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Par Guillermo Almeyra
La Jornada. Mexique, le 2 octobre 2005
Il est sage d’apprendre à partir de l’expérience étrangère. Et, dans le domaine de la relation qui existe entre l’action directe, l’organisation d’un double pouvoir par l’action des masses, la construction de sujets dans l’action, d’une part, et les élections comme méthode démocratique bien que compliquée et déformée pour "refonder" un pays au moyen d’une assemblée constitutive, d’autre part, il est fondamental d’apprendre ce qui se passe en Bolivie.
Dans ce pays des Andes s’affrontent deux types de démocraties (la directe et la représentative) et deux types de stratégies (construire le pouvoir depuis le bas, face au pouvoir de l’État, en utilisant la légitimation que donnent les luttes, même si celles-ci sont illégales, ou en obtenant la majorité au Parlement, imposer légalement l’assemblée constitutive, qui donnerait l’accolade légale à ce qui est légitime, mais non reconnu par les lois, et servirait à reconstruire le pays).
Les mouvements sociaux, dans leurs luttes, ont changé ceux qui combattaient, ils les ont radicalisés, ils ont construit une nouvelle subjectivité, en même temps qu’ils ont mis à bas deux présidents, les obligeant à convoquer de nouvelles élections parlementaires, à avancer les présidentielles, à convoquer une constituante.
Mais bien que la Bolivie ait une population majoritairement indigène, bien que les paysans indigènes forment une partie très grande et fondamentale de cette population, bien que les ouvriers, peu nombreux, sont stratégiques par leur rôle dans les villes et dans les centres politiques, et bien que le poids de la culture et l’organisation ouvrière traditionnelle soit déconcertante et entraîne les habitants et les classes moyennes urbaines et rurales pauvres, qui sont loin de former une "multitude" amorphe et libèrent une aiguë et incessante lutte de classes contre les exploitants et oppresseurs (étrangers et de l’oligarchie q’ara - c’est à dire, blanche -), les mouvements n’ont pas suffi par eux -même à résoudre le problème du pouvoir local et du gouvernement central.
Les élections constituent, par conséquent, le moyen de populariser leur programme et leur lutte, de convaincre des indécis ou ceux qui sont encore sous l’hégémonie culturelle de la droite, d’étendre et organiser des alliances, de construire une base de masses plus vaste pour soutenir un gouvernement progressiste qui devrait sortir de la rénovation des chambres, que rendrait possible la convocation légale et pacifique de la constituante.
C’est un pas obligatoire, même pour légaliser, comme au Venezuela, un possible gouvernement qui s’est imposé dans les rues et à la campagne, devant la résistance inévitable des classes dominantes indigènes et également face à l’intervention inévitable de l’impérialisme, qui ne peut pas tolérer ce foyer d’instabilité aux frontières du Brésil, du Paraguay, d’Argentine et du Pérou et la création d’un problème militaro-diplomatique grave avec le Chili qui résulterait du triomphe de la gauche politique et sociale bolivienne.
Face aux puériles qui vocifèrent en disant que la participation aux élections est une trahison et que le candidat - qui a davantage de perspectives de gagner (le quechua-aymara Evo Morales, dirigeant paysan)- est funeste parce qu’il dévie les volontés révolutionnaires vers les urnes, les travailleurs et la population pauvre de El Alto ou des villes, et une part importante de la classe moyenne pauvre, les organisations sociales (travailleurs et paysans) qui forment la base du MAS (Mouvement au Socialisme) se sont unies et veulent gagner les élections, ce qu’ils espèrent faire grâce à leur mobilisation.
Devant la confirmation par des enquêtes successives de la possibilité qu’Evo Morales obtienne la majorité aux élections de décembre, la droite, qui parle toujours du requiem électoral et de démocratie, essaye d’annuler les élections, tandis que les classes subalternes essayent de les imposer et de mettre en échec cette énième manœuvre en recourant récemment au pouvoir de la rue, à la conquête du public, à l’action directe. Ce n’est pas que cette majorité d’exploités ne veuille pas un changement social ou soit simplement réformiste : elle le veut mais, si possible, sans morts dans la rue et en pesant avec tout son poids organique et majoritaire, pour imposer une autre légitimité, la sienne propre, par la voie légale.
Il n’y a donc pas une Muraille de Chine entre élections et transformation sociale, création de pouvoir dans les esprits des gens et sur le terrain, affaiblissement de l’État oppresseur. La lutte de classes se livre même sur le terrain déformé de la campagne électorale. Et si la campagne électorale se fait, par la force ou par option propre, à travers mobilisations et construction et dispute du pouvoir dans les esprits et dans les localités, cela aide à former des cadres, des organisations, à améliorer les alliances, cela définit des volontés, et ne donne pas pied à la cooptation ou à la corruption par l’appareil étatique dont ils seront élus.
Le sectarisme de la COB, qui est aujourd’hui un sceaux entre les mains d’un dirigeant douteux, ne convainc même pas les syndicats, ni les travailleurs, paysans, ou habitants organisés. Et Felipe Quispe, le chef aymara qui jusqu’il y a peu, avait du poids politique, reste aussi seul parce qu’il ne comprend pas que même si la Bolivie a été une invention des créoles qui ont gagné la guerre de l’Indépendance, sa fragmentation est aujourd’hui réactionnaire et inacceptable pour les boliviens (dans sa version de droite du séparatisme crucegno, ou dans sa version aymara, qui non seulement romprait avec les métis principalement urbains, nécessaires pour une "refondation" du pays, mais aussi avec les quechuas et d’autres ethnies minoritaires parmi les peuples originaires).
La Bolivie en un coup d’œil :
Villes principales : La Paz, Cochabamba, Santa Cruz, Sucre.
Superficie : 1.098.580 Km2
Population : 8,8 millions
Langues : Espagnol, quechua, aymara, guarani.
Indicateur de développement humain : 0,681
Produit national brut : 22 milliards de dollars.
PIB per capita : 2.700 dollars