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10 décembre 2003

L’ange exterminateur de Chile

 

Par Eric Fottorino
Le Monde, 28 novembre 2003

L’ange exterminateur

Sans doute le Ciel, pour ceux qui font vœu d’y croire, compte-t-il toutes sortes d’anges. Des messagers et des guérisseurs, des anges Gabriel et des anges gardiens. Des anges au sexe incertain. Des chérubins et des séraphins, des préposés au bien et des créatures de l’Apocalypse. Des anges déchus, aussi, que leur orgueil a perdus.

L’ancien dictateur Auguste Pinochet, qui vient d’avouer se sentir « comme un ange », ne se range pas, à l’évidence, parmi ces parias du Ciel. Tout au plus peut-on estimer que la Cour suprême du Chili, en le libérant sans vergogne et sans verdict à l’été 2002, a minimisé le diagnostic. Elle le disait atteint d’une « démence modérée ».

Modéré est un mot bien faible pour celui qui refuse encore de répondre des 3 000 morts et disparus laissés par son régime. Pour ses 88 ans, le vieux général s’est offert un baroud d’horreur sur une chaîne de télévision américaine en langue espagnole.

« Je ne compte pas demander pardon à qui que ce soit. Au contraire, c’est aux autres de me demander pardon, les marxistes, les communistes. » Et l’ange exterminateur du Chili a lancé ce cri : « ]e n’aimerais pas que les générations futures pensent du mal de moi. »
Etre cruel n’empêche pas de vouloir être aimé. Qui a dit que les bourreaux n’avaient pas de cœur ? Ils en ont un, bien accroché. Surtout s’il s’agit de s’apitoyer sur leur sort.

Ceux qui ont réalisé l’entretien ont trouvé Pinochet lucide, seulement diminué par quelques difficultés de diction. Ce qu’Il a dit, il l’a bien pensé. Sa démence immodérée n’est donc que l’expression fidèle de son credo. Même ses propres enfants se sont sentis bien remués.

« Je ne trouve pas sensé de donner une interview et de réveiller des haines qui s’étaient un tout petit peu calmées », a regretté sa fille Lucia. Mais trop tard. Il est des anges qui n’en font qu’à leur tête. Même usé, même débarrassé de son uniforme et de ses lunettes fumées, Pinochet reste Pinochet.

Les révélations récentes du quotidien La Nacion viennent, s’il en était besoin, attiser la haine qui va avec les mauvais souvenirs. Au Chili, la mémoire persiste et saigne. Cette fois, ce sont les témoignages recoupés de douze mécaniciens d’hélicoptères qui racontent des drames engloutis.

Le premier élément de preuve était parvenu en 1976, avec ce corps échoué sur une plage du Pacifique, celui de Marta Ugarde, une militante communiste qui avait disparu sous la dictature.

En 2001, un rapport officiel de l’armée indiquait dans une étrange formulation que des « éléments de gauche » avaient été emmenés dans des camps de torture secrets par les forces de sécurité, avant d’être « cachés » dans l’océan.

Que cachait ce terme de « caché » ? Une vérité terrible exhumée par La Nacion : entre les dernières semaines de 1973 et 1978, entre 400 et 500 corps de prisonniers politiques exécutés ont été jetés à la mer depuis des hélicoptères militaires.

Il y eut ainsi une quarantaine de voyage à bord des Pumas de l’armée chilienne aux ordres de Pinochet. Des ballots de huit à quinze victimes étaient emportés vers le ciel, pour mieux disparaître ensuite vers les abîmes, vers les abysses. Pas un ange ne fit le voyage avec eux.

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