Dans le contexte de l’intégration régionale dans les Amériques, l’ouvrage s’intéresse au système migratoire dynamique établi entre le Mexique et les Etats-Unis. L’analyse porte sur les logiques de transformation du processus social qui permet au phénomène migratoire de perdurer dans des conditions variables. Le champ migratoire est abordé comme un système complexe dans lequel sont en interaction les logiques de circulation des personnes, d’échange de biens et d’interpénétration culturelle entre les différents pôles du déplacement.
D’un point de vue conceptuel tout autant que méthodologique, la problématique de travail se situe à l’intersection de trois manières distinctes d’aborder les thématiques migratoires. Celle, d’abord, des travaux menés sur les migrations internationales par les sciences sociales en France et en Europe, et qui privilégie une approche dynamique et globale de la géographie des migrations, englobant les lieux de départ et d’installation des migrants, mais aussi les parcours, les relais et les processus migratoires. Celle, ensuite, des recherches menées en anthropologie sociale, notamment au Mexique, sur le fonctionnement à l’échelle locale des processus migratoires. Celle, enfin, des travaux nord-américains développés à partir des sciences politiques autour de la question du "transnationalisme" : la construction de dispositifs sociaux supranationaux y est observée comme résultante de la multilocalité et du fonctionnement réticulaire qui caractérise le groupe social inscrit dans une logique migratoire.
Dans une première partie, l’ouvrage s’intéresse à la dynamique spatiale du système migratoire Mexique Etats-Unis en considérant différentes échelles d’analyse. Les logiques simultanées de concentration et de diffusion des migrants sont mises en parallèle des processus d’urbanisation et de canalisation spatiale au sein du champ migratoire international. La transformation des modèles migratoires au cours de la dernière décennie a complexifié le schéma général développé historiquement. L’installation durable aux Etats-Unis d’une partie des migrants, l’élargissement des expériences migratoires à d’autres catégories sociales, la diffusion spatiale du phénomène ont contribué à reformuler les logiques de la mobilité. Dans le pays d’arrivée, la permanence de la présence mexicaine a ainsi donné naissance à un ensemble de niches migratoires, principalement sous formes de quartiers urbains, dont la constitution s’articule souvent avec un "substrat hispanique" formé par l’ensemble de la population latina des villes états-uniennes. Ces lieux spécifiques ont alors joué le rôle de pôles migratoires à l’étranger, permettant un redéploiement des trajectoires et un nouveau mode de canalisation des flux. Dans de nombreux cas, notamment en Californie et au Texas, l’établissement de ces niches contribue à la diffusion spatiale des flux et à l’élargissement des expériences. Dans le pays de départ, on a assisté pendant la même période à une diffusion du processus de migration internationale. Dans les régions de tradition migratoire ancienne, c’est souvent grâce à l’existence de filières déjà établies que s’est diffusé socialement le modèle migratoire, particulièrement en direction des populations les plus modestes pour lesquelles les réseaux sociaux déjà existants rendaient le projet migratoire plus accessible. C’est aussi spatialement que s’observe la diffusion des pratiques de migration, depuis le milieu rural vers les centres urbains de toutes tailles et depuis les régions traditionnelles vers de nouvelles portions du territoire national. En cela, c’est un certain modèle social de réussite qui se diffuse : dans un contexte de rétrécissement des opportunités locales, l’image traditionnellement dépréciée du migrant international s’est inversée au vu du nouveau statut auquel il a accédé dans son lieu d’origine.
Dans une seconde partie, l’auteur met en avant l’importance des processus sociaux qui naissent du mouvement et contribuent à l’entretenir. L’observation des stratégies mises en place par les migrants, acteurs multiples et différenciés du fait migratoire, est conduite selon deux dimensions complémentaires. Les réseaux sociaux développés dans l’expérience migratoire et les différents flux (matériels et immatériels) qui transitent entre les lieux de départ et d’installation sont analysés comme les structures actives du système de mobilité. Comme dans la majorité des courants migratoires affirmés, le rôle des réseaux sociaux est une dimension essentielle de l’organisation de la mobilité pour les migrants mexicains. Les réseaux d’interconnaissance construits par les migrants sont multiformes : très actifs mais peu formalisés au sein des cellules familiales, ils prennent des formes plus élaborées et donnent lieu à des dispositifs fortement structurés à l’échelle collective. Avec la forte canalisation des flux autour de quelques filières géographiques issues de ces réseaux, le maintien de deux modèles migratoires dominants (temporaire et permanent) conduit à structurer des champs migratoires particulièrement actifs. La répétition des mouvements saisonniers tend à la formation de "communautés-filles" à l’étranger, particulièrement bien connectées avec le lieu d’origine des familles par un ensemble de flux que l’amélioration générale des technologies de communication contribue à renforcer. Dans cette dynamique, de multiples formes de déplacement des personnes s’ajoutent dans les deux sens au mouvement initial suscité par la recherche d’opportunités d’emploi : visites à des proches au Mexique ou aux Etats-Unis, déplacements liés à une activité commerciale entre les deux pays, retours saisonniers ou définitifs, flux touristiques, etc... En parallèle, ces mouvements s’accompagnent de flux d’argent, de matériels divers et plus généralement d’informations, de normes et de valeurs propres au double contexte qui les produit.
L’étude offre, dans une troisième et dernière partie, une réflexion sur la production dans ce contexte de formes originales du lien social et de rapports spécifiques au territoire. Les réseaux sociaux et les logiques de flux entre les pôles de l’espace migratoire contribuent activement à la production de dispositifs originaux de rapport au territoire. Les savoir-faire acquis dans la mobilité sont capitalisés et des "stratégies" sont mises en place afin de jouer sur les disparités de l’espace migratoire. La constitution d’un espace social continu malgré la distance géographique se dessine comme une nouvelle forme d’adaptation, entre logiques de migration saisonnière et processus d’émigration définitive. Par la pratique tout comme par l’évocation symbolique ou l’inscription dans la mémoire collective, les lieux de la mobilité participent du processus d’identification socio-spatiale, conduisant à la production de territoires réticulaires transnationaux basés sur les dimensions communautaires faisant sens pour les groupes migrants. Les logiques sociales originales qu’ils supportent et produisent préfigurent très probablement de nouvelles formes de rapport au territoire, d’articulation du local et du global pour des populations dont les espaces de vie se trouvent complexifiés par le mouvement.
Par Laurent Faret*
Les territoires de la mobilité
CNRS Editions, 2003, 351 p.
Collection Espace et Milieux
URL : www.cnrseditions.fr
ISBN : 2-271-06041-9
ISSN : 1269-701X
*Laurent Faret, docteur en géographie, est maître de conférences à l’université Paris VII-Denis Diderot. Il participe à des programmes de recherche sur les formes d inscription socio-spatiale des mobilités contemporaines. Il a travaillé plusieurs années au Mexique au sein du Centre d études mexicaines et centre-américaines (CEMCA).