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« Bonsoir, mon nom est Miguel Condori, j’habite dans la zone de La Portada, ici à El Alto » pouvait-on entendre sur une radio. « Je veux vous dire que ce qui s’est passé aujourd’hui est terrible... ils nous ont massacrés. Il y a beaucoup de blessés. Ce gringo assassin nous a criblés de balles. » et cette voix de s’étrangler d’une émotion incontrôlable...
Il était plus de minuit ce 12 octobre 2003 et les habitant de El Alto n’arrêtaient pas d’appeler Radio Erbol, une station installée à La Paz mais avec une couverture nationale. L’armée et la police avaient perpétré le premier des deux principaux massacres qui ont mis le feu aux poudres.
Au cours du conflit, des radios comme Erbol, Pachamama - à El Alto - et le réseau Pio XII, à l’intérieur du pays, tout comme d’autres médias alternatifs tels que les agences Bolpress et Econoticias, ont joué un rôle décisif dans la révolte populaire bolivienne en permettant d’informer les gens et l’extérieur sur tout ce qui se passait.
Erbol est « une radio qui a comme postulats la défense de la vie, de la démocratie et l’écoute du citoyen » selon Andres Gomez, responsable de l’information sur cette radio. « Nous étions obligés de faire le travail d’information en continu, ce qui nous a amené à modifier nos horaires d’émission qui, normalement, vont de 5H30 à 12H30. » explique-t-il par rapport aux événements qui, jusqu’à présent, se sont conclus par la chute du président Gonzalo Sanchez de Lozada.
Située au quatrième étage d’un immeuble vétuste, à un pas de la Place Murillo, on accède à Radio Erbol grâce à un ascenseur rouge qui a plus d’un demi-siècle d’existence. « Erbol signifie Education Radiophonique de Bolivie. L’institution existe depuis 36 ans et nous croyons fermement au droit à l’information qui est consacré dans la Constitution ». Radio Erbol est devenue pendant 7 jours la vitrine qui a informé le monde de façon immédiate sur ce qui se passait en Bolivie. Ses émissions ont été téléchargées via satellite sur de nombreux sites internet, ce qui a permis à la radio d’avoir, sans doute, la plus importante audience radiophonique de l’histoire de ce pays.
Selon Andres Gomez, « nous sommes affiliés à l’Association Latino-américaine d’Education radio, qui siège à Quito ; et nous avions plus de 100 stations radios du continent qui étaient suspendues à nos lèvres. C’est ainsi qu’un collègue nous a dit un jour : Nous avons les yeux fixés sur la Bolivie et les oreilles grandes ouvertes sur Erbol ».
Radio Erbol a été accusée de « sédition » par un vieux politicien du parti de Sanchez de Lozada, une déclaration bien vite étouffée par un démenti du porte-parole de l’ex-président. Mais le jeudi 16 octobre, des inconnus ont dynamité l’antenne de la radio catholiquePio XII, à Oruro, qui, comme Radio Erbol, couvrait les événements.
Radio Erbol, de son côté, n’a jamais explicitement demandé la démission du président bolivien, sa grande valeur résidait en ce que, comme le dit Gomez, « nous étions forcé de nous transformer en quelque chose de plus qu’un média de diffusion, nous étions un espace de communication pour les gens ; nous recevions des appels qui reflétaient la peur, la tristesse, la rage... tout cela ».
Deux journaux indépendants
Quelques journaux écrits de La Paz ont également joué un rôle notable dans la lutte. Le mercredi 15 octobre, l’hebdomadaire Pulso avait lancé une édition spéciale de quatre pages titrée : « Au nom de la démocratie, le président doit démissionner ». Ce fut une décision unanime, selon son rédacteur en chef, Gustavo Guzman ; « Il n’y avait pas seulement un accord entre les journalistes et le directeur, mais aussi avec le Conseil éditorial et le Conseil de direction. La proposition de la démission du président était le résultat de notre analyse de la réalité du pays, parce que nous voulions aller au-delà de l’information ».
Cette édition, de 3.000 exemplaires, fut en grande partie saisie par les autorités. Mais certains exemplaires ont pu circuler parmi les gens et ont même été affichés sur certains murs. « Je l’ai vu au coin de l’Avenue Maréchal Santa Cruz et Colomb ; tel fut l’impact de notre travail » se souvient Guzman.
L’un des plus proches collaborateurs de Sanchez de Lozada a appelé Guzman pour lui demander s’ils pensaient que « Carlos Mesa et ses amis allaient résoudre les problèmes du pays », une démarche qui, d’après le journaliste de Pulso reflétait bien la situation dans laquelle se trouvait le pays ». Il écarte l’hypothèse qu’il s’agissait-là d’une menace voilée, mais, par sécurité, la rédaction fut transférée en un autre lieu au cours de cette semaine-là.
L’autre cas est celui de Walter Chavez, directeur de « El Juguete Rabioso » (Le Jouet Enragé), un bimensuel populaire sur les « les livres, les essais et des choses pires encore » qui existe depuis 4 ans. Le lundi 13 octobre, après que furent connus les détails du premier massacre à El Alto, Chavez a sorti une édition spéciale « dédiée à la résistance populaire de El Alto. Nous pensons que ce fut important parce jusqu’alors les médias parlaient d’affrontements et non de massacre, comme nous l’avons fait. ». Cette édition a circulé dans les rues de La Paz, mais surtout dans la zone de la Place San Francisco, où se concentraient les mobilisations populaires. Il fut distribué gratuitement.
Le mercredi 15 octobre, Walter Chavez a été arrêté par des agents du gouvernement, qui sont venus le chercher dans son bureau. « Ce jour-là, entre 16 et 20 heures, le gouvernement en chute libre a tenté de freiner l’activité de nombreux journalistes ».
Aujourd’hui, la crédibilité de la plupart des médias privés boliviens est en miettes, un rejet illustré par les jets de pierres contre les camionnettes et les automobiles des télévisions et des autres médias de la part des habitants de El Alto au cours des événements.
Le jour de la marche des indiens aymaras, Don Amancio Sarzuri affirmait : « Beaucoup mentent, et c’est pour cela que nous ne les voulons pas ici. A quoi bon puisque nous devons manifester pour qu’il nous écoutent ».
Traduction de l’espagnol : Ataulfo Riera, pour RISAL.
La Jornada , 23 novembre 2003