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20 décembre 2024

« Si Milei ne parvient pas à ce que l’Argentine commence à croitre, cela va se compliquer »

 

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L’image du président Javier Milei est passée de 40 à 44 points, selon le sociologue Hugo Haime. Il attribue cette évolution au fait que « le taux de change et l’inflation se sont stabilisés ». Interviewé par Y Ahora Qué, il affirme que « le péronisme ne se demande toujours pas pourquoi il a perdu les élections ». Il affirme que Cristina Kirchner sait voir les changements dans la société, mais ne se rend pas compte qu’« elle a fait partie de la crise du gouvernement de Alberto Fernández ».

Milei conserve le soutien des « hommes, des jeunes, des classes moyennes et supérieures », malgré « l’ajustement brutal » qu’il a mis en œuvre, selon les études du cabinet de conseil Hugo Haime y Asociados. Le rejet de son gouvernement se concentre chez « les femmes et les familles pauvres, surtout dans les banlieues ».Le diplômé en sociologie de l’université de Buenos Aires affirme que les gens ne blâment plus « le Fonds Monétaire International » pour les crises, mais plutôt « un leadership politique inopérant ». Il affirme que la société « n’a pas voté contre l’État », mais demande « qu’il fonctionne ». Il considère que dans ce contexte, Axel Kicillof « apparaît comme la nouveauté » et « une figure d’avenir ».

Comment expliquez-vous le soutien dont bénéficie Milei dans les sondages ?

Je vois le processus suivant : je crois que la société argentine souffre de grandes frustrations. Apparemment, celles-ci sont le résultat du gouvernement de Mauricio Macri et de celui d’Alberto Fernández.

Y a-t-il une majorité de personnes qui admettent que maintenant à elles aussi cela ne leur va pas non plus ?

Les gens finissent par dire : « Si ce qu’on connait et ce qui est classique n’ont pas fonctionné, je vais suivre quelqu’un qui me montre qu’il y a une autre façon de faire ».

Vous avez dit que la frustration a une origine apparente. Pourquoi ?

Le problème, c’est qu’il faut l’examiner d’un point de vue plus profond. Je vais émettre une hypothèse de travail. Car nous pourrions aller encore plus loin. La société argentine entre dans la crise de 2000 et 2001, et le fameux « qu’ils s’en aillent tous » apparaît. En réalité, personne n’est parti.

Ces années ont été ressenties comme la fin d’un cycle, comme un épuisement. Quelles étaient les erreurs que la société argentine estimait être les causes de la crise ?

À l’époque, la société argentine rendait responsables trois facteurs. Je vais vous les citer : le FMI, en raison des politiques d’ajustement et parce que, en outre, il n’avait pas accordé à l’Argentine le crédit qui l’avait obligée à se « mettre en faillite ». Elle a également accusé les politiques libérales. Le soutien des entreprises étrangères et de l’ensemble du monde des affaires. Et elle a également accusé les politiciens. En d’autres termes, l’Argentine se voit comme un pays riche, dévasté par les étrangers, par l’empire, face à l’inefficacité des politiciens. Plus encore : par des politiciens corrompus. Rappelons l’existence des pots-de-vin BANELCO au Senat dans le gouvernement de Fernando de la Rúa.

Comment le rejet s’exprime-t-il aujourd’hui ?

Aujourd’hui, quand on demande à la société argentine qui est responsable de tout cela, elle ne dit pas le FMI, ni les étrangers, ni les grands entrepreneurs. Aujourd’hui, c’est le leadership politique inopérant qui est coupable, celui qui a tout pris. C’est là qu’intervient le concept de « caste ».

Les hommes politiques sont-ils les seuls à être considérés comme une « caste » ?

Les hommes d’affaires font également partie de la caste. Vous êtes donc entrés dans une logique différente. Vous êtes entrés dans une logique dans laquelle tout ce qui aurait été reproché à Néstor et Cristina Kirchner, ils le mettent de côté, ils arrêtent de penser comme ça.

Quelles idées les gens ont-ils cessé d’avoir ?

L’idée que le gouvernement est obligé de redistribuer la richesse. Et donc de générer un processus de croissance économique, après la rigueur subie. Ainsi, tout ce que avaient été dénoncé contre les Kirchner cesse d’être un sujet. Et, en plus, il y a eu la période de la rupture d’un libéralisme léger, comme fut celle de Mauricio Macri. Il me semble que l’une des principales questions à poser, pour comprendre, est de savoir si la société argentine pense encore qu’elle vit dans un pays riche en ressources naturelles et humaines et que ceux qui gouvernent sont obligés de redistribuer cette richesse. Et, par conséquent, d’entreprendre un processus de croissance économique. Car si l’Argentine a cessé de penser qu’elle est un pays riche, cela justifie n’importe quelle mesure d’ajustement. Cela justifie le fait qu’il n’y a pas d’argent et qu’il n’y a pas d’endroit où en trouver.

Milei est donc évalué par la société à l’aune d’un critère différent de celui du passé ?

Si l’Argentine est considérée comme un pays riche et que les comptes sont en ordre, il est évident que l’obligation du gouvernement sera de faire croître l’économie. Mais c’est cette nouvelle situation qui est utilisée pour évaluer le gouvernement de Milei.

Qui la société perçoit-elle comme alternative ou opposition ?

C’est un autre facteur qui est présent. Il est lié à la crise du progressisme au niveau international. Pas seulement en Argentine. Nous l’avons vu clairement lors des élections aux Etats-Unis. Nous avons vu Kamala Harris revendiquer les pauvres, les immigrés, la culture « woke », mais ne parler pratiquement pas d’économie. Au contraire, Donald Trump a parlé d’économie, de production, d’emplois. Il y a donc une rupture dans le discours progressiste. On assiste à une montée en puissance du gouvernement de la nouvelle droite dans le monde. Dans le monde, dans les grands secteurs sociaux, on assiste à la perte du concept de société en tant que communauté.

Que voyez-vous à la place du sens du communautaire ?

L’idée de l’individu apparaît. Milei apparaît précisément comme une rupture. C’est comme si on disait : « Ça suffit, on a tout essayé et rien n’a marché ». Allons-y pour quelque chose de nouveau. Quelque chose de distinct, de différent.

Mais voit-on une adhésion à des approches excentriques telles que l’anarcho-capitalisme ?

La nouveauté ne signifie pas que la population a voté pour le non-État. Personne n’a voté pour le non-État. Maintenant, la personne qui a voté pour Milei dit : « Je veux un État qui fonctionne, qui remplit ses obligations ». Il doit s’agir d’un petit État, d’un État efficace, où il n’y a pas de « ñoquis »[Poste de travail et salaire fictifs]. Où il n’y a pas de favoritisme politique. Et où les services qui doivent être fournis ne le sont. Un bon système sanitaire, une bonne éducation, une bonne sécurité.

Celui qui a voté pour Unión por la Patria n’est pas d’accord avec cette vision ?

Ceux qui ont voté pour Sergio Massa n’adhèrent plus au discours de l’État actuel. L’État qui va tout résoudre. Parce que là aussi, cet électorat s’est rendu compte que l’idée d’un État qui finit par tout résoudre ne finit pas par résoudre les situations.

Pourquoi les électeurs ont-ils pensé que les problèmes du pays ne pouvaient pas être résolus ?

Parce qu’il y avait du favoritisme. Parce qu’il y avait des « planeros »[bénéficiers des aides sociales]. Parce qu’il y avait des gens qui n’allaient pas travailler. Et à cause des milliers de choses qui se sont produites. Vous entriez dans un bureau de service public et les gens n’étaient pas là. L’État n’assurait ni un bon service de santé, ni une bonne éducation, ni une bonne sécurité. Cela mis à part, on peut dire que pendant la pandémie, le gouvernement a fait tout ce qu’il pouvait. Oui, nous sommes d’accord. Mais je parle de ce qui est arrivé à l’électorat qui n’a pas voté pour Milei.

Quelle est l’ampleur des changements sociaux ?

Je veux dire que nous commençons à avoir des changements. Mais il ne s’agit pas d’une société qui nie l’État. Pas d’une société qui va passer à l’anarchisme.

Comment le soutien au président a-t-il évolué ?

Dans ce contexte, je constate que Milei commence avec un taux d’approbation de 52 % en décembre. Je peux vous dire qu’il est le premier président que je connaisse à avoir un taux d’approbation inférieur au nombre de voix qu’il a obtenues, c’est-à-dire 56%. Macri, également au second tour, obtient 51%, mais il part avec 60 points d’approbation et 70 points d’image positive. En revanche, Milei en décembre avait 60 points d’image positive. Rappelons que Néstor Kirchner a obtenu 22-23% des voix au premier tour et a terminé avec 70 points d’approbation. Il s’est passé quelque chose de similaire avec Alberto au début.

Quelle est la base de soutien de Milei ?

Milei a sa propre base électorale. Il s’agit d’un noyau dur de 30 points. À cela s’ajoutent les 25-26 points apportés par l’ancien parti Juntos por el Cambio. Mais à partir de ces 52 points initiaux, il chute systématiquement. Car l’ajustement est brutal.

Il y a eu un moment où l’image du Mileisme s’est beaucoup affaiblie.

En plus de l’ajustement, il y avait le conflit avec l’université. Et la question des retraités. Mais au milieu de tout cela, un processus de stabilisation économique s’est mis en place. Le dollar baisse et est pratiquement à l’arrêt. L’inflation se stabilise. On crée une situation dans laquelle les gens voient que ça va mal mais que ça s’arrête de baisser. Cela a duré jusqu’en août-septembre.

Qu’est-ce qui a changé depuis septembre ?

Depuis, la perception que le pays va mieux a un peu progressé. Milei commence à remonter. Je l’ai mesuré en août avec un taux d’approbation de 40 points. Il a terminé le mois de novembre avec un taux d’approbation de 44 points. Nous parlons de 35 % de personnes qui disent que le pays se porte mieux depuis qu’il est entré en fonction et de 45 % qui pensent que les choses iront mieux dans le pays d’ici un an.

Combien d’entre eux affirment que leur situation s’est améliorée ?

Une partie de la population dit s’en sortir un peu mieux, mais de combien s’agit-il ? Pas plus de 30 %. Il s’agit de 25 à 27 %. Cela signifie que j’ai encore une population qui soufre, avec une population qui a encore des attentes envers le président.

Le milleisme manque de structures partisanes loyales. Qui sont les optimistes ?

Si l’on veut regarder l’opinion publique par segments, je la regarde d’un point de vue sociodémographique. En faveur, ce sont les hommes et les jeunes, plus de l’intérieur du pays. Ils sont le soutien de base de Milei.

Dans quels secteurs le mécontentement est-il détecté ?

Chez les femmes, dans la zone métropolitaine de Buenos Aires, en particulier dans le Conurbano (banlieue et grande banlieue), dans les 42-43% de familles pauvres. Tous ont une mauvaise opinion du président. Dans ce segment, le niveau d’approbation est de 34-35 points. En revanche, dans les segments moyen et supérieur, l’évaluation est d’environ 50 points.

Qu’observez vous du coté du péronisme ?

Le problème du péronisme est que la question de savoir pourquoi il a perdu les élections n’a toujours pas trouvé de réponse. Aucune réponse n’a été apportée. C’est comme s’ils avaient décidé que celui qui est en face d’eux est très mauvais. Il fait porter les ajustements au peuple et il faut sortir et défendre le peuple. Mais les gens n’étaient pas satisfaits du gouvernement d’Alberto. C’est une photo qui ne parle pas d’espoirs, d’attentes et de ce qui s’est passé auparavant. Elle ne parle pas de ce qui pourrait arriver demain.

La population s’intéresse-t-elle à ce qui se passe en interne dans le kirchnerisme-péronisme ?

De toute évidence, Axel Kicillof pourrait être une figure d’avenir. Cristina, objectivement, a décidé de prendre la tête du Parti Justicialiste. Néstor était président du PJ dans sa province et aussi, pendant le premier gouvernement de Cristina, président du PJ national. Je ne sais même pas si Cristina était affiliée. Et si elle l’avait été, elle n’a jamais exercé de fonctions. Elle les méprisait. Rappelons que Cristina a toujours été « evitista »[revendique Eva Péron]. Aujourd’hui, elle commence à parler de Juan Perón.

Que signifie être péroniste dans la troisième décennie du XXIe siècle ?

Il me semble que le péronisme est encore pleinement valable du point de vue de ses bannières. Mais il a besoin d’un processus d’actualisation pour s’adapter à la scène moderne. Je pense que, dans ce sens, Cristina en est consciente. Elle dit donc : « Eh bien, les gars, arrêtons de parler de l’Etat actuel et commençons à parler de l’Etat efficace ».

Peut-on dire qu’elle « voit » ?

Elle remarque les changements et les demandes. La question est de savoir si Cristina, avec toute son histoire, est celle qui peut incarner le nouveau discours. D’une certaine manière, Axel Kicillof apparaît comme ce qui est nouveau. C’est lui qui incarne un discours qui, pourtant, n’est pas très actuel. Même s’il dit qu’il faut une nouvelle mélodie.

Le péronisme est-il dans un labyrinthe ?

Je ne pense pas que le péronisme comprenne pourquoi il a perdu. Le kirchnérisme ne comprend pas qu’il a participé à la crise du gouvernement d’Alberto. Pourquoi Cristina a mis Alberto Fernández au pouvoir. Personne n’allait voter pour Alberto si Cristina ne l’avait pas mis sur le ticket [Idem avec Scioli et Massa. El Correo]. Elle était donc la principale participante. Ensuite, il est arrivé que l’on mette un candidat et que l’on ne fixe pas le gouvernement. Il s’est donc passé quelque chose. C’est une situation compliquée.

N’est-ce pas un problème qu’il n’y ait pas d’autre alternative probable pour l’opposition ?

C’est vrai. Aujourd’hui, il y a l’antagonisme avec Milei, qui a trait à l’avenir. Cristina peut être, d’une certaine manière, a le moyen de dire « arrêtons la crise sociale ». C’est pourquoi tout cela est une question structurelle. Si Milei parvient à faire en sorte que l’Argentine commence à croître, qu’il y ait une meilleure répartition des revenus et qu’il n’y ait plus de travailleurs pauvres, il fera un bond en avant. Maintenant, s’il n’y parvient pas, les choses vont se compliquer.

Dany Meroya pour Y ahora qué ?

Y ahora qué ?. Buenos Aires, 13 de diciembre de 2024.

Traduit de l’espagnol pour El Correo de la Diáspora par : Estelle et Carlos Debiasi.

El Correo de la Diaspora. Paris, le 20 décembre 2024.

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