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26 juin 2004

L’Operation PBSucces : les Etats Unis assassinent l’espoir au Guatemala le 27 juin 1954

 

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Le 27 juin 1954, des forces venant du Honduras, où elles ont été armées et entraînées par la CIA, renversent le gouvernement légitime de Jacobo Arbenz, coupable d’avoir lancé une réforme agraire et exproprié des terres de l’United Fruit Company.

« L’avenir du Guatemala est entre les mains du peuple, entre les mains des dirigeants loyaux qui n’ont pas trahi et ne sont pas les agents d’un despotisme étranger qui abusait du Guatemala à ses propres fins diaboliques. Les événements de ces derniers jours sont un nouveau chapitre glorieux de la grande tradition des Etats d’Amérique. » C’est en ces termes que John Foster Dulles, secrétaire d’Etat du président Eisenhower, commente le coup d’Etat militaire qui a contraint à la démission le président Jacobo Arbenz Guzman, entré en fonction trois ans plus tôt. Accusé d’avoir voulu faire le lit du communisme, le colonel Arbenz est en fait, pour la majorité des historiens, « un officier nationaliste et progressiste, pénétré des principes démocratiques » [1]. Jacobo Arbenz, né à Quezaltenango en 1913, fils d’un immigré suisse sans fortune, étudie grâce à une bourse à l’Académie militaire où il devient ensuite enseignant.

En 1944, il fait partie du groupe d’officiers qui renverse le dictateur Jorge Ubico, au pouvoir depuis 1931, et organise des élections. Un professeur de philosophie exilé, Juan José Arévalo, est élu président avec 85% des suffrages exprimés. Teinté de socialisme, il promulgue un code du travail autorisant notamment les syndicats et le droit de grève, mais n’ose s’attaquer à l’injustice fondamentale, racine de l’archaïsme du pays : la répartition des terres. On estime qu’à l’époque 2% des propriétaires contrôlent 70% des terres cultivables, dont la plus grande partie reste en friche.

Une réforme modérée

Jacobo Arbenz

En novembre 1950, Jacobo Arbenz est élu à la présidence avec le soutien des syndicats, des étudiants et des paysans. Dans son discours d’investiture, en mars 1951, il promet de « transformer le Guatemala, d’un pays attardé avec une économie essentiellement féodale, en un pays moderne et capitaliste ». L’axe essentiel de cette modernisation doit être la réforme agraire, que le parlement vote en juin 1952 (décret 900).

Une réforme modérée (elle ne vise que les terres non cultivées des domaines dépassant 90 hectares, contre des indemnités basées sur la valeur fiscale), mais efficace, puisqu’en deux ans 600 000 hectares seront distribués à environ 100 000 familles. On comprend que les dictatures des pays voisins craignent l’effet de contagion de ces mesures, d’autant plus que certaines propriétés guatémaltèques sont occupées par des paysans impatients devant la lenteur des changements. Telle la propriété d’un membre de la colonie helvétique, un certain Wilhelm Kopp, dont le cas occasionne une abondante correspondance entre le consul suisse et le Département politique à Berne [2].

Mais c’est surtout l’United Fruit Company qui voit le danger. La Frutera, comme on l’appelle dans le pays, est un véritable Etat dans l’Etat. Elle possède les terres les plus fertiles, emploie plus de dix mille paysans dans ses plantations de bananes, mais en outre, grâce à des arrangements passés avec Ubico, toutes les infrastructures - ports, voies ferrées, électricité - lui appartiennent.

Comme elle n’exploite que 15% de ses terres, elle sera la principale visée par la réforme agraire : 150 000 hectares non cultivés font l’objet de mesures d’expropriation, contre un dédommagement prévu de 1,1 million de dollars, correspondant à la valeur déclarée au fisc. La compagnie en réclame 19,3 millions. Archétype de la multinationale américaine, présente au Mexique comme en Equateur, en Amérique centrale et dans les Caraïbes, l’United Fruit a ses entrées à la Maison Blanche comme à la CIA, dont le directeur, Allan Dulles, est le frère du secrétaire d’Etat. Très vite, le conflit va donc opposer Arbenz à l’administration américaine.

La peur du communisme

En 1953, dans un climat de guerre froide exacerbée, sur fond de guerre de Corée et de maccarthysme, une campagne de propagande et de désinformation se déchaîne sur les ondes et dans la presse de (presque) toutes les Amériques : « Le rideau de fer est en train de descendre sur le Guatemala ! » Même la presse suisse s’y met : en mars, la NZZ se demande si le pays devient « une tête de pont du communisme international » et parle de la « coloration crypto-communiste » du régime.
Pourtant le journaliste reconnaît que l’atmosphère de la capitale n’est « en aucune façon totalitaire » et que la presse ne se prive pas de critiquer le gouvernement. Ernesto Guevara, qui est encore un « vagabond impénitent », fait la même constatation : « Il y a certains journaux, soutenus par l’United Fruit, que je fermerais dans les cinq minutes, si j’étais Arbenz : ils disent ce que bon leur semble et contribuent à créer le climat souhaité par les Etats-Unis » [3].

Car ceux-ci entendent bien préserver leur « arrière-cour » de toute influence communiste. En avril 1948 déjà, à Bogota, lors de la création de l’Organisation des Etats américains (OEA), ils ont fait adopter une résolution intitulée « Préservation et défense de la démocratie en Amérique », dans laquelle il était indiqué clairement que le communisme était « incompatible avec le concept de liberté ». En mars 1954, à la conférence de Caracas, JF Dulles fait voter par l’OEA une « Déclaration de solidarité contre l’intervention du communisme international », qui sonne comme un coup de clairon contre le régime Arbenz.

Sa chute est déjà décidée à Washington. Reste à trouver la manière. ( Voir : Operation PBSuccess ) L’ambassadeur de choc John Peurifoy, qui arrive sur place en octobre 1953, établit les contacts nécessaires dans l’opposition et envoie des rapports de plus en plus alarmistes. L’arrivée dans le port de Puerto Barrios d’un bateau suédois chargé d’armes achetées en Tchécoslovaquie déclenche le compte à rebours et fournit aux USA un merveilleux argument de propagande : le Guatemala est un bastion du communisme soviétique sur le continent américain. De fait, Arbenz cherchait simplement à contourner l’embargo sur les armes imposé par les Etats-Unis, qui interdisent même la vente de revolvers pour la police guatémaltèque.

L’Onu, instruments des USA

Pendant ces mois décisifs, la CIA transporte des armes au Honduras, pour la petite armée de mercenaires - guatémaltèques, mais venant aussi d’autres pays - dirigée par le colonel Castillo Armas, un officier qui avait fui le pays après avoir tenté sans succès de renverser le gouvernement Arbenz. Elle envoie au Guatemala son agent Howard Hunt, chargé de diriger les opérations et la propagande. Il saura convaincre les officiers supérieurs, le moment venu, de cesser toute résistance aux « rebelles » qui viennent « libérer » le pays (lire ci-dessous).

Quand les troupes de Castillo Armas pénètrent au Guatemala, le 17 juin, elle se heurtent à une résistance sérieuse de l’armée régulière et progressent à peine de 30 kilomètres en une semaine. Une dizaine de petits avions américains jettent des bombes et des tracts sur diverses localités, tandis qu’une « radio-libération », installée au Honduras, appelle le peuple à se soulever contre le régime. Cette guerre psychologique n’a aucun succès. Pendant ce temps, les deux appels du gouvernement guatémaltèque à l’ONU sont écartés facilement par le délégué américain Henry Cabot Lodge, qui préside le Conseil de sécurité. Ce qui « mine l’autorité morale des Nations Unies », estime René Baume dans La Suisse, et fait apparaître l’ONU comme « un instrument de la politique des Etats-Unis ».

Quant au diplomate August Lindt, observateur de la Suisse aux Nations Unies, il écrit au Département politique fédéral : « Il semblait jusqu’ici que l’Occident, dans son combat contre l’Est, disposait d’une indiscutable supériorité morale, et qu’il se battait pour les fondements du droit et pour les droits des petits Etats. Aujourd’hui, les Etats-Unis ont donné l’impression qu’ils étaient prêts à sacrifier tous ces principes au combat sans ménagement contre le communisme » [4].

Dès lors, l’affaire est réglée. Convaincus par les arguments de John Peurifoy et Howard Hunt, les chefs de l’armée adressent un ultimatum au président Arbenz, le forçant à se démettre le 27 juin. Ce qu’il fait « avec une douloureuse amertume, mais avec la ferme conviction d’agir au mieux des intérêts de son pays ». Pour lui, c’est le début d’une longue errance avec sa famille : Mexique, France, Suisse, Tchécoslovaquie, Uruguay, Cuba... Pour trouver finalement asile à Mexico, où il mourra en 1971. Partout, les gouvernements lui interdisent la moindre déclaration, la moindre interview. Au Guatémala, son nom est rayé de l’histoire, des écoles, de la place publique : longtemps il était dangereux de prononcer son nom.

200 000 victimes

Pour son peuple, c’est la fin d’une expérience démocratique de dix ans, la fin de toute espérance. La réforme agraire est abrogée, l’United Fruit récupère toutes les terres expropriées qu’elle laissait en friche, les syndicats sont dissous, les partisans de l’ancien régime tués ou jetés en prison par milliers. Ce climat de répression ouvrira le chemin à la formation de groupes de guérilla dans les années 60, et à une succession de dictateurs militaires. Depuis 40 ans, la guerre civile, la répression massive et les groupes paramilitaires, assurés d’une totale impunité, ont fait plus de 200.000 victimes.

Par Charles Philipona
Le Courrier. Suisse, le 26 Juin 2004

Notes :

Notes

[1J. Lambert et A. Gandolfi, Le système politique de l’Amérique latine, PUF, 1987.

[2Mauro Cerutti, « La Suisse et les Etats-Unis à l’époque de la guerre froide : la crise du Guatemala de 1954 », Relations Internationales, no 113, 2003.

[3Pierre Kalfon, Che, Seuil, 1997, p.113.

[4Mauro Cerutti, article cité, p.109.

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