Le nouveau président argentin, qui a pris ses fonctions officielles il y a moins d’une semaine, n’aura pas le temps de bénéficier du fameux Etat de grâce dont jouit tout nouvel élu. Et ce pour plusieurs raisons. La première, parce qu’il a été mal élu, compte tenu du renoncement de Menem, et de l’absence d’un second tour.
La seconde parce qu’il trouve un héritage lourd, avec des dossiers des plus sensibles, et qu’avant même d’être entré en fonction officiellement, lui et son ministre de l’Economie Roberto Lavagna, subissaient déjà ces derniers jours de lourdes pressions internationales, notamment de la part du FMI.
La timide amélioration de la situation économique du pays depuis quelques mois ne parviendra pas à faire disparaître ou à reléguer au second plan des problèmes de fonds qui vont opposer ces prochaines semaines les dirigeants argentins et les représentants de ce qu’on appelle la « communauté internationale », derrière laquelle on retrouve tantles organismes internationaux, que le monde de la finance ou encore les grandes multinationales.
Pourtant, qu’il s’agisse du dossier de la dette publique argentine, de la remise sur pied du système bancaire argentin, ou de la gestion des services publics, pour ne citer que les trois dossiers qui préoccupent cette communauté internationale, il s’agit de sujets explosifs. Pourquoi ? Parce que le peuple argentin qui a enduré une situation des plus difficiles ces derniers mois, qui a vu son niveau de vie dégringoler, et la pauvreté gagner sournoisement d’abord, puis au grand jour, quasiment toutes les couches sociales de la société, n’est pas prêt à tolérer et ne tolérera pas davantage de sacrifices.
La pauvreté touche les deux tiers de la population. Le chômage, un quart des actifs. La santé et l’éducation deux secteurs de fierté du pays sont entrain de se dégrader à vitesse grand V. Alors il faut bien que la communauté internationale comprenne que si les mesures exigées de la part du gouvernement argentin vont à l’encontre de ce que peut supporter la population, la rue s’exprimera à nouveau. Et si la rue s’exprime cela peut être une porte ouverte à la violence, et que certains se saisiront de ce soit disant « désordre ».
Les institutions internationales, les grandes entreprises multinationales ont une responsabilité directe dans le maintien ou non de la démocratie en Argentine. Si elles demandent l’impossible au nouveau gouvernement, elles favorisent ouvertement le jeu de certains extrêmes. Les heures sombres ne sont pas loin.
L’Europe a donc un jeu important à jouer dans cette manche. En aidant l’Argentine, en ne lui imposant pas de respecter des mesures impossibles à tenir, elle participe au maintien d’une démocratie qui peut être facilement fragilisée. Les grandes entreprises françaises fortement implantées dans le pays sont les premières sur la ligne.
Trop facile dans certains cas de brandir les provisions passées au titre de l’Argentine pour justifier d’obtenir une renégociation des contrats ou de nouveaux avantages. Certaines ont comme la distribution profité du marasme pour continuer à faire leur marché. D’autres ont vu en effet que leur "business plan" initial ne pouvait être tenu. Mais dans un pays au bord de l’asphyxie est-il intelligent voire sensé de réclamer des augmentations de tarifs sur l’eau ou l’électricité alors que les gens font les poubelles pour se nourrir.
Imposer des tarifs que les gens ne pourront pas payer, c’est participer au désordre, c’est irresponsable sur un plan démocratique. C’est obliger les gens à détourner les lignes ou les réseau pour avoir accès au service. Qu’est ce qui compte le plus ? Un centime de plus sur le cours de bourse ou créer une révolte qui déstabilisera le président à peine élu, dans un pays qui a déjà payé le prix de 30000 morts.
Où est l’éthique dont se réclament ces grands groupes, ou est le développement durable dont ils se gargarisent à longueur d’interviews et d’assemblée générale. Il sera intéressant de voir à l’occasion de la gestion du dossier argentin l’application de ces concepts séduisants, et surtout s’ils arrivent à dépasser le cadre étriqué du papier glacé des rapports annuels, de développement durable, notation sociale. Certains groupes comme Suez ont mis en route une procédure d’arbitrage international.
A peine arrivé Kirchner est attendu au tournant, les bruits courent que ses propos déplairaient à l’establishment. C’est pourquoi concernant la dette Kirchner entend conserver une position ferme, précisant que son gouvernement entend suivre des « principes fermes de négociation avec les créanciers de la dette souveraine… »
Une chose a changé aujourd’hui, le peuple argentin peut aussi décider de se passer de l’establishment. Dans le que se « Vayan todos » d’il y a quelques mois, il était aussi concerné. Si les opérateurs veulent se retirer ce n’est pas la population qui les retiendra. De plus, ils savent très bien que s’ils s’en vont d’autres viendront les remplacer misant sur l’amélioration de la situation du pays. La communauté internationale doit aussi se rendre compte que les argentins ont pris conscience que leur fermeté s’avérera payante.
El Correo . Paris, 9 de septiembre de 2003