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4 janvier 2022

Vers une crise des missiles nucléaires en Europe

par Rafael Poch de Feliu*

 

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« Quand le sage désigne la lune, l’idiot regarde le doigt », dit la célèbre maxime attribuée à Confucius. Alors que les plus grands dangers militaires couvent, ils nous bassinent sur les excès de Poutine

Son contenu est très simple : ignorant l’essentiel, nous nous concentrons sur des non-sens. Et ce qui est crucial, c’est l’énorme danger de répéter en Europe quelque chose qui s’apparente à une « crise des missiles aux Caraïbes » de 1962, avec désormais l’Ukraine au centre.

Pendant des années, la puissance militaire la plus puissante et la plus agressive du monde, les États-Unis d’Amérique, a encerclé militairement la Russie et la Chine. Ces deux pays étant de grandes puissances nucléaires à vocation impériale, les dangers de l’opération sont évidents pour quiconque qui a du bon sens. Il n’y en a pas à Bruxelles, ni dans l’esprit de nos disciplinés politiciens, experts et journalistes « atlantistes ».

Un bon exemple est la réponse du secrétaire général de l’OTAN carrément irresponsable, Jens Stoltenberg, aux timides minauderies de certains sociaux-démocrates allemands selon lesquels il vaudrait mieux mettre fin à la présence d’armes nucléaires étasuniennes sur le sol allemand : « Bien sûr, L’Allemagne peut décider d’arrêter d’héberger des armes nucléaires, mais l’alternative est que nous finirions par les avoir dans d’autres pays d’Europe, plus à l’est de l’Allemagne ».

Utilisant une « logique post-coloniale » et revendiquant sa « sphère d’intérêt vital », la Russie s’estime « légitimée pour contrôler cette zone et les pays européens post-soviétiques qui ne peuvent choisir un autre destin » ou « s’émanciper de la condition géopolitique imposée à eux par Moscou », explique Carmen Claudín, analyste du CIDOB. « Il ne peut pas y avoir de Yalta.2 », dit le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell. « C’est la politique même du Kremlin qui a contrarié ses voisins post-soviétiques, multipliant les sentiments anti-russes », a condamné Claudín. Mais cette dernière vérité change peu l’essentiel.

Niant le « droit » de la Russie à s’opposer à l’expansion d’une alliance militaire hostile le long de ses frontières, Washington et ses défenseurs atlantistes européens ignorent deux cents ans de la propre histoire des Etats-Unis d’Amérique, revendiquant et imposant sa sphère d’influence dans l’hémisphère occidental. Bien entendu, l’Ukraine, ou la Géorgie, ont le droit de demander leur entrée dans l’OTAN et le stationnement de bases et d’armes sur leur territoire. En 1962, la République de Cuba avait également le droit de revendiquer le stationnement de missiles soviétiques à 170 kilomètres du territoire US. Washington avait bien gagné le « sentiment anti-gringo » dans tout le sous-continent avec ses invasions, ses coups d’État et son règne implacable dont Cuba avait réussi à se libérer. Et bien sûr aussi l’URSS, menacé par des missiles nucléaires stationnés en Turquie, avait le droit d’en stationner à Cuba. Mais c’est que dans ce cas, comme dans l’actuel, il ne s’agissait pas de droits, mais d’en mesurer les conséquences. Comme maintenant la situation en Europe, la crise des missiles à Cuba était extrêmement dangereuse. Les États-Unis ont prévenu qu’il s’agissait d’un casus belli : en poussant ces droits à l’extrême, la planète aurait été détruite. Comme Jack Matlock, ancien ambassadeur des États-Unis à Moscou, le dit avec un rare bon sens : « Puisque notre Congrès n’a jamais adopté de loi sur la gravité, pouvons-nous l’ignorer ? ».

Face à cette situation, les politiques, experts et journalistes européens « atlantistes » préfèrent regarder le doigt : « l’agressivité » de Poutine et les abus, méfaits et crimes infâmes du régime russe. Ce n’est pas un non-sens pour les Russes qui devront un jour les résoudre, mais si cela l’est pour nous, dans la situation concrète et actuelle qui nous affecte.

Il est évident qu’il existe une relation entre la politique étrangère russe et la politique intérieure du régime russe. La menace extérieure a une grande fonctionnalité pour faire taire l’opposition en tant qu’ « agent étranger », y compris l’énormité commise avec la société « Memorial », par exemple. Mais est-ce que cette relation n’existe qu’en Russie ? Aux États-Unis, nous voyons une relation encore plus décisive entre l’économie, les diktats du complexe militaro-industriel sur les décisions du Congrès et la politique étrangère de guerre éternelle. Les missiles contre le Soudan ont tenté de résoudre « l’affaire Lewinski », la légende de l’intervention russe aux élections étasuniennes a été une arme dans la lutte interne qui divise l’establishment US dans une atmosphère de maccarthysme manifeste. Les attentats de New York du 11 septembre ont servi à déclencher une nouvelle catastrophe autour des ressources de l’Irak... Il n’y a pas des dissidents, et des tortures qu’en en Chine et en Russie, il y a Guantanamo et Assange, et il y a aussi des « agents étrangers » parmi nous.

Sous chaque vidéo que la chaîne de télévision russe RT met en ligne sur YouTube, apparaît le message : « RT est financée, totalement ou partiellement par l’administration publique russe. « Médias contrôlés par l’État de Russie », lit-on dans le message qui apparaît sur la page de RT sur Instagram, propriété de Facebook et qui pourrait être appliqué exactement de la même manière à Deutsche Welle, Voice of America, BBC, etc. La version allemande de RT, seule chaîne sur laquelle pouvaient s’exprimer les critiques de l’élargissement de l’OTAN et qui remettait en cause la version atlantiste de la « révolution ukrainienne de 2014 », le clair-obscur de l’affaire Skripal ou les douteux attentats au gaz toxique attribués à Assad en Syrie, s’est avérée trop efficace (cinquième place dans le domaine « information » et « politique » parmi les chaînes regardées en Allemagne) et s’est vu refuser une autorisation de diffusion, se limitant à la diffusion par satellite. En septembre, la chaîne vidéo RT-Allemagne, qui comptait plus de 600 000 abonnés et enregistrait plus de 547 millions de visites, a été supprimée de YouTube. Alors qu’en Occident, les démocraties de basse intensité ne cessent de perdre de la substance, les monopoles numériques des Etats-Unis, directement soumis au Big Brother de la NSA et d’autres services, comme l’a démontré Snowden, nous protègent ainsi de la propagande russe avec le paternel message : « Ce n’est pas la propagande que vous devriez consommer, consommez la bonne : CNN/BBC/MSNBC, etc » et nos journalistes et les experts nous soulent en regardant le doigt des excès de Poutine.

Après avoir été ignorée pendant des décennies, la Russie a présenté des propositions d’accords bilatéraux avec de solides garanties de sécurité, loin des promesses qui n’ont pas été tenues au cours des trente dernières années. Garantit que l’Ukraine ne rejoindra pas l’OTAN et que des armes ne seront pas placées à son econtre dans son environnement immédiat.

« Nous attendons avec impatience des conversations constructives avec un résultat final clair en termes qui assurent une sécurité égale pour tous ». « Ils ont atteint le seuil de notre maison. Pensez-vous que nous sommes assez naifs pour ignorer les menaces posées à la Russie ? Voila le problème : nous n’avons tout simplement plus de terrain pour revenir en arrière », a-t-il déclaré.

Le sujet de sa réclamation n’est pas l’Union Européenne ou l’OTAN, mais est directement adressé à qui est en charge de cette affaire : les États-Unis d’Amérique. Il veut des accords bilatéraux avec Washingtion et ensuite avec Berlin et Paris. Le 21 décembre, le président russe s’est entretenu avec le nouveau chancelier allemand, Olaf Scholz, et avec le président français, Emmanuel Macron. Le pari de la Russie est énergique. Les pourparlers auront lieu entre le 10 et le 13 janvier, que se passera-t-il s’ils n’aboutissent pas ?

Devant le Collège du ministère russe de la Défense, une audience de généraux, Poutine a déclaré fin décembre que si les pourparlers échouent, la Russie prendra des « mesures militaires appropriées » en réponse. Nos perroquets s’interrogent sur le contenu de telles « mesures » et ont sonné l’alerte à la fantasmagorique « invasion de l’Ukraine », un scénario hors de toute réalité. La réponse du Kremlin en sera une autre : le déploiement de missiles nucléaires tactiques en Biélorussie et à Kaliningrad. Par sa bêtise, l’Union européenne régresse a) la situation du continent au début des années quatre-vingt, la crise des euro-missiles. Le retrait unilatéral des États-Unis de l’accord INF a rendu cette folie possible.

Il n’y aura pas de sécurité européenne qui ne soit commune et intégré aux intérêts de tous les pays européens, il n’y en aura pas sans la Russie, et bien sûr il n’y aura pas contre la Russie. Malgré les efforts de nos politiques, experts et journalistes.

Rafael Poch de Feliu* pour son Blog personnel

Rafael Poch de Feliu. Catalunya, 31 décembre 2021.

* Rafael Poch de Feliu a été durant plus de vingt ans correspondant de « La Vanguardia » à Moscou à Pékin et à Paris. Avant il a étudié l’Histoire contemporaine à Barcelone et à Berlin-Ouest, il a été correspondant en Espagne du « Die Tageszeitung », rédacteur de l’agence allemande de presse « DPA » à Hambourg et correspondant itinérant en Europe de l’Est (1983 à 1987). Blog personnel. Auteur de : « La Gran Transición. Rusia 1985-2002 » ; « La quinta Alemania. Un modelo hacia el fracaso europeo » y de « Entender la Rusia de Putin. De la humiliación al restablecimiento ». Blogs : Diario de París ; Diario de Berlín (2008-2014) ; Diario de Pekín (2002-2008) ; Diario de Moscú (2000-2002) ; Cuaderno Mongol

Traduit de l’espagnol pour El Correo de la Diáspora par : Estelle et Carlos Debiasi

El Correo de la Diaspora. Paris, le 4 janvier 2022.

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