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9 septembre 2003

Un échec de plus pour le Fonds Monétaire International

Une nouvelle gauche à l’offensive

 

Par Walter Chavez
Journaliste. Codirecteur de l’édition bolivienne du Monde diplomatique.

Le 30 juin 2002, date des élections générales, la politique bolivienne a été secouée par un tremblement de terre. Si le Mouvement nationaliste révolutionnaire (MNR) a remporté les élections avec à peine 22 % des voix, les deux leaders indigènes d’origine aymara  [1] ont atteint des scores historiques. Le Mouvement vers le socialisme (MAS) de M. Evo Morales a obtenu 20,9 % des voix et le Mouvement indigène Pachacuti (MIP) de M. Felipe Quispe a remporté 6 % des votes valides.

Selon la Constitution bolivienne, le président est élu au suffrage universel direct s’il obtient la majorité des voix. Dans le cas contraire, les deux candidats les mieux placés sont départagés par un vote du Congrès, le vainqueur étant désigné au gré des fluctuations politiques et d’alliances parfois contre nature  [2]. Cette fois, les partis traditionnels, attachés aux diktats du Fonds monétaire international, ont constitué une coalition pour bloquer la voie à M. Evo Morales et faciliter l’élection du dirigeant du MNR, M. Gonzalo Sánchez de Lozada. Sauf événements graves, celui-ci gouvernera le pays jusqu’en août 2007.

Cependant, la plus grande victoire du Mas et du MIP a été de faire entrer au Parlement 41 représentants indigènes et paysans qui, dès le premier jour, ont revendiqué leurs cultures : ils ont exigé que, lors des débats parlementaires, en plus de la langue officielle, l’espagnol, les langues indigènes - l’aymara, le quechua et le guarani - soient autorisées. Le parti au pouvoir n’a pu que concéder cette victoire symbolique à la « nouvelle gauche ».

Le MAS est l’instrument politique créé par les confédérations paysannes du Chapare et de toute la région connue sous le nom de tropique de Cochabamba. Il s’agit de la zone la plus réprimée par les forces policières, financées et assistées par la Drug Enforcement Administration (DEA) et par d’autres entités américaines. La culture de la coca se fait dans cette région et on estime que, au cours des quinze dernières années, plus de 250 paysans sont morts en défendant leur droit à la planter.

C’est dans cette région du Chapare que, depuis le début des années 1980, se sont installés les paysans migrants de l’Altiplano. En 1985, le gouvernement de M. Victor Paz Estenssoro promulgua le décret n° 21060, par lequel la Bolivie passait d’une économie mixte de régime étatique à un néolibéralisme dur et orthodoxe. Les entreprises publiques furent démantelées, à l’image de la Corporation minière de Bolivie (Comibol), où plus de 20 000 mineurs de l’étain se retrouvèrent sans emploi. Une bonne partie de ces travailleurs migra vers le Chapare et opta pour la seule voie possible : la culture de la feuille de coca. Les autres produits agricoles ne sont pas rentables et n’ont pas de marché assuré.

Coca et cocaïne

Le gouvernement des Etats-Unis commença à se préoccuper de l’expansion de ces « cultures illicites » dans le Chapare vers la fin des années 1980, sous le prétexte qu’elle était directement liée au narcotrafic. Mais le président de cette époque, M. Jaime Paz Zamora (1989-1993) refusa de pénaliser la coca. Revendiquant une compréhension historique et souveraine du problème, il organisa la « diplomatie de la coca », sous le slogan « la coca n’est pas la cocaïne ».

A la fin de son mandat, M. Paz Zamora fut durement attaqué par l’ambassade américaine en Bolivie. Plusieurs des dirigeants de son parti, le Mouvement de la gauche révolutionnaire (MIR), furent traînés en justice. L’un d’eux, M. Oscar Eid, passa quatre ans en prison pour des liens supposés avec le narcotrafic, et M. Paz Zamora lui-même se vit retirer son visa pour les Etats-Unis.

Ces mesures ont fait partie d’une campagne d’intimidation en direction de tous les hommes politiques boliviens. Le message était clair : ceux qui ne sont pas contre la politique de la coca au Chapare sont contre la politique des Etats-Unis en Bolivie. A partir de ce moment, et pendant toutes les années 1990, l’ambassade américaine organisa des plans divers et variés d’éradication de la coca, auxquels seuls les paysans résistèrent. De cette résistance émergea la figure de M. Morales.

La guerre de l’eau

Quant à M. Quispe, il s’agit d’un leader aymara qui, au début des années 1990, prit la tête de l’Armée guérillera Tupac Katari (EGTK), dans l’Altiplano. L’action des forces policières démantela rapidement les structures de cette organisation et, en 1992, ses principaux dirigeants furent jetés en prison. M. Quispe passa cinq années dans un centre de haute sécurité, mais, peu après sa sortie, il fut élu secrétaire exécutif de l’historique Confédération syndicale unique des travailleurs de la terre de Bolivie (CSUTB), dont il a toujours la charge. Il réorganisa alors ses bases et, en 2001, fonda son propre parti politique, le Mouvement indigène Pachacuti (MIP), à la tête duquel il a participé aux élections.

A ces forces politiques nées des mouvements sociaux s’ajoute un troisième bras d’organisations, non politisées, composé principalement de syndicats paysans, de la Coordination de l’eau, des Ayllus de l’Altiplano, d’organisations non gouvernementales et de paysans « sans-terre ». Leur action coordonnée a su combattre et faire reculer, à plus d’une occasion, les mesures du néolibéralisme orthodoxe.

Dans ce registre, on peut citer le cas de la « guerre de l’eau », comme l’ont appelée les médias. En avril 2000, les habitants de Cochabamba, regroupés dans la Coordination de l’eau, se rebellèrent contre l’entreprise Aguas del Tunari (filiale de la transnationale Betchel), qui gérait l’eau potable de Cochabamba et appliquait un tarif usuraire. Il y eut de violentes protestations dans les rues, et le gouvernement envoya des troupes mais « le peuple de Cochabamba » finit par imposer sa volonté et gagna la guerre en question. Les cadres de la transnationale durent quitter le pays  [3].

Ces trois acteurs forment un bloc d’opposition à l’orthodoxie néolibérale et le coeur de la rénovation de la politique bolivienne. Leaders paysans et indigènes connus grâce à leur lutte pour la défense de leur territoire et de leurs cultures ancestrales, les dirigeants de cette « nouvelle gauche » ne sont plus des intellectuels des classes moyennes ou supérieures qui, pétris de connaissances théoriques, s’érigent en guides. A la différence des mouvements des années 1960 et 1970, elle ne propose pas la dissolution de l’Etat ni la lutte des classes, mais une plus grande participation dans le système démocratique ; elle exige aussi la reconnaissance de ses traditions, des pouvoirs locaux opérant dans les communautés, et de ses propres autorités.

En étant assimilée aux mouvements sociaux et non au syndicat ouvrier, cette opposition détient une plus grande capacité de rassemblement, puisque les exigences de ces dernières années ont conduit les organisations sociales boliviennes à embrasser les revendications de la société tout entière, y compris celles des secteurs urbains : baisse des prix, préservation des ressources naturelles, inversion des processus de privatisation, etc. Enfin, dans cette « nouvelle gauche », l’idée traditionnelle de « parti » n’apparaît pas. Il s’agit toutefois d’une arme à double tranchant. D’un côté, les pratiques sectaires et les lignes politiques verticales données en guise de catéchisme sont évitées ; en revanche apparaît une faiblesse structurelle qui, à long terme, peut devenir très nocive : l’histoire montre que les mouvements sociaux finissent par se disperser.

LE MONDE DIPLOMATIQUE | MAI 2003 | Page 12 http://www.monde-diplomatique.fr/2003/05/CHAVEZ/10146

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