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29 mars 2006

"Une autre Amérique latine sort des urnes"

 

De nouveau, l’Amérique latine est en plein bouillonnement politique, alors que son économie se redresse. Alain Rouquié est bien placé pour éclairer ces évolutions, lui qui a combiné les carrières de diplomate (ambassadeur au Brésil, au Mexique, au Salvador...) et d’universitaire (il a écrit de nombreux livres, notamment sur l’Argentine). Il est aujourd’hui président de la Maison de l’Amérique latine, à Paris.

Par L’Expansion
Paris, le 29 mars 2006.

L’élection d’une socialiste au Chili et d’Evo Morales en Bolivie, après celle de Lula da Silva au Brésil, de Tabare Vazquez en Uruguay et d’Hugo Chavez au Venezuela, marque-t-elle un retour de la gauche en Amérique du Sud ?

 Des présidents de gauche ont été élus dans une majorité de pays, mais il n’y a nulle part de gouvernement de gauche. Au Chili, la Concertation des partis pour la démocratie, coalition de centre gauche installée après le départ de Pinochet, regroupe depuis dix-sept ans les socialistes et les démocrates-chrétiens. Au Brésil, Lula gère une coalition avec le centre gauche et le centre droit. En Uruguay, le socialiste Tabare Vazquez compte des centristes dans son gouvernement. La seule gauche serait-elle celle d’Hugo Chavez ? En réalité, son « socialisme du xxie siècle » est avant tout « bolivarien », nationaliste et sans parti. D’ailleurs, beaucoup de personnalités vraiment de gauche au Venezuela sont dans l’opposition. Quant au nouveau président bolivien, Evo Morales, c’est d’abord un nationaliste.

On assiste pourtant à l’émergence de nouveaux dirigeants...

 Il y a des alternances. Un peu comme en Europe, les sortants sont sortis car ils n’ont pas tenu leurs promesses économiques. Après la « décennie perdue » des années 80 et la « demi-décennie perdue » des années 90, l’Amérique latine a tenté de s’adapter au nouveau marché international. Elle a mis en oeuvre le « consensus de Washington » et des politiques d’ajustement structurel. Ce que les adversaires de cette stratégie appellent l’ultralibéralisme, avec l’ouverture, les privatisations et la diminution du périmètre de l’Etat. Cela a permis de sortir d’un modèle économique autocentré et très protectionniste, accompagné de déficits énormes et d’une inflation explosive. Là où ces réformes ont été appliquées brutalement, les résultats ont souvent été désastreux. Ce fut le cas en Argentine ou en Bolivie. Mais là où elles ont été plus graduelles, comme au Brésil, là où l’on n’a pas démantelé l’Etat, cela a mieux marché. Partout, néanmoins, il en est résulté une explosion du chômage qui a suscité une nouvelle demande d’action de l’Etat, d’autant que, trop souvent, on avait réalisé ces réformes en supprimant de nombreux filets de sécurité.

Avec de violents mouvements de protestation populaire...

 En effet, à la différence de crises antérieures, qui avaient provoqué une désagrégation sociale, on a assisté cette fois à la mobilisation des exclus. Avec par exemple en Argentine le mouvement des piqueteros : pour la première fois, des gens qui n’avaient plus de lieu de travail se sont organisés pour perturber la circulation routière, au point de créer un grave problème politique. On a vu le même genre de phénomène dans les Andes avec la mobilisation des indigènes, qui n’avaient jamais joué un pareil rôle. L’introduction de l’économie de marché a eu une conséquence inattendue : la mobilisation de populations qui, jusque-là, étaient tenues à l’écart de la vie politique. La politique de « vérité des prix » pour la distribution de l’eau en Bolivie - où elle avait toujours été gratuite - a mobilisé des populations qui, sauf lors de rares explosions, restaient à l’écart de la vie publique. L’élection d’Evo Morales, un président indigène dans un pays dirigé depuis toujours par les élites « blanches », est un des symptômes de ce réveil. L’ouverture des marchés a eu pour conséquence paradoxale un élargissement notable de la citoyenneté en Amérique latine. Ce mouvement a aussi provoqué la crise de tous les grands partis traditionnels. Ainsi le Parti radical, qui a fait l’Argentine moderne, n’a-t-il recueilli que 4 % des voix aux dernières élections. Pour les mêmes raisons, on ne reviendra pas non plus au vieux péronisme étatiste et corrompu. Partout, on assiste à un renouvellement, souvent douloureux, des forces politiques. Mais la démocratie se renforce et s’enracine, elle est une valeur partagée. Les anciens révolutionnaires sont devenus de bons sociaux-démocrates. Récemment, le président de l’Uruguay est venu à Paris avec son ministre de l’Agriculture, l’ancien chef de la guérilla des Tupamaros !

N’est-ce pas souvent une démocratie tempérée par le populisme ?

 Je n’aime pas le terme « populiste », qui sert surtout à désigner celui que l’on n’aime pas. Bien sûr, certains gouvernements, comme celui d’Hugo Chavez, même installés par des voies démocratiques, ont des pratiques très personnalisées. Mais il faut remettre les choses dans leur contexte : l’effondrement du système des partis, l’incapacité et la corruption, Chavez ne les a pas inventés. Il a été élu, et bien élu. Ensuite, il est vrai qu’il en a profité pour changer la Constitution à son avantage, mais il a de nouveau été conforté par deux scrutins, et il n’a pas fait disparaître l’opposition. Le Venezuela, immensément riche grâce à son pétrole, était coupé en deux : d’une part, ceux qui « participaient », et, d’autre part, ceux qui ne « participaient » pas. Cette division, aussi loin qu’on remonte, a toujours existé, et elle est ethnique : les manifestants pro- ou anti-Chavez n’ont pas la même couleur. La faillite des grands partis démocratiques a été leur incapacité de « semer le pétrole », comme disait Romulo Betancourt, leur incapacité de faire qu’il y ait un Venezuela pour tous. Il est vrai que, pour l’instant, avec Chavez, on ne peut pas non plus parler de grandes audaces réformatrices...

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