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3 novembre 2002

"Aguas Argentinas de la Lyonnaise des Eaux-Dumez est un risque commercial d’entreprise qui ne peut en aucun cas se reporter sur les utilisateurs"

Aguas Argentinas : Renégociations ou nouveaux contrats ?

par Natalia Aruguete

 

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Loin de revendiquer la Loi d’urgence économique, le gouvernement a annoncé l’urgence de résoudre l’ajustement tarifaire après avoir admis en France que les entreprises de services publics "ont le droit d’avoir des tarifs rentables". Néanmoins, il n’a pas considéré comme question « d’urgence » une révision globale qui prévoit l’exécution des contrats, mécanismes explicitement exposés dans la norme adoptée le 6 janvier 2002. Les autres paramètres qui doivent peser dans la renégociation sont les investissements effectivement réalisés par les entreprises et les obligations prévues par les contrats, aspects peu favorables aux entreprises concessionnaires. A cet égard, plusieurs économistes ont signalé que l’Etat dispose de suffisamment d’éléments pour prouver qu’en dépit des augmentations de tarifs, les entreprises privatisées n’ont pas respecté les engagements des contrats d’origine, ni les objectifs « assouplis » prévus dans les renégociations postérieures. Ce dispositif leur a permis de faire des gains supérieurs au reste de l’économie locale - et largement supérieurs à ceux de la moyenne internationale- et de rapatrier leurs bénéfices à l’extérieur pendant les années quatre-vingt-dix.

La performance des entreprises s’illustre par l’exemple de Aguas Argentinas S.A. (AASA), constituée, entre autres, de la française Lyonnaise des Eaux-Dumez, de la société Aguas de Barcelona, de la Sociedad Comercial del Plata et de la Société Financière Internationale (qui appartient au Groupe de la Banque Mondiale). Après avoir signalé que l’impact de la dévaluation sur son activité approchait les 746 millions de pesos(1$ = 3,4€), l’entreprise de services d’eau et d’égouts a envoyé une lettre à la sous-secrétaire chargée des Ressources Hydriques par laquelle elle exigeait une augmentation de tarifs, une assurance sur le change (reconnaissance de la parité un peso= un dollar) pour faire face à sa dette externe, un "taux de change particulier" pour l’achat de biens d’équipements importés (les achats inter-entreprise de la concession s’élèvent quasiment à 600 millions de dollars) et la suspension des investissements ayant fait l’objet d’un engagement contractuel [1].

Jorge López Raggi, ancien conseiller de la section eau et assainissement de la Commission de Renégociation des contrats a répondu à la missive de Aguas. Dans le rapport officiel [2], López Raggi affirmait qu’il serait "illégitime d’accepter de différer, de suspendre ou de réduire les investissements sans motif fondé pour l’intérêt public". Selon lui, tant que durait l’état d’urgence économique, l’augmentation des tarifs était inacceptable ainsi que le maintien de la parité peso-dollar pour les importations de biens d’équipement, quand ceux-ci représentaient 3% du total des dépenses. Il laissait entendre à l’entreprise qu’elle était en mesure de réduire ses frais en salaires de dirigeants et honoraires de consultants, en formation, en notes de frais et autres éléments qui représentent un cumul de 23 millions de pesos. Et il signalait que l’entreprise pourrait recourir à la renégociation de sa dette externe.

Tout comme les autres entreprises privatisées, Aguas Argentinas a contracté des dettes externes pour honorer les plans d’investissement. Sur les 1,2 milliard de pesos investis, seuls 10% provenaient d’apport en capital propre. C’était la condition sine qua non pour accéder à la concession. Ariel Caplan, le représentant des utilisateurs à la Commission de Renégociation a déclaré que "la dette engagée par Aguas Argentinas est un risque commercial d’entreprise qui ne peut en aucun cas se reporter sur les utilisateurs" [3].

Un autre rapport issu de la Commission et préparé par Alberto Biagosh, le second négociateur, indique que les décisions de l’entreprise de recourir à des prêts extérieurs étaient motivées par les différences de taux d’intérêt internes par rapport aux taux internationaux. Dans le cas de l’entreprise contrôlée par Suez-Lyonnaise, un pourcentage élevé de prêts ont été engagés parce que "la propre maison mère ou ses entreprises associées agissaient comme des organismes de crédit. Celles qui sont ainsi endettées avait la possibilité de recourir au marché de capitaux et au système financiers argentins" conclut le rapport. La Banque Mondiale, qui avait proposé une mission de soutien composée de spécialistes grassement rémunérés, a recommandé au gouvernement argentin de mettre en place un ajustement tarifaire favorable aux entreprises. Ce que l’organisme de crédit ne disait pas, c’est que plus de 20% de la dette externe de Aguas Argentinas sont dus à la Société Financière Internationale - elle-même liée à la Banque Mondiale - qui représente aujourd’hui 5% de l’actionnariat de la société fournisseur d’eau potable.

L’exigence de réajustement tarifaire n’a pas démarré dans le contexte postérieur à la dévaluation. Aguas Argentinas a réclamé des augmentations de tarifs dès la première année de concession, même si le contrat interdisait fiscalement toute révision tarifaire qui aurait pu être destinée à minimiser ou annuler le risque commercial et à pallier les imprévisions, négligences ou le manque d’efficacité du concessionnaire. En juin 1994, l’adjudicataire a demandé une "révision extraordinaire" en invoquant des "pertes d’exploitation imprévues" au moment de la concession. Selon ses arguments, la perte de 23 millions de dollars correspondait au manque de cohérence de la liste d’utilisateurs et au mauvais fonctionnement du réseau. Le risque implicite lié aux tarifs proposés par l’entreprise au moment de l’appel d’offre devait théoriquement prendre en compte ces deux éléments [4].

L’autorité de mise en oeuvre a accédé à la demande sans que les exigences contractuelles aient été respectées.

Dans la première modification du contrat, les objectifs d’extension des services ont été avancés et modifiés et de nouveaux projets d’investissement ont été ajoutés. En contrepartie à ces modifications, il y a eu une augmentation de tarif incomparable par rapport à l’évolution des autres prix. Alors que l’indice de prix grossistes a augmenté de 3% entre la date de l’offre et la première révision, les tarifs ont connu une augmentation générale de 13,5%. A ceci est venue s’ajouter une augmentation du prix minimum de l’abonnement de 83% pour l’eau et de 45% pour les égouts [5]. Peu de temps après, l’exploitant a ajouté d’autres exigences : dollarisation des tarifs, application de nouvelles formes de dédommagement face au niveau élevé de non recouvrement des frais d’infrastructure et une reprogrammation du plan de travaux. Alors même que la Commission des Utilisateurs de l’ ETTOS [6] a prouvé que le non respect des engagements concernait 63% de la population pour les services d’eau potable et 88% pour les égouts, la deuxième renégociation s’est concrétisée en février 1997 afin de « résoudre tout problème qui pourrait contribuer à un meilleur respect des objectifs du cadre réglementaire » [7].

Fruit de cette deuxième révision, une assurance sur le change de l’ajustement tarifaire est venue s’ajouter ainsi qu’un prix fixe indexable payable par tous les utilisateurs, le report ou l’annulation de quelques investissements et la possibilité de revoir les tarifs selon le calendrier de l’année civile, élément qui dénaturait la version originale du contrat. Les modifications correspondaient aux niveaux élevés de non recouvrement dénoncés par l’entreprise dans les premières années de la concession. Pourtant, une étude réalisée par la Section Economie et Technologie de FLACSO montre que les recettes nettes de l’entreprise ont augmenté de 68,6% pendant la période 1994-2000, alors que le nombre d’utilisateurs a augmenté de 31,5%. Cela signifie que le revenu par utilisateur est passé de 145 à 195 pesos.

Dans le cadre des renégociations actuelles du contrat, l’Etat pourrait démontrer que l’équation ajustement tarifaire/non respect des engagements a permis aux entreprises privatisées de doubler, voir de tripler leurs bénéfices par rapport à leur maison mère et au reste des entreprises les plus importantes d’Argentine. Entre 1993 et 2000, les 200 plus importantes entreprises du pays avaient une rentabilité proche de 29 milliards de dollars. Sur ce total, 26 d’entre elles se sont approprié de 56,8% de la rentabilité. Qui plus est, en matière d’indexation elles ont fait des gains de 9 milliards de dollars pendant la période 1993 - 2000 [8].

Si, comme le prévoit la Loi d’urgence, la révision doit estimer l’impact des tarifs sur la répartition du revenu, la compétitivité de l’économie et les investissements effectivement réalisés, l’ajustement tarifaire devrait tendre à la baisse.

Traduction pour El Correo de : Agnès Debarge

Natalia Aruguete, est licenciée en sciences de la communication.

Le Monde Diplomatique.
© LMD Edition Cono sur.
Novembre 2002. Page 13.

Notes :

Notes

[1Note N°35049/02. Buenos Aires, 30-01-02, Annexe 3 du rapport lié au Plan ...(Voir note 2)

[2Rapport relatif au Plan d’urgence, présenté par Aguas Argentinas SA, note N° 35049/02-AAA, Dossier EXPMECONEX020-004231/02.

[3Antonio Rossi. " Complication dans les renégociations de tarifs des Services Publics", Clarín, Buenos Aires, 24-5-02.

[4J.Gaggero, "Privatisation de O.S.N. La Renégociation du Contrat de concession entre l’Etat et Aguas Argentinas S.A.", 1998, reproduit.

[5Avant la privatisation du service, le gouvernement avait augmenté les tarifs pour rendre la concession plus attractive aux capitaux privés : en février 1991 une augmentation de 25% du tarif moyen a été mise en place. En avril de la même année, une autre augmentation de 29% a été approuvée. En avril 1992, on a ajouté l’application de la TVA (18%). Enfin, peu de temps avant le transfert, une autre augmentation de 8% a été décidée.

[6Voir Commission des Utilisateurs de ETOSS : "Proposition de la Commission des Utilisateurs en vue de la révision quinquennale du contrat de Aguas Argentinas", août 2000, reproduit.

[7Décret N° 149, signé par l’ancien président Carlos Menem, l’ex-chef de cabinet Jorge Rodríguez et Roque Fernández, ancien ministre de l’économie.

[8Daniel Aspiazu, "Las trampas privadas" (les pièges privés), Pagina 12, Buenos Aires, 18-03-02.

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