Portada del sitio > Nuestra América > Le populisme: Sa traduction la plus complète
Par Emir Sader
Alai-Amlatina, 14 novembre 2005
Le terme populiste, né pour désigner, pour le compte de quelques courants de la sociologie politique, des gouvernements comme ceux de Getulio [1] et de Perón [2], a été repris, dans le cadre du discours néolibéral, pour désigner les politiques considérées comme "irresponsables", "aventureuses", "inflationniste", qui promeuvent des concessions sociales incompatibles avec les lois de fer de l’ajustement fiscal.
Il s’agirait de concessions fictives, qui finiraient par produire l’effet contraire : l’inflation entamerait le pouvoir d’achat des salaires rajustés, le déséquilibre fiscal amènerait des crises financières qui freineraient la croissance économique, la hausse d’impôts et l’augmentation des dépenses de l’Etat inhiberait la capacité d’investissement, etc. etc. Je ne m’étale pas plus, parce que ceux qui ont encore la patience de lire les colonnes économiques et d’écouter les personnes interviewées dans les programmes économiques des médias, connaissent cela par cœur.
Un des auteurs néolibéraux de l’Amérique latine les plus connus, le mexicain Enrique Krauze - protagoniste récemment d’un entretien reproduit par toute la presse occidentale, avec Vargas Llosa, dans lequel , est dénoncée la politique externe du nouveau premier ministre espagnol José Luiz Zapatero, nostalgiques de José Maria Aznar -, a écrit un article pour le journal espagnol El País, appelé "Decálogo del populismo iberoamericano", ("Décalogue du populisme iberoamericain"), dans lequel il résume les points de vue de ce courant.
Conscient que le problème original du populisme est sa racine, provenant du si détesté et disqualifié mot peuple, qu’il appelle, de manière ironique, "mot magique". Mais la préoccupation n’est plus maintenant avec Perón, ni avec le péronisme ou avec Getulio, mais avec le "populiste postmoderne" de Hugo Chavez et son "Socialisme du XXIè Siècle ".
Krauze résume en dix points, ce que seraient les caractéristiques spécifiques du "populisme". D’abord, il exalterait le "chef charismatique", un chef providentiel qui se propose de résoudre d’une fois pour toutes les problèmes du peuple. Ce chef utiliserait et abuserait de ce mot, en se l’appropriant, "comme interprète suprême de la vérité générale et aussi de l’agence de presse du peuple", "en illuminant son chemin". Je ne réponds pas à cela, "le populisme fabrique la vérité", en rendant abominable la "liberté d’expression".
Les fonds publics seraient utilisés "à volonté" par les populistes, sans "patience avec les subtilités de l’économie et des finances". Pour lui, toute dépense serait investissement. Pas satisfait pas avec cela, le populiste commettrait le plus grand des péchés : "il distribue directement la richesse". Parallèlement, "il stimule la haine des classes", "en harcelant les riches", en mobilisant de façon permanente les groupes sociaux, en convoquant et en organisant les masses, en utilisant la place publique comme scène privilégiée. Outre cela, le populisme fustige "l’ennemi externe", comme tête de turc, dédaigne l’ordre légal et, comme si cela ne suffisait pas, "mine, domine et, en dernier ressort, domestique ou efface les institutions de la démocratie libérale".
Comme tout texte libéral, il est ambigu, contradictoire, il dit ce qui n’est pas, en dissimulant ce que cela signifie réellement. Dans le cas du populisme, cherchons la traduction de ce que Krauze affirme. D’abord, diaboliser un concept qui a son origine dans le mot "peuple", est déjà suffisamment significatif de la haine du peuple consacrée par le libéralisme. Dans notre continent (Amérique), en particulier, le libéralisme à plusieurs reprises a été exploité par la pensée conservatrice. Finalement les idées "libérales" furent celles qui ont servi à préparer le climat du coup militaire de 1964 : le plus grand attentat à la démocratie, à la liberté et aux droits, collectifs et individuels, que le Brésil ait connu. C’est-à-dire, le plus grand attentat contre les intérêts du peuple.
Ce décalogue est une radiographie du corps entier du cynisme libéral. À quoi se réfèrent-ils, quand ils parlent "de l’exaltation du chef charismatique" ? À la panique qu’ils ont pour le l’émergence de chefs populaires, de dirigeants qui unifient le peuple, qui traduisent en projet politique les nécessités populaires. Ils veulent maintenir le peuple fragmenté, soumis, de manière inerte, à l’influence de leur machine médiatique infernale, dans des conditions abrutissantes d’exploitation. Ils ont besoin que le peuple reste éloigné de la politique, qu’il délègue celle-ci aux "politiciens" professionnels, qui régissent la société au nom des intérêts dominants.
Cela gêne que les chefs "populistes" s’approprient des mots. L’ordre capitaliste requiert le silence des discours alternatifs, requiert que tous ceux qui se montrent, le fassent dans l’univers de leur discours, dans leurs termes et leurs alternatives, c’est-à-dire, dans le système de pouvoir qu’ils dirigent. Cela gêne que ces chefs expriment les mots, les intérêts et les sentiments dont ceux qui ont été condamnés au silence par ces systèmes de monopole de la parole.
Ces mots produisent une vérité, qu’on accuse "d’être fabriquée". Et les vérités du système de pouvoir actuel, ne sont-elles pas fabriquées de façon gigantesque, au point que Noam Chomsky a gravé dans le marbre le terme "consensus fabriqué", pour les exprimer ? Leurs vérités - celles du "marché" - sont "naturelles", celles qui sont opposées, sont fabriquées. Toute vérité est construite: la différence se trouve entre celles qui le sont démocratiquement, en représentant ceux d’en bas, et celles qui sont fabriquées depuis les sommets du pouvoir.
L’utilisation à volonté des fonds publics? La distribution de la richesse? cela signifie: redistribution de revenu, priorité au secteur social, s’opposant à la priorité de l’ajustement fiscal et aux intérêts du grand capital. Mobilise-t-on de façon permanente les groupes sociaux? Encourage-t-on la haine de classes? Diagnostique-t-on les causes de la misère et propose-t-on des actions de combat à celles de ses plus grandes victimes? Fustige-t-on l’ennemi extérieur? Cela vise l’exploitation par les capitaux internationaux et les gouvernements qui les défendent -les globalisateurs- des pays du sud du monde : ceux globalisés. Il dédaigne l’ordre légal, il affaiblit la démocratie libérale. Traduction: il place la justice au-dessus des expressions légales d’un ordre social injuste, il identifie la démocratie avec le gouvernement du peuple et non comme son expression limitée dans le libéralisme.
Dans l’ère néolibérale, le mot populisme sert à essayer d’éliminer la priorité au secteur social: axe de l’alternative post néolibérale.
Traduction du portugais: ALAI
Traduction de l’espagnol pour El Correo : Estelle et Carlos Debiasi
[1] Getulio Vargas, a gouverné le Brésil de 1930 à 1945 et de 1951 à 1954, année où il s’est suicidé.(NDLR)
[2] Juan Domingo Perón, général et politicien argentin, fut élu président de la République Argentine en 1946 et démis par un coup d’Etat militaire en 1955. Après 18 ans d’exil, il revient en Argentine et fut élu à nouveau président en 1973. Il décède en 1974, et sa troisième épouse assume le pouvoir, María Estela Martínez.