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24 octobre 2013

Qui se souvient d’une guerre en Afghanistan ?

par Guadi Calvo *

 

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Certains analystes internationaux commencent à évoquer la fin de la suprématie des États-Unis sur le monde et appuient essentiellement leur raisonnement sur le défaut de paiement qui fait suite à l’absurde course aux armements qu’a amorcée sans compétence en la matière l’administration Clinton en 1995, sous la pression d’un Congrès à majorité républicaine. Succombant à sa soif de lauriers et d’impérialisme, Clinton a accepté un réarmement inutile.

Après 18 ans d’une folle course aux armements qui a fait investir des budgets colossaux dans le complexe militaro-industriel – laissant de côté d’autres secteurs économiques -, les États-Unis sont à bout de force. Affaiblis, ils sentent dans leur dos le souffle rauque des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), les nouvelles puissances économiques, qui appellent à un nouvel ordre mondial. C’est, de fait, ce qu’a fait cette semaine le plus grand détenteur de bons du Trésor américain, la Chine, une annonce qui a donné le sourire sur l’autre rive de la mer du Japon, Tokyo étant le deuxième plus grand détenteur de bons du Trésor au monde. Les USA menacent de tomber en défaut de paiement d’un jour à l’autre, ce qui plongerait dans le marasme l’ensemble des places boursières de la planète. Les dernières nouvelles évoquent un accord entre Républicains et Démocrates, histoire de sauver ce qu’il reste de cheveux à un Obama grisonnant. [NB : L’article a été écrit avant qu’un accord ait été finalement trouvé avec les Républicains]

On s’attend, comme dans les films, à voir de nouveau débarquer la cavalerie juste à temps, et à ce que les annonciateurs de la banqueroute aient à patienter encore un peu avant l’arrivée du désastre. Mais juste un peu. Les interrogations s’accumulent, tout comme les factures qui restent impayées. Et si la cavalerie ne venait pas ? Obama évitera-t-il de devenir le pire président de l’histoire des États-Unis ? Le parti Républicain aura-t-il pitié de ce pauvre homme, fils de Kenyan et demi-frère de Malik Obama, un Frère musulman ?

Le 44e président des États-Unis, Barack Hussein Obama II, qui monte toujours les escaliers 4 à 4, pourra-t-il remonter cette pente-ci ou tombera-t-il dans l’opprobre absolu, infligeant à son pays la honte d’ « avoir été » et la douleur de ne plus être ce qu’il fut ?
Un métis aux mains des secteurs les plus réactionnaires des États-Unis, voilà qui ne laisse pas beaucoup d’espoir.

Mais si on sait une chose aux États-Unis, c’est que « The Show must go on ». Et on va dans ce sens, ou plutôt on envoie les agents de la CIA crier au monde entier et surtout aux électeurs, que nous, les États-Unis sommes toujours les gendarmes de la planète, et que si un bandit doit être arrêté, nous serons là, fidèles à la mission que nous ont assignée Dieu et la Nature. En fin de semaine dernière, nous décrivions comment les commandos de SEALS et de la CIA s’efforçaient de rendre « leur » justice au cours de deux opérations réalisées à près de 5 000 km de distance.

À Tripoli, capitale de ce qu’on appelait autrefois la Libye, ils ont mis la main sur Abou Anas Al-Libi, une vieille connaissance et ex-agent de la CIA, chef régional d’al-Qaida qui va maintenant s’exprimer devant un tribunal de New York, une cour qui l’attend depuis l’an 2000 et qui l’accuse d’être à l’origine des attentats contre les ambassades américaines de Dar es-Salaam en Tanzanie et de Nairobi au Kenya, qui ont fait plus de 200 morts et 5 000 blessés.

Il est probable qu’à l’annonce du verdict, le tribunal allège la sentence compte tenu des efforts considérables que al-Libi a fournis en 2011 aux côtés d’autres membres de la communauté occidentale tels que l’OTAN, la CIA et le Mossad pour renverser le colonel Mouammar Kadhafi.

L’autre grande opération, moins réussie, s’est déroulée à une centaine de kilomètres au sud de Mogadiscio - capitale de l’État en déliquescence de Somalie -, dans la région de Barawe, un village de bord de mer où un commando SEALS s’est lancé à la poursuite des membres de al-Shabaab, l’al-Qaida somalien, responsables de l’attaque du centre commercial Westgate de Nairobi le mois dernier. Mais le commando spécial n’a rien pu faire pour redorer le blason d’Obama, car après quelques coups de feux disparates, il est revenu bredouille.

Dans le cadre de l’opération marketing « Luttons contre le terrorisme, pendant que les Républicains luttent contre moi », le président Obama a déployé des effectifs cette fois-ci au Pakistan, où a été capturé un autre vieil et bon ami, le chef taliban Latif Mehsud, du Tehreek-e-Taliban Pakistan (TTP), un groupe formé en 2007 qui réunit une trentaine de factions se réclamant des Talibans ou d’al-Qaida.

Le groupe est implanté dans la région du Waziristan, au sud du Pakistan, à la frontière afghane, où il sévit fréquemment. On estime que ses 35 000 hommes ont approvisionné les bandes mercenaires luttant en Syrie contre Bachar el-Asaad, leur fournissant armes, logistique et dollars américains. Cette fois, le département d’État n’a pas révélé quand ni comment a eu lieu la capture de Mehsud. Il ne fait aucun doute que de nouveaux leaders d’al-Qaida ou Talibans tomberont en même temps que le prestige d’Obama ira en s’affaissant.
Et pour la CIA, monter de telles opérations doit être un vrai jeu d’enfant, vu qu’elle travaille depuis des années avec ces mêmes leaders sur d’autres projets, et que leur sécurité est elle-même assurée par des informateurs de la CIA.

Qui se souvient d’une guerre en Afghanistan ?

Depuis la dernière réunion en date du G20 à Saint-Pétersbourg - où Obama s’est retrouvé complètement esseulé dans son projet d’aller massacrer la Syrie -, entre l’accroissement alarmant du prestige de Vladimir Poutine (grâce à Obama lui-même) à la suite de son intervention sur l’arrêt des massacres en Syrie ; la volonté d’ouverture de l’Iran ; le départ dans un claquement de porte des généraux égyptiens après avoir désavoué l’homme de Washington ; le cas Mohamed Morsi ; les crises d’hystérie qui menacent Israël si réellement les discussions entre l’Iran, les États-Unis et l’Europe prenaient une meilleure tournure, tous les pions se mélangent pour le pauvre Obama, qui ne sait plus quel incendie éteindre en premier.

Il serait donc bon de lui rappeler qu’un foyer d’incendie couve en Afghanistan depuis 12 ans, et qu’il semble avoir vocation à se raviver. Dimanche dernier, le président afghan Hamid Karzaï s’est réuni avec le secrétaire d’État John Kerry pour négocier la présence militaire américaine après 2014 dans son pays, mais les discussions n’ont rien donné. Karzaï, qui conserve un souffle de dignité, ne veut pas céder aux prétentions de Washington sur la question de l’immunité des soldats américains qui donnerait le pouvoir aux troupes nord-américaines de mener des opérations en toute indépendance et sans le consentement des autorités afghanes, alors que Kaboul exige des garanties de Washington que ses troupes agiront de façon limitée et en accord avec les lois locales.

Ce dont les États-Unis ont besoin c’est d’établir neuf nouvelles bases militaires aux caractéristiques inédites par leur taille, qui en feraient de véritables enclaves nord-américaines échappant à toute forme de contrôle de la part des gouvernements locaux. Cette possibilité de « super bases » a été immédiatement écartée par la Russie, la Chine, et l’Iran, qui se trouverait à un jet de pierre de l’arsenal américain.

Bien entendu, on ne sait pas bien qui continuera à profiter des profits colossaux générés par l’héroïne afghane, dont la production est passée de 185 tonnes en 2001 à 5 800 tonnes en 2012, générant 150 milliards de dollars de recettes par an. Et quid du potentiel sous-terrain du sol afghan, qui renferme de gigantesques réserves de fer, cuivre, cobalte, or, plomb, bauxite, tantale, émeraudes, rubis, argent, charbon et lithium, des gisements découverts par les soviétiques depuis les années 1970 ?

Karzaï sait très bien que, pour assurer sa propre sécurité et celle de son peuple, il ne peut pas laisser les États-Unis quitter ses terres, au-delà des problèmes de déplacements stratégiques que le maintien indéfini des troupes de Washington pourrait engendrer avec les pays voisins et le Pakistan.

Les États-Unis ne resteront que s’ils peuvent mettre la main sur ces gisements, car, comme précisé précédemment, ils ne sont pas en condition de négocier une occupation plus étendue. C’est peut-être pour cela qu’ils ont besoin de convaincre Karzaï.

Les négociations sont restées au point mort, devant le refus afghan de laisser carte blanche aux États-Unis. Mais la marge de manœuvre de Karzaï est nulle : il est contraint d’accepter une négociation quoi qu’il arrive, puisque l’OTAN a annoncé qu’elle quitterait l’Afghanistan fin 2014, et que si Washington faisait de même, Karzaï a parfaitement conscience de ce qui l’attendrait : le même destin tragique que celui du président Mohammed Nadjibullah, renversé, torturé et exécuté par les talibans en 1996.

Depuis la réponse négative de Kaboul à Washington, les agissements des Talibans se sont multipliés ; cette semaine, après plusieurs attentats à la voiture piégée, la base aérienne américaine de Bagram, près de la frontière pakistanaise, a fait l’objet d’une attaque de 12 missiles dans la nuit de dimanche à lundi, tirés par des Talibans depuis les montagnes voisines, selon les sources officielles.

Sans l’appui de l’Occident, l’Afghanistan redeviendra, après une parenthèse de 12 ans, un sanctuaire salafiste avec lequel les États-Unis seront à nouveau contraints de négocier.

Guadi Calvo pour Hamartia

Hamartia. Buenos Aires, 16 Octubre 2013.

Traduit de l’espagnol pour El Correo par : Audrey Garcia-Santina

El Correo. Paris, 24 octobre 2013.

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* Guadi Calvo est un écrivain et journaliste. Analyste international spécialiste de l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Asie centrale. Collabore avec différents médias et radios en Amérique Latine : dirige sur Facebook : « Linea International », « Journal Hamartia », et « Jornada Latinoamericanas », « Revista Archipielago » (Mexique), « Caratula » (Nicaragua), « A Plena Voz » (Venezuela) Radio Madre (530 AM) Radio Grafica (89.3 FM )

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