Accueil > Empire et Résistance > Blocs régionaux > BRICS > Chine > Regarder couler la rivière Chine…
par
Toutes les versions de cet article : [Español] [français]
Comme une rivière tranquille traversant un désert rocailleux, la Chine s’écoule silencieusement sur son chemin vers une primauté pacifique.
Le site Internet Guancha a publié la transcription d’une conférence de premier ordre donnée à l’Université Renmin sur les relations sinaméricaines par Martin Jacques, auteur de Quand la Chine gouverne le monde. Jacques est l’un des rares universitaires occidentaux ayant une expérience de terrain qui comprend réellement la psyché et le mode de vie chinois, par opposition à ceux de l’Occident.
Une partie particulièrement intéressante de la conférence concerne les recherches de Danny Quah, le doyen du très respecté Lee Kuan Yew Institute de Singapour. Voici la citation qui fait la une :
Ce qui est illustré de manière graphique est le basculement brutal du centre de gravité économique du monde, quels que soient les tsunamis rhétoriques émanant de l’hégémon. En 1980, le centre économique était atlantiste. Quah pense cependant que le centre économique n’atteindra la frontière sino-indienne qu’en 2050.
Si l’on prend la Chine combinée aux dix membres de l’ASEAN, sans même considérer l’Asie du Sud, on peut raisonnablement affirmer que le centre économique sera déjà à l’Est d’ici 2030, et sera sino-indien avant 2040.
Jacques a raison de dire qu’à ce moment-là, « l’ère asiatique remplacera l’ère occidentale, et depuis 1750, le monde a toujours vécu à l’ère occidentale ». À titre personnel, après avoir vécu et travaillé en Asie pendant la majeure partie des trois dernières décennies, je qualifie notre siècle de « siècle eurasien ».
Voilà, en un mot, la raison pour laquelle les élites hégémoniques/atlantistes sont en mode panique profonde. Le déjeuner gratuit – l’exploitation des richesses du Sud global – touche à sa fin.
La Chine a déjà élaboré le plan directeur de sa stratégie de développement jusqu’en 2035 et, sous de nombreux aspects, jusqu’en 2049. La situation actuelle est cependant extrêmement délicate.
La Banque populaire de Chine prend très au sérieux les ajustements nécessaires à l’économie. Plus tôt cette semaine, la PBoC a annoncé une réduction du taux hypothécaire en cours et du taux de réserves obligatoires : c’est-à-dire le montant de liquidités que les banques commerciales doivent détenir en réserve. La PBoC a également réduit le taux directeur de référence et stimulé les marchés financiers.
Le Politburo, présidé par le président Xi Jinping lui-même, est alors intervenu en force, promettant de protéger les entreprises privées chinoises, de stabiliser enfin le secteur immobilier toujours instable et d’adopter les dépenses budgétaires nécessaires.
C’est le cas sur le plan intérieur. Sur le plan extérieur, la Chine est en pleine forme. La priorité absolue est l’internationalisation lente mais sûre du yuan. Et c’est là qu’entre en jeu le rôle crucial de Hong Kong, comme le précise un rapport de l’Université Renmin.
La Chine a déjà commencé à dédollariser à une vitesse vertigineuse. La part du dollar dans les échanges bilatéraux est déjà passée de 80 % à moins de 50 %.
La Chine négocie désormais avec le monde principalement en yuans – et le pétroyuan n’est même pas encore pleinement utilisé. Depuis le lancement de l’opération OMS par la Russie en Ukraine en février 2022, le yuan est de facto la monnaie de réserve asiatique de la Russie. Parallèlement, Pékin accélère les contrats d’échanges de devises [swaps] sur l’ensemble du spectre et désigne davantage de banques de compensation dans le monde.
Hong Kong est une classe à part lorsqu’il s’agit d’institutions financières de pointe. Le lien est donc inévitable pour les investisseurs mondiaux : toutes sortes d’opérations sont possibles en Chine via Hong Kong, avec en prime la possibilité d’éviter les sanctions de l’hégémon.
Hong Kong deviendra donc à partir de maintenant un véritable Saint Graal pour toutes sortes de transactions libellées en yuans. Un véritable pôle d’attraction pour les génies de la technologie financière.
Hong Kong est déjà le premier marché mondial pour le yuan offshore, traitant près de 80 % de tous les règlements. Il y a trois mois, selon l’Autorité monétaire de Hong Kong (HKMA), la Région administrative spéciale comptait 151,7 milliards de dollars de dépôts offshore.
Ce n’est pas un hasard si un haut dirigeant de la HKMA a assisté au Forum économique oriental de Vladivostok au début du mois. Avec des taux d’intérêt élevés aux États-Unis et des taux d’intérêt faibles de la Banque populaire de Chine, des obligations offshore en yuans seront émises comme s’il n’y avait pas de lendemain.
De Pékin à Hong Kong, les élites politico-économiques chinoises sont tout à fait à l’aise avec le fait que, pour la première fois dans l’Histoire, l’ascension d’une grande puissance n’est pas conditionnée par l’impérialisme, la guerre, l’esclavage, le pillage et tout ce qui précède, mais par ce qui a été codifié depuis les réformes du Petit Timonier Deng Xiaoping à la fin des années 1970 sous le nom de « développement pacifique ».
Cela se reflète dans plusieurs concepts tels que le gagnant-gagnant, la prospérité mutuelle, l’égalité, la « communauté de destin pour l’humanité » et, en tant que projet géoéconomique principal, les corridors de connectivité interconnectés à travers La Nouvelle route de la soie [Belt and Road Initiative (BRI)].
Alors que la Chine investit dans le développement des infrastructures partout dans le monde, l’hégémon impose des sanctions, se livre à des bombardements, soutient des variantes des guerres éternelles, finance et militarise les révolutions de couleur.
La « stratégie » hégémonique, qui peut à peine être qualifiée de médiocrité absolue, va du financement par le gouvernement US d’une campagne de 1,6 milliard de dollars visant à salir la Chine, aux républicains divisés sur la question de savoir si un changement de régime à Pékin est leur objectif ultime, en passant par l’ambassadeur démocrate à Pékin convaincu que la politique de Washington à l’égard de la Chine n’est pas trop agressive.
Et puis il y a le petit fonctionnaire et secrétaire d’État adjoint Kurt Campbell – l’homme qui a inventé le « Pivot vers l’Asie » pendant la première administration Obama – qui a ordonné aux Européens de se montrer bellicistes envers la Chine et a décrit Pékin devant la commission des Affaires étrangères de la Chambre des représentants comme « le défi le plus important de notre histoire ».
En Asie, rares sont les individus au QI supérieur à la température ambiante qui prêtent attention à ces clowns. En revanche, ce qui ressort aujourd’hui des discussions éclairées en Asie du Sud et du Sud-Est, c’est que les progrès des BRICS ne seront pas suffisamment constants si l’accent reste mis sur les décisions consensuelles.
Une proposition audacieuse émerge : la Russie et la Chine – les dirigeants actuels des BRICS – devraient annoncer lors du sommet de Kazan le mois prochain qu’elles soutiennent une alliance yuan/rouble/or : comme si le monde devait choisir entre l’hégémonie de l’OTAN ou une alternative BRICS, mieux vaut commencer avec de l’argent sain (réel).
Au-delà de la faisabilité d’une telle proposition, il y a une critique sérieuse de l’Utopie ; la Majorité Mondiale doit être poussée à faire face à la dure réalité à laquelle elle est confrontée – la destruction nucléaire ou un nouvel ordre imparfait en évolution – et à prendre position, vite.
Pendant ce temps, comme une rivière tranquille traversant un désert rocailleux, la Chine s’écoule silencieusement sur son chemin vers une primauté pacifique.
Pepe Escobar* pour Strategic Culture Fondation
Strategic Culture Fondation. Russie, le 29 septembre 2024
Strategic Culture Fondation. Russie, le 29 septembre 2024.
Traduit de l’anglais pour El Correo de la Diaspora par : Carlos Debiasi
El Correo de la Diáspora. Paris, le 30 septembre 2024.