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14 décembre 2007

Pour un multilatéralisme non néolibéral en "Suramérica".

par Raúl Zibechi *

 

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La façon peut être la plus adéquate d’aborder les différents conflits sociaux qui se succèdent sur notre continent, serait à travers une optique à long terme, comme ce que nous enseigne habituellement le sociologue étasunien Immanuel Wallerstein.

Ne pas le faire ainsi, implique de courir le risque de les attribuer à des caprices personnels de quelques présidents ou à l’irresponsabilité particulière des entreprises parties prenantes dans ces conflits.

En effet, plusieurs des situations les plus complexes pour les mouvements sociaux ont en commun deux faits remarquables : ils font partie de la nouvelle vague néolibérale et ils sont produits sous des gouvernements d’obédience progressiste qui cherchent, de manière explicite, la construction d’un monde multipolaire. La grève de la faim de l’évêque brésilien Luiz Flavio Cappio contre le détournement de la rivière San Francisco, la répression brutale contre les habitants de Dayuma (Équateur) qui exigeaient de retarder les travaux et le conflit autour de l’usine de celluleuse Botnia qui met face les gouvernements l’Uruguay et de l’Argentine, réunissent les deux caractéristiques indiquées. Des considérations semblables peuvent être faites en ce qui concerne les monocultures de soja et de canne à sucre, ainsi que les concessions pour l’exploitation minière dans la région andine.

Les travaux qu’exige le détournement de la rivière brésilienne sur 2.800 kilomètres, sont effectués avec l’excuse d’apporter de l’eau à 12 millions de pauvres du Nordeste qui souffrent de pénurie durant la période sèche. Mais diverses études ont montré que les travaux pharaoniques, dont le coût est estimé à un peu plus de 3 milliards de dollars, profiteront surtout aux grands chefs d’entreprise du Nordeste qui produisent des crevettes grises, des fruits et de l’éthanol pour le marché international. L’Agence Nationale de l’Eaux et l’Énergie propose une alternative meilleure marché pour s’occuper des besoins des pauvres sans eau, consistant en 530 travaux qui approvisionneraient 1.300 communes de la région pour un coût qui est seulement de la moitié de celui qu’exige la déviation des eaux du San Francisco.

C’est la seconde fois que Dom Cappio effectue une grève de la faim. La précédente fut en 2005 et elle prit fin face à l’engagement de Lula da Silva d’ouvrir un débat avec la société pour évaluer les travaux qui réaménageraient une rivière emblématique. Il a reprit à nouveau le jeûne depuis la fin novembre parce qu’en juillet le gouvernement a envoyé des militaires pour commencer les travaux. La ’Pastorale de la Terre’ et beaucoup de mouvements, entre eux le MST, ont soutenu le jeûne avec une grande solidarité. La réaction indigne du gouvernement attire l’attention. Pendant deux semaines, silence absolu. Mais dimanche 10, un article du ministre d’Intégration Nationale, Geddel Vieira Lima publie, publié dans la Folha de Sao Paulo  [1], accuse l’évêque de « fondamentaliste », de « mépriser les institutions » et de « terrorisme symbolique ». Vieira Lima n’est pas membre du Parti des Travailleurs (PT) mais du Parti du Mouvement Démocratique Brésilien (PMDB), mais il fait partie du gouvernement de Lula.

A Dayuma, dans la province d’Orellana [Equateur], la répression des habitants a été justifiée parce qu’à la suite de la protestation sociale la production pétrolière a été paralysée pendant quelques heures. Le gouvernement progressiste de Rafael Correa a militarisé un conflit social en envoyant l’armée qui a brutalement réprimé le mouvement, il a décrété l’État d’Urgence et a empêché - en menaçant de démissionner -que l’Assemblée Constitutive s’occupe du sujet. Dayuma est une paroisse pauvre, où on manque d’eau et d’électricité, les sols sont stériles à cause de la pollution et les paysans souffrent de la mort de leurs animaux et des dommages de leurs cultures.

En Uruguay, le gouvernement de Tabaré Vázquez a militarisé en son temps la zone d’implantation de l’usine, propriété de la multinationale finlandaise Botnia, pour éviter les manifestations des écologistes. En exacerbant le nationalisme, il a fermé les ponts [frontières avec l’Argentine] et a installé la police pour empêcher que les membres de l’assemblée écologistes de la ville argentine de Guyaleguaychú, puisent franchir la rivière [Frontière internationale] pour manifester leur rejet de l’usine de cellulose qui a commencé à fonctionner le mois dernier. Le modèle déforestation- cellulose a été instauré par les gouvernements néolibéraux des années 90, mais a été assumé par l’actuel gouvernement « progressiste » au point qu’on estime que peuvent être installées entre trois et six grandes usines durant les prochaines années.

Dans chaque cas on justifie les chantiers avec des arguments semblables : « rien peut mettre en danger le développement de nos pays », en entendant par développement des travaux pharaoniques qui supposent une croissance exogène, basée sur l’exportation des commodities [Matières premières coté en bourse dans des pays hégémoniques] et des matières premières qui ne laissent presque rien pour le pays. Mais dans les trois cas, on assiste à une criminalisation de la protestation sociale parce qu’elle est considérée - même si on ne le dit pas toujours de manière directe comme une gêne pour les projets « développementistes » de cette seconde vague néolibérale.

La puissante croissance économique du Brésil - dit on depuis le gouvernement- est une condition pour élever le pays et toute la région au rang de puissance globale, ce qui permettrait de limiter les vulnérabilités et de faire un pas vers le multilatéralisme dans la région et dans le monde. En Équateur, le multilatéralisme reste en évidence avec l’annonce de Correa de la cession de la base [2] de Manta à la Chine, et la mise en marche de l’axe Manta-Manaos qui fait partie de l’Initiative pour l’Intégration de l’Infrastructure Régionale sudaméricaine (IIRSA). Dans ce corridor routier et fluvial l’axe pétrolier appelé ITT (dans les provinces Napo et Pastaza) qui serait livré aux entreprises Petrobras (Brésil), Sinopec (Chine) et Enap (Chili) joue un rôle important.

Depuis le point de vue des mouvements sociaux, un monde multipolaire est beaucoup plus favorable qu’un monde unipolaire dominé par les Etats-Unis. Ce point paraît hors de discussion. Toutefois, ce qui ressortira de la décadence de l’empire étasunien, ne sera pas un pas en avant si cela fait partie du même modèle néolibéral contre lequel les peuples, organisés dans des mouvements, se sont mis en marche. Pour que la baisse de l’influence de Washington favorise les secteurs populaires latinoaméricains, le lieu que ses multinationales vont laisser vide ne doit pas être occupé par d’autres entreprises multinationales (quel que soit le pays), sinon par les Etats dans lesquels ces secteurs peuvent faire peser leur surveillance et leur volonté de changements.

Dans les années 90, notre continent a été envahi par des multinationales européennes qui ont profité des privatisations. La catastrophe qu’ils ont provoquée n’a pas été moindre que celles des multinationales yanquis. Maintenant des entreprises chinoises, des Indes, mexicaines et brésiliennes atterrissent. Allons-nous cette fois faire en sorte qu’ils ne pillent pas nos ressources et que n’humilient pas à nouveau nos peuples ?

Traduction de l’espagnol pour El Correo de  : Estelle et Carlos Debiasi.

Alai Amlatina. Montevideo, Uruguay, 13 décembre 2007.

Notes de El Correo  :

Notes

[2Actuellement dans des mains militaires US

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