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12 de noviembre de 2009

Les murs, ou la marque visible de l’exclusion:
Construction de barrières de sécurité dans les villes de Rio de Janeiro et de Buenos Aires.

por Jean-Sébastien Blanc

 

Les murs sont à la mode. Au niveau international, ils s’érigent dans des zones de fracture pour tenter de trouver des solutions aux problèmes protéiformes de l’insécurité et des flux migratoires.

Le plus « visible » de tous, celui séparant Israël de la Cisjordanie, a été condamné par la communauté internationale par le biais de l’avis consultatif de la Cour Internationale de Justice le 9 juillet 2004. Cependant, sa construction se poursuit sans que l’état israélien ne semble inquiété outre mesure. A la frontière sud des Etats-Unis, une immense barrière tente d’empêcher l’entrée incontrôlable des migrants mexicains en quête de meilleures conditions de vie. Dans de nombreuses zones « chaudes » de la planète, à Ceuta et à Melilla, entre l’Inde et le Cachemire, le Maroc et le Sahara Occidental, le Bangladesh et l’Inde, l’Arabie Saoudite et le Yémen, etc., des murs s’érigent pour asseoir du mieux possible le contrôle glissant de l’Etat sur le territoire et les mouvements de population.

Si l’évolution internationale semble se diriger vers une parcellisation incarnée par l’érection de barrières dans les zones sensibles de la planète, un développement identique se produit à l’intérieur des grandes villes. La globalisation promettait, du moins selon les tenants du néolibéralisme, un accroissement des richesses qui bénéficierait à tous, mais, pour reprendre les mots du philosophe Jean-Luc Nancy, dans son ouvrage dédié à la mondialisation, en réalité « s’accumulent de façon proportionnelle les clivages et les apartheids dans l’accès à la chose urbaine. [1] » L’Amérique Latine, avec ses mégalopoles tentaculaires, est certainement le continent où cette déchirure sociale se perçoit le plus clairement. Les nantis se réfugient dans leur tour d’ivoire [2], tandis que les bidonvilles phagocytent les rares espaces épargnés par l’urbanisation intempestive. Face à la misère galopante et à l’insécurité croissante, certaines villes ont opté pour la construction de murs de division à l’intérieur de leurs propres « enceintes ». Comme le souligne très justement le sociologue Zygmunt Bauman, « les murs qui entouraient autrefois la cité la traversent désormais et s’entremêlent en différentes directions. Quartiers protégés, espaces publics rigoureusement surveillés et accès sélectif, gardiens armés aux portails et portes électroniques. [3] » Nous nous proposons ici d’examiner deux situations représentatives de la réalité latino-américaine : tout d’abord la construction d’une enceinte autour de certaines favelas de la ville de Rio de Janeiro, puis la tentative (gelée) d’ériger une barrière entre un quartier populaire et une commune cossue de la banlieue nord de Buenos Aires, pour tenter d’enrayer l’escalade de la violence qui sévit particulièrement dans ces zones « tampon ».

Rio ou l’alibi écologique

L’année 2009 avait à peine commencé que la décision du maire de Rio de Janeiro, Eduardo Paes, épaulé par le gouverneur de l’état de Rio, Sergio Cabral, d’emmurer la favela de Dona Marta, voisine du quartier résidentiel de Botafogo, au sud de la ville, a généré une polémique qui a reçu un écho international. Le prix Nobel de littérature portugais, José Saramago, a comparé le projet aux murs les plus unanimement critiqués : « Nous avons eu le mur de Berlin, nous avons le mur de Palestine, et maintenant ceux de Rio », et d’ajouter : « Entretemps, le crime organisé prospère de tous côtés, tandis que les complicités verticales et horizontales pénètrent les appareils de l’Etat et la société en général. [4] » L’objectif déclaré est de mettre un frein à l’expansion incontrôlée de la favela tout en protégeant la forêt primaire attenante de l’avancée du bitume, le mur de brique et d’acier se faisant plus inoffensif sous son appellation officielle d’ « écobarrière ». L’exclusion sociale se dissimule de la sorte derrière le très respectable argument écologique. Il est incontestable que la ville de Rio est confrontée à la prolifération des favelas qui atteignent aujourd’hui presque le millier et où vivent environ un cinquième de ses habitants. Parallèlement aux opérations musclées des forces de l’ordre, la nouvelle stratégie consiste donc à construire des murs d’encerclements, renforçant ainsi le caractère de zones de non-droit propre aux favelas. Le mur de Dona Marta, qui atteint jusqu’à trois mètres de hauteur, n’est en réalité que l’un des dix-neuf prévus par les autorités, dont celui qui devrait isoler la favela de la Rocinha, considérée comme le plus grand bidonville d’Amérique Latine (avec une population de près de 200.000 habitants).

L’idée d’élever des enceintes autour des favelas remonte en réalité au début des années 2000 (certaines barrières moins sophistiquées, au
demeurant, existent déjà depuis une dizaine d’années), comme résultat de l’impuissance des autorités face aux luttes entre narcotrafiquants et à la croissante criminalité. Selon Latinobarómetro, institut indépendant d’opinion publique partiellement financé par le PNUD, le Brésil reste le pays d’Amérique du Sud où la perception de la
violence est la plus élevée parmi ses habitants (ainsi, 33% des personnes interrogées se disent concernées par la violence entre gangs [5]).

Au-delà d’une bataille supposément menée au nom de
l’écologie, la vraie question est bien celle d’un
combat entre l’Etat, décidé à imposer sa
souveraineté, et les puissants gangs de la drogue, comme l’a fait remarquer le correspondant du quotidien Le Monde à Rio : « Il s’agit de
reconquérir le territoire longtemps abandonné aux délinquants et d’y
réaffirmer la présence de la puissance publique. » A l’heure de la proclamée déterritorialisation générée par la mondialisation, les puissances étatiques ne sont donc pas prêtes à capituler.

Cependant, la construction de murs n’est-elle pas justement la preuve d’une capitulation de l’état, ce dernier finissant par accepter, de facto, l’existence de territoires clairement délimités qui échappent à son contrôle ? Rio, connue pour la visibilité du fossé existant entre riches et pauvres, va désormais prendre soin d’occulter sa misère derrière des murs. Comme l’a bien résumé Rossino de Castro Diniz,
président de l’Association des favelas de Rio, « le gouvernement n’ayant pas accès aux favelas, ils vont donc les encercler [6] », soulignant ainsi
l’impuissance des autorités face au problème.

Buenos Aires et le sursaut civique Au début du mois d’avril 2009, la polémique autour des murs a gagné la capitale argentine. En effet,
Gustavo Posse, le maire de la commune de San Isidro - une des plus riches du pays - avait décidé d’ériger un mur, fait de béton et de grillage, d’une hauteur allant jusqu’à trois mètres, entre le quartier
de La Horqueta, sis dans sa juridiction, et le quartier populaire voisin, du nom de Villa Jardín, situé sur le territoire de la commune limitrophe de San Fernando. Le maire de cette dernière, Osvaldo
Amieiro, a immédiatement réagi en saisissant la justice: Ribeiro Cardadeiro, le juge pour mineurs de San Isidro, a ainsi ordonné la suspension de la construction, tout en enjoignant les parties à
affecter davantage de policiers dans la zone en question, jusqu’à ce que la question de fond soit résolue. Entretemps, les habitants du voisinage (en provenance de San Fernando), aidé par quelques
membres du puissant syndicat des camionneurs, se sont empressés de saccager la partie du mur qui avait eu le temps de sortir de terre, sous le regard impassible des policiers détachés sur place.

Le maire de San Isidro a justifié sa politique d’emmurement au nom de l’insécurité croissante - et bien réelle - et alléguant son devoir de protection des citoyens qui l’avaient élu. Sa tentative avortée -
du moins provisoirement - a eu le mérite de générer un débat nourri au sein de la société argentine. Les autorités provinciales et même
nationales sont intervenues pour tenter de calmer le jeu. Le gouverneur de la province de Buenos Aires, Daniel Scioli, a annoncé par le biais de son chef de cabinet, qu’il n’autoriserait pas la reprise des travaux, tandis que son
Ministre de la Sécurité a parlé d’ « une
folie qu’il faut freiner le plus
rapidement possible. [7]» La présidente
Cristina Fernández de Kirchner a,
quant à elle, parlé de « régression » et
de « mesures séparatistes [8] »,
condamnant ainsi sans ambigüité le
projet en question. Le rejet a donc été
presque unanime et peu nombreux
étaient les habitants de San Isidro à le
défendre ouvertement, tout en
réclamant, cependant, des mesures de sécurité
renforcées.

Les Argentins ont fait preuve d’un sursaut civique
certain face à l’érection du mur de San Isidro, mais
la médiatisation de cet épisode a tendance à faire
oublier que l’enclavement de « zones à risque » est
une réalité dans plusieurs quartiers de la ville. Les
places, les parcs et les monuments en général ont vu
apparaître dans leurs pourtours des barrières qui,
une fois la nuit tombée, ont pour but de contribuer à
la lutte contre l’insécurité. Le confinement des
villas miserias [9] est également une tendance à
relever, comme le prouve par exemple la
construction d’une barrière de plus deux mètres de haut séparant depuis 2003 la villa 31 (certainement
la plus visible et médiatisée de toute, de par sa
proximité au quartier centrique de Retiro) et le Parc
Thays sur tout un tronçon. Ces nouvelles
segmentations urbaines sont ainsi la réponse
trouvée par les autorités face au problème croissant
de la violence, de la pauvreté et du chômage. Il
s’agit bien, comme l’a démontré Loïc Wacquant,
d’une « relégation sociospatiale » et, reprenant
l’expression de Max Weber, de « fermeture
excluante [10] » (Schliessung), c’est-à-dire que l’accès aux chances économiques et sociales pour la
catégorie exclue, porteuse de « stigmates
territoriaux », dans ce cas précis définis par
l’existence d’un mur qui n’a rien de figuré, se
voient réduites comme peau de chagrin.

Manifestation visible de l’exclusion sociale

Entre 1989 et 2009, vingt ans se sont écoulés. Le
mur de Berlin, souvent étiqueté comme
« mur de la honte » appartient
désormais à l’histoire. La Guerre
Froide terminée, la grande ligne de
démarcation symbolique qui séparait
les deux camps n’a guère laissé plus
que quelques morceaux épars. A
l’heure de la globalisation et de
l’intensification croissante des
échanges internationaux, le
morcellement et la segmentation sont
cependant palpables. L’Etat désorienté
entre dans la logique que
l’anthropologue Marc Abélès a
dénommée « politique de la survie [11] ».

Dans cet état des choses privé de
perspectives, où l’incertitude est le
maître-mot, on assiste à un délitement
social jusque dans les sociétés les plus avancées.
L’urbs est le témoin privilégié de cette évolution,
qui voit apparaître le phénomène, décrit par des
nombreux chercheurs nord-américains de « sousclasse
» (underclass). Si ce concept a été critiqué
pour son imprécision (Wacquant, 2005), il reflète
cependant l’émergence d’un nouveau type de
pauvreté structurelle dans les grandes villes. Les
politiques néolibérales en Amérique Latine dans les
années 1990, guidées par le « Consensus de
Washington », pour reprendre le terme de
l’économiste John Willamson désignant la stratégie
de stabilisation économique définie par le
gouvernement étasunien, le FMI et la Banque
Mondiale, ne sont pas étrangères à cette situation. Selon la CEPALC (Commission économique pour
l’Amérique Latine et les Caraïbes), entre 1980 et
1999, le nombre de foyers pauvres de la région a
augmenté de 34,7%, tandis que l’inégalité dans la
distribution des richesses a fléchit brutalement [12].

La ségrégation urbaine, qui est à la fois la cause et
l’effet de l’exclusion, se voit désormais matérialisée
par la construction de murs. Si ces derniers ont
toujours eu, dans l’histoire de l’humanité, la
fonction de protéger une population d’un ennemi
extérieur, cette fonction est désormais dépassée
pour se substituer à celle de confinement d’une
partie de la population indésirable. L’aspect culturel
de cette ségrégation, quant à lui, a pour
conséquence la stigmatisation territoriale des
personnes se trouvant du « mauvais » côté du mur.
La situation à Rio est certes différente de celle
existante à Buenos Aires, où le niveau de
criminalité n’atteint pas les mêmes sommets.
Cependant, la logique qui opère est identique,
même si la population argentine, peut-être moins
frappée par la violence urbaine que son voisin du
nord, semble opposer davantage de résistance à
l’enclavement des populations marginales. Une des
raisons de cette opposition manifeste réside
certainement en partie dans le fait que cet
encerclement se fait au détriment de l’espace
public, qui tend à disparaître en tant qu’acquis
citoyen.

La grande barrière qui coupe le continent américain
en deux, à la frontière méridionale des Etats-Unis,
s’inscrit elle aussi dans une logique d’exclusion, à
plus grande échelle. La globalisation réduit les
distances à néant, ou presque, mais elle génère en
même temps une parcellisation, tant dans les
politiques urbaines que dans les stratégies
nationales, dont l’émanation la plus achevée est
précisément la construction de murs, au-delà de
toute métaphore. Que ces derniers prennent le nom
de « mur », de « barrière de sécurité »,
d’ « écobarrière », ou de « mur d’apartheid », la
déchirure générée, tant physique que sociale, est la
même. Paul Virilio n’avait certainement pas tort
lorsqu’il écrivait que « la politique [n’est] pas sans
rapports avec la poliorcétique, l’art des sièges et des
blocus, la science de l’isolement. [13]» Ses paroles,
écrites dans le contexte de la Guerre Froide, ont une
résonnance particulière aujourd’hui. Cependant, à
Rio comme à Buenos Aires, le siège urbain
fonctionne à l’envers : on ne cherche pas à assaillir
l’ « ennemi » en perçant ses murs, on se contente d’en ériger un pour voiler son existence. De « science de l’isolement », on passe donc à une « science de l’exclusion ».

Les opinions exprimées et les arguments avancés dans cette publication demeurent l’entière responsabilité de
l’auteur-e et ne reflètent pas nécessairement ceux de l’Observatoire des Amériques ou des membres du Centre
d’Études sur l’intégration et la Mondialisation (CEIM).

La Chronique des Amériques</U> N°07. Canada, Novembre 2009.

Notes:

Notas

[1Jean-Luc Nancy, La création du monde ou la mondialisation, Galilée, Paris, 2002, p. 14

[2Dans le cas de Buenos Aires, ces « tours d’ivoire » prennent la forme de barrios cerrados (littéralement « quartiers fermés »), forteresses plus ou moins cossues, de tailles variables, qui prolifèrent en banlieue et qui se trouvent souvent à cheval entre deux bidonvilles.

[3Zygmunt Bauman, La globalización. Consecuencias humanas, Fondo de Cultura Económica, 2008 [1998], p. 65 (traduction de l’auteur)

[4El cuaderno de Saramago (traduction de l’auteur)

[5Latinobarómetro, Rapport annuel 2008 (dernier en date)

[6Cité par le Times, 26 mai 2009 (traduction de l’auteur)

[7Cité par le quotidien La Nación du 10 avril 2009 (traduction de l’auteur)

[8Selon La Nación du 8 avril 2009 (traduction de l’auteur)

[9Terme d’usage pour désigner les bidonvilles en Argentine.

[10Wacquant Loïc, Parias urbains. Ghetto - banlieues - Etat, La
Découverte, Paris, 2006, p. 6

[11Marc Abélès, La politique de la survie, Flammarion, Paris,
2006

[12CEPAL, Panorama social de América Latina 2000-2001,
Santiago de Chile (www.eclac.cl)

[13Paul Virilio, L’insécurité du territoire, Galilée, Paris, 1993
[1976], p. 213

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