ces entreprises minières emportent avec elles 97% de l’or, de l’argent et des minéraux stratégiques avec une simple déclaration sur l’honneur. Elles laissent derrière elles la désolation et la pollution de l’eau, détruisent la capacité productive des provinces et provoquent des maladies et du chômage.

C’est là un des problèmes structurels et stratégiques que le gouvernement devrait assumer avec responsabilité, mais la présidente a mis son véto à la "Loi pour la Protection des Glaciers" afin de favoriser les intérêts de la Barrick Gold (entreprise minière) et des gouverneurs provinciaux qui cherchent à favoriser des entreprises plutôt que le peuple.

Aujourd’hui, le gouvernement a une bonne occasion de dépasser la "vieille Argentine", en construisant une patrie libre et souveraine. Le dilemme est donc de savoir si la présidente aura assez de clairvoyance, d’humilité et de courage politique pour dépasser toutes ces structures de domination.

Le peuple ne perd pas l’espoir : autre Argentine est possible et même un autre monde est possible.

Traducción : Francis Gély

Note explicative :

"Alejandro Olmos a impulsé l’affaire pénale qui a déterminé l’origine illicite de la dette publique de l’Argentine. Le 4 avril 1982, il a fait la première présentation du dossier devant la Justice et a continué à apporter des preuves jusqu’à sa mort, le 24 avril 2000. Deux mois après, après 18 ans d’investigation, le Juge Jorge Ballestero a prononcé un jugement qui n’a pas de précédent dans le monde, et qui corrobore l’illégalité de la Dette externe, en établissant la responsabilité des fonctionnaires de la dictature qui l’ont contractée et la coresponsabilité des organismes internationaux comme le FMI, qui ont approuvé des prêts illicites et frauduleux.

Puisqu’il y avait prescription sur l’action pénale, le Juge Ballestero a remis le jugement au Congrès, pour qu’il fasse valoir l’intervention que la Constitution lui confère dans la gestion de la Dette externe (art.75). La majorité parlementaire ne s’est jamais occupée du sujet"

(Source : Mariane Pécora, Rapport sur la Dette Externe de l’Argentine, M.O.R.E.N.O, 2007. Traduit par elcorreo.eu.org : http://www.elcorreo.eu.org/article.php3?id_article=3823)

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