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Deux petites îles – l’Islande et Chypre – ont donné une réponse absolument différente de la crise financière qui les a renversées, respectivement, en 2008 et en 2012. Il y a sans doute d’importants facteurs externes qui expliquent ce comportement opposé.
A Chypre, par exemple, nous assistons à une concurrence dure entre l’Union Européenne, d’une part, et la mafia et les grands capitalistes russes, alliés à l’Église orthodoxe chypriote, qui sont des grands investisseurs dans l’île. De plus, Chypre fait face à l’hypothèque sur l’indépendance chypriote mise par l’occupation turque d’un tiers de l’île et la menace turque d’éviter par tous les moyens que la République de Chypre exploite ses réserves de gaz.
Par conséquent, à Chypre n’est pas seulement en jeu, la défense, à tout prix, du capital financier, mais aussi le vieux conflit impérialiste avec la Russie pour la Méditerranée orientale et les terres du Moyen-Orient, tandis que, dans le cas de l’Islande, le reste de pays européens n’étaient pas beaucoup préoccupés qu’une poignée de grands spéculateurs financiers anglais et hollandais perdent beaucoup de plumes (bien sûr, de corbeau) avec la fermeture des banques islandaises.
Mais ce qui m’intéresse plus de souligner est la différence de comportement social entre les islandais et les Chypriotes, puisque les premiers ont ignoré la dette extérieure, se sont refusés à la payer grâce à deux referendums successifs, ont fait tomber le gouvernement des banquiers, ont réformé la Constitution, qui a été nouvellement rédigée grâce à l’intervention populaire qui, en utilisant le réseau électronique, l’a rédigée, a discuté et a affiné directement le nouveau texte, tandis que les deuxièmes, après avoir vérifiés que les grands perdants de la crise ne seraient pas les petits épargnants, mais les spéculateurs et les trafiquants de drogues et d’êtres humains russes, ont accepté un système qui vient de démontrer qu’il peut les dépouiller à tout moment et ont recommencé à mettre leurs cous sous le joug d’un système financier corrompu à peine maquillé.
Pourquoi les uns réagissent et en revanche les autres supportent-ils les humiliations ? Je crois que nous trouvons une grande partie de l’explication dans l’histoire comparative des deux îles, parce que « les morts s’emparent des vivants », ainsi que dans la composition sociale de ses populations respectives.
Les premiers habitants scandinaves de l’Islande prenaient leurs décisions dans une assemblée des clans déjà au IXe siècle et ont créé en 930 le premier gouvernement – du monde – basé sur une assemblée démocratique, appelé Althing.
Leur insurrection contre les rois norvégiens s’est produite quand, quelques siècles après, l’un de ceux-ci a décidé de supprimer cette assemblée. A l’échelle mondiale, l’Islande a aussi été le premier pays à choisir une femme comme présidente de la République et, après la mobilisation contre les banques, à avoir ouvertement une Première ministre homosexuelle dans un pays luthérien. Parmi ses 319 000 habitants (en 2011) la majorité sont des femmes, qui vivent jusqu’à presque 84 ans pour 81ans pour les hommes. Bien que la majorité des habitants habitent dans des villes, l’Islande est un pays de pêcheurs et, en moindre mesure, de petits paysans propriétaires.
Chypre en revanche, tout au long de son histoire trois fois millénaire, a été une colonie des pharaons égyptiens, des assyriens, des Persans, des byzantins, des Génois, des ottomans, des Anglais et elle s’est émancipée (à moitié) de ceux-ci grâce à une insurrection nationaliste armée seulement après la Deuxième Guerre mondiale, qui a été suivie par une invasion turque de l’île qui a colonisé la partie du nord avec des soldats et paysans apportés de l’Anatolie et a divisé l’île en deux.
Dans la République de la Chypre les bases anglaises subsistent et le pays s’habitue à vivre une souveraineté limitée et à dépendre du jeu international des puissances. Ses habitants (1 116 564, en 2011) ont une espérance de vie de 78 ans et vivent, certains, comme paysans sur des terres qui manquent d’eau et, la majorité, du tourisme et des conséquences qui dérivent du caractère de paradis fiscal (dépôts qui dépassent 47 fois le PIB, blanchiment d’argent, trafics illégaux et criminels de et vers la Russie et vers le Moyen-Orient).
Son économie dépend pratiquement du Soleil et des délits du capital financier. Chypre pourrait sortir de cette situation si elle exploitait le gaz qui entoure l’île, mais cela signifierait l’occupation turque et, au moins, une guerre turco-grecque que pour le moment personne ne veut mais dont la menace est toujours présente.
Si l’Islande se caractérise par ses traditions orgueilleuses démocratiques, Chypre subit constamment le souvenir de sa situation à la croisée des chemins des grandes puissances. L’histoire et la géographie n’expliquent pas tout, ni le déterminent, mais elles ont une densité qui ne peut pas être ignorée. Pour les Turcs et pour les byzantins, qui ont été la base de la population chypriote actuelle, mais non pour les luthériens de l’Islande, le cours de l’histoire dépend de la volonté divine, non des décisions politiques des êtres humains.
Quoi qu’il en soit, les banques islandaises ont été nationalisées. Une grande partie de la dette extérieure n’est pas payée, la nouvelle Constitution garantit que la nation est propriétaire des biens communs et établit l’obligation de convoquer des referendums populaires avant d’adopter une décision importante et l’Islande est sortie de la crise et son économie a progressé de 3 % en 2012.
A Chypre en revanche la patate chaude est restée entre les mains des grands capitalistes, surtout des russes (qui perdront près de 3 000 millions d’euros) mais elle roule toujours et elle pourrait recommencer à tomber du côté des épargnants nationaux. Une autre donnée : le président qui en Islande a organisé le premier référendum était un homme de gauche, ex-syndicaliste. Le président qui a négocié la dette chypriote est un grand banquier. Comme on le sait, les loups ne se mangent pas entre eux. Le soi-disant facteur subjectif existe bien donc…
Guillermo Almeyra pour La Jornada de México
La Jornada. Mexique, le 31 mars 2013.
Traduit de l’espagnol pour El Correo par : Estelle et Carlos Debiasi
El Correo. Paris, le 31 mars 2013
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* Guillermo Almeyra Historien, chercheur et journaliste. Docteur en Sciences Politiques (Univ. Paris VIII), professeur-chercheur de l’Université Autonome Métropolitaine, unité Xochimilco, de Mexico, professeur de Politique Contemporaine de la Faculté de Sciences Politiques et Sociales de l’Université Nationale Autonome de México. Domaine de recherche : mouvements sociaux, mondialisation. Journaliste à La Jornada, Mexique. |