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12 décembre 2012

« L’Europe inutile »
Etre conscient de ce que signifie dire non à une oligarchie

par Rafael Poch de Feliu*

 

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Sa nécessaire refondation ne viendra pas du « plus d’Europe » qui est annoncé depuis Bruxelles et Berlin, mais d’une rébellion populaire dont le cadre peut être seulement national

Nous allons parler du projet européen, de pourquoi cette Union Européenne, telle que dessinée, n’est pas viable et est inutile pour affronter les défis du siècle. Par « défis du siècle » j’entends le réchauffement climatique, l’apogée démographique, le « pic » pétrolier et les problèmes mondiaux de domination de quelques pays sur d’autres, de pauvreté et d’inégalité, combinés avec une mentalité caduque qui tend à continuer vouloir « résoudre » toutes ces questions avec des méthodes militaires dans un monde bourré d’armes de destruction massive capables faire disparaitre toute vie sur la planète. Ces défis réclament une « nouvelle civilisation », et une Europe comme celle que nous avons, empêche clairement cela.

Ainsi nous allons parler d’abord des raisons qui rendent l’actuelle Union Européenne non-viable de ce point de vue, ensuite, de la réponse citoyenne qu’il faudrait donner à cette réalité et nous finirons par une réflexion sur la violence et les risques qu’une telle réponse comporte pour ceux qui l’assument. Mais avant d’entrer dans cette critique, il faudrait souligner l’importance qu’a en Europe tout pacte et lien étroit international.

Le motif est que, du point de vue de l’histoire universelle de la guerre et de la paix, l’Europe est la partie la plus guerrière et violente du monde. Au cours des cinq cents dernières années, l’histoire européenne passe d’une guerre l’autre, particulièrement durant les deux siècles qui vont de 1615 à la fin des guerres napoléoniennes en 1815. Durant cette période les nations européennes furent en guerre en moyenne soixante ou soixante-dix ans par siècle. Ensuite, il y a eu un peu plus de paix jusqu’à 1914, si nous oublions la guerre de Crimée ou la guerre franco-prussienne, mais au cours de cette période l’Europe a continué dominant l’exportation de guerres et de génocides en dehors de ses frontières avec l’holocauste colonial-impérial que fut la conquête du monde non européen. De plus, dans cette période de relative paix interne, l’Europe a inventé l’industrialisation et avec elle, a industrialisé la guerre ce qui l’a transformée en quelque chose de beaucoup plus destructif. Deux guerres mondiales à la mortalité inhabituelle et couvées dans et par l’Europe, en furent le résultat.

L’Union Européenne fut créée, précisément, pour remédier à cette bagarre continentale chronique, et après la Deuxième Guerre mondiale a donné lieu à 67 ans de paix, d’une paix, cependant, sous tutelle de deux superpuissances en tension nucléaire, c’est-à-dire une paix sous surveillance et dominée par un facteur, celui de la destruction massive, qui représente la dernière marche de la stupidité humaine.

Ainsi souvenons-nous bien de cette donnée sur l’Europe guerrière violente et dominante à l’heure de critiquer l’actuel projet européen.

I) Même en 2003 Jürgen Habermas, principal philosophe allemand vivant, a pu écrire un livre intitulé « L’occident divisé » et être pris au sérieux. Son contexte était le désaccord entre une partie de l’Union Européenne, sa matrice franco-allemande, et l’administration Bush pendant la deuxième guerre de l’Irak. Et son fondement était l’exaltation de « valeurs différentes » – et bien sûr meilleures - que l’Europe disait représenter comparée aux États-Unis.

Dans cette comparaison, l’Europe était un continent de paix et de culture, avec un attachement au nivellement social et à l’état d’assistance, régi par le droit international et non par loi du plus fort, c’est-à-dire axé sur la diplomatie et non sur la guerre, et tolérant et pas fondamentaliste en matière religieuse.

Dans des pays comme la Chine, ce désaccord de 2003 fut au centre de la discussion internationale des dirigeants de Zhongnanhai, le Kremlin de Pékin. La possibilité que l’Occident, ce bloc qui a crucifié la Chine au XIXeme siècle , pût se casser dans deux et se transformer en deux pôles aux intérêts globaux et aux recettes différentes ; c’est-à-dire en quelque chose de plus faible que le bloc précédent, était extrêmement intéressant compte tenu des plus grandes possibilités et des marges de manœuvres que pouvait apporter la multipolarité aux pays émergents.

Maintenant nous savons que ce désaccord, avec son discours narcissique et enjoliveur de l’Union Européenne sur elle-même, est une tromperie et que l’espoir d’une divergence transatlantique qui a tant intéressé la Chine fut un mirage. La crise actuelle nous offre une perspective beaucoup plus réelle et un miroir beaucoup plus fidèle de la réalité européenne.

Nous constatons que cette Europe « autonome et meilleure » et préconisant « d’autres valeurs », a appuyé, collaboré et participé à presque tout ce qu’elle reprochait à son parent historique d’outre-Atlantique. C’est-à-dire l’Europe continue d’être impérialiste et ses nations affaiblies s’unissent, précisément pour pouvoir continuer de l’être. Voyons la liste

  • Pendant vingt ans on a exclu la Russie de tout schéma de sécurité continentale. C’est-à-dire, on a empêché de clore la relation de guerre froide avec l’extrême orient de l’Europe, comme le voulait le projet malheureux de Gorbatchev. L’élargissement à l’est de l’UE a été fait sur un scénario supervisé à Washington, selon lequel l’admission dans l’OTAN était l’antichambre de l’Union Européenne.
  • Aussitôt que l’URSS a cessé d’être perçue comme une menace, l’Europe s’est jetée dans la guerre. Douze jours après l’admission de la Pologne, de la Hongrie et de la Tchéquie dans l’OTAN, la campagne du Kosovo a commencé pour en finir avec la Serbie comme état régional anomal pour la nouvelle discipline continentale. Le bellicisme et la manipulation médiatique ont atteint en Europe des niveaux qu’on croyait être l’apanage des États-Unis. Pour la première fois depuis Hitler, des troupes allemandes ont participé, dans les Balkans, à un conflit, et pas moins qu’au nom de la prévention de nouveaux Auschwitz et « génocides ».
  • En Irak la divergence franco-allemande avec Bush n’a pas empêché une vraie collaboration au niveau logistique, services secrets, tortures et centres de détention secrets « de la guerre contre la terreur » , ce qui empêche de considérer comme exclusivement usaméricains des sujets comme celui de Guantanamo : les vols de la CIA ont traversé l’Europe depuis la Pologne jusqu’à Rota, les prisons secrètes, les tortures et les séquestrations ont impliqué des complicités de tout le monde. La France a cédé son espace aérien pour la campagne irakienne, les services secrets allemands ont identifié sur le terrain à Bagdad les objectifs des missiles du Pentagone et les bases allemandes ont été le principal nœud logistique de la guerre.
  • En Palestine, l’UE a été incapable de travailler à la création de l’État Palestinien, sans doute la mesure la plus efficace contre le radicalisme islamique dans le monde entier et un impératif moral incontestable. Au contraire, elle a accru quelques relations privilégiées avec Israël et a augmenté sa complicité avec cette comédie qu’ils nomment « processus de paix » au Moyen-Orient, basée sur l’appui au pays occupant et agresseur.
  • En Afghanistan, la même Europe qui pendant la guerre froide a manifesté et s’est refusée à participer au Viêt-Nam, s’est retournée avec dizaines de milliers de soldats européens envoyés là-bas onze ans dans cette guerre infâme de trente qui ne suscite pas de manifestations. Plus encore : les déploiements dans la corne de l’Afrique, l’intervention militaire en Libye et maintenant au Mali, démontrent que l’interventionnisme militaire européen n’est pas une exception ponctuelle mais une tendance affirmée.
  • Au Moyen-Orient nous vivons maintenant des sanctions et des menaces contre l’Iran. Un interventionnisme croissant dans la guerre civile de la Syrie qui contribue à la rendre clairement plus sanglante, qui utilise à fond l’habituelle manipulation médiatique et qui tourne complètement le dos à toute action diplomatique. L’horizon stratégique de cet interventionnisme va au-delà de la Syrie : compliquer la vie de son allié, l’Iran –objet de sanctions pour soupçon d’une ambition nucléaire qui, devenue un fait connu dans le cas israélien est tolérée sans problèmes - et du coup compliquer l’approvisionnement énergétique de la Chine.
  • Et tout cela est parfaitement intériorisé dans le discours européen de la politique extérieure et de la sécurité. En Allemagne imposer l’ « accès » (Zugriff) aux ressources énergétiques globales est ce qui donne du sens aux missions internationales du Bundeswehr, affirme le discours officiel. Aujourd’hui il n’y a pas d’expert et d’analyste dans n’importe quel « centre d’études stratégiques » de l’establishment, de Bruxelles, de Berlin ou de Londres, qui ne mentionne le sujet comme quelque chose d’usuel étant donné bien entendu que le militarisme est la réponse aux défis du siècle. Ils le nomment « nouveaux défis » et la doctrine de l’OTAN veut les contrecarrer avec des actions militaires « préventives » y « proactives « c’est-à-dire des agressions, dans le monde entier.

C’est-à-dire, pour conclure cette liste : dans sa relation avec les USA, l’Union Européenne occupe dans le monde le rôle qu’un Premier ministre australien a défini pour son pays en Asie : celui de « l’assistant du Sheriff ».

En étant impérialiste et en pratiquant une vassalité manifeste envers les États-Unis, l’Europe actuelle ne peut pas être un pôle de pouvoir indépendant et autonome dans le monde multipolaire et encore moins un pôle bienveillant pour d’autres raisons.

En premier lieu, comme l’a souligné Samir Amin, parce que l’Europe ne peut pas être des États-Unis d’Europe. D’un côté, elle manque des ressources naturelles comparables avec celles de grands pays comme les États-Unis ou la Russie. De l’autre, à cause de son manque manifeste d’unité interne, parce qu’en Europe existent des tensions et des conflits d’intérêts centre-périphérie propres au développement inégal. L’Europe contient les zones et les pays qui sont Nord - Allemagne et compagnie - les autres qui sont Sud - l’Espagne, l’Italie, le Portugal - et d’autres qui sont une cour arrière et une troisième catégorie : l’Europe orientale et balkanique avec y compris la Grèce. [1]

En deuxième lieu, l’Europe ne peut même pas être une fédération unitaire parce qu’il n’existe pas de « peuple européen ». L’identité européenne n’existe pas et on ne l’espère pas. En faisant un grand effort, les Espagnols, les italiens, les grecs et les français, peuvent atteindre une certaine affinité identitaire en référence aux aspects de leur tradition commune (ibérique, catholique, l’hérédité latine - romane, ou au méditerranéenne). À partir de là, et comme les chinois disent, « avec la perspective de plusieurs générations », peut-être pourraient-ils s’embarquer sur quelque chose ensemble jusqu’au point de gommer leurs différences. C’est une question d’imagination. Mais imaginer la même chose avec les finlandais, les allemands, les hongrois ou les britanniques c’est-à-dire en mettant ensemble méditerranéens, vikings et huns, c’est dépasser les limites de l’imagination la plus audacieuse.

Et en troisième lieu, l’Union Européenne ne peut pas fonctionner comme un projet valable au motif que nous tous percevons : parce que sa bureaucratie a eu l’audace de prétendre qu’un billet de banque, assisté par un système sanguino-circulatoire composé par des intérêts patronaux multinationaux en général dominés par des pays du Nord européen, pût être le cœur de cette identité née de l’imagination.

Le résultat de cette audace fut une espèce de monstre du Professeur Frankestein qui a précipité la perte importante de souveraineté que toute Europe ressent aujourd’hui. Si la démocratie dans les nations européennes, au sens authentique de « pouvoir du peuple », était déjà une caricature - dans certains pays plus que dans d’autres – maintenant, il ressort que nos parlements imparfaits n’ont même pas de souveraineté pour décider des budgets, ou que les sacro-saintes constitutions doivent se réformer en vingt-quatre heures par des décisions qui arrivent pré-cuisinées depuis Bruxelles ou Berlin et sont décidées par des institutions, comme le BCE ou la Commission qui elles, ne sont même pas élues.

Presque toutes les propositions qui n’émanent pas de la bureaucratie de Bruxelles pour donner un aspect humain à ce monstre sont allemandes : la chancelière Merkel depuis l’Allemagne institutionnelle et d’autres avec des prétentions « démocratisantes » et même rebelles proposent la même chose : plus d’Europe, plus d’intégration européenne pour surpasser ces défauts. « Avoirplus » et les autres veulent une Europe fédérale qui résout internationalement cette dévaluation de souveraineté et de démocratie. Ils veulent convoquer une « Assemblée constituante européenne » de huns, de vikings et de méditerranéens. Le député vert Daniel Cohn-Bendit propose, lui, une Europe totalement intégrée composée par des états nationaux réduits à l’insignifiance. C’est la manière unique, dit-il, de faire face au rythme mondial avec les puissances émergentes. Dans le cas contraire, il remarque, « l’influence de notre civilisation de deux millénaires court le risque de se volatiliser ». Le ministre des Affaires étrangères, Joshka Fischer, propose de donner des pleins pouvoirs dictatoriaux à l’Union Européenne … Les seuls qui insistent sur « plus l’Europe » comme formule pour sortir du trou sont les Allemands. Il faut rappeler qu’historiquement le discours européen de l’Allemagne a été toujours compris comme celui d’une Europe germanique avec les Allemands dans le rôle dominant de « Herrenvolk ». Une chimère aujourd’hui manifestement impossible.

Aussi toutes ces raisons (impérialisme, manque d’autonomie et de ressources, inégalité interne, absence d’un peuple européen et d’une identité commune, et être un androïde patronal), cette Europe est, en même temps, impossible et inutile pour les défis du siècle.

Une fois constaté cela, et en rappelant à quel point est important et nécessaire un projet européen commun (empêcher la bagarre séculière de ses membres), il n’y a de remède de que poser la question que faire.

II) Ce dont il s’agit, c’est de réaliser une refondation citoyenne du projet européen.

Vis à vis de l’extérieur, cette refondation doit empêcher la bagarre européenne. Le projet européen ne doit pas avoir plus d’ambition mondiale qu’une négation : celle de ne pas participer à l’empire. Si le projet européen doit être impérialiste, nous ne le voulons pas.

En interne le cadre de cette refondation ne doit pas être « plus d’’Europe », mais plus une souveraineté populaire - nationale.

Il faut bien faire comprendre que la refondation citoyenne n’est pas l’unique scénario de la crise actuelle. Ce dont on parle ici, c’est ce « qu’il faudrait… », non de quelque chose qui va arriver inexorablement. Nous pressentons qu’en Europe couve une révolte sociale beaucoup plus importante que ce que nous avons vu jusqu’à présent, mais nous nous trouvons sur une ligne de division et nous avons des éléments qui pèsent autant dans la balance du positif et émancipatoire que du négatif et régressif.

D’un côté, nous avons la progression, dans toute Europe, du chauvinisme, de la xénophobie et du mépris au faible et de l’émigrant, la ridiculisation de la solidarité et la soif de justice (résumé dans ce misérable concept « néocons » qui est l’angélisme). Une perspective de l’Europe brune de 1930, pourrions-nous dire.

De l’autre côté, nous avons le progrès de la protestation sociale et solidaire : Quarante syndicats dans 23 pays ont participé le 14 novembre à une « Journée d’action et de solidarité » sans précédent en Europe. Face à l’ampleur et à la virulence de l’importante involution socio-laborieuse dont souffre le continent cela fut peu et inégal, très peu. Mais ce n’est déjà pas l’Europe de 1930, mais une perspective de 1848.

Le « printemps des peuples » de 1848 a bouleversé l’ordre de la restauration absolutiste du Congrès de Vienne. Un ordre absolutiste en faillite est celui où une petite caste qui accapare le pouvoir, la richesse et les privilèges, adopte des décisions qui sont vues comme injustes et erronées par la majorité. Il ne s’agit pas du fameux 1 % contre 99 %, mais de quelque chose de très polarisé comme suggère la concentration croissante inégale de la richesse en Europe. Voilà ce que nous avons maintenant.

Que veut dire une refondation citoyenne ? Cela veut dire une reconquête de la sphère économique et financière que la politique a cédée au capital au cours des dernières décennies. L’UE a été dessinée comme une autoroute de la mondialisation néolibérale. Eh bien, maintenant il s’agit de la combattre par une dé-mondialisation citoyenne qui rend tout ce qui a été arraché à la politique dans les trente dernières années, comme le dit Bernard Cassen.

Tout cela pose évidemment la question de comment.

Pour cela il est nécessaire de créer un Front populaire. Une grande union, une grande alliance et une grande rencontre entre le monde syndical, les sous-prolétaires émigrants et chômeurs, la génération sans avenir et condamnée, les retraités escroqués après une vie de travail, les secteurs religieux et intellectuels pour lesquels l’involution actuelle est intolérable du point de vue des principes éthiques et moraux.

La création de nouvelles forces politiques et de programmes est fondamentale. Des leaders sont nécessaires, des personnes de tous les secteurs qui représentent et sont porte-parole de cette refondation – pour le moment, par exemple en Catalogne, nous n’avons pas de leaders ouvriers syndicaux dignes de ce nom, mais l’une de ces personnes est curieusement apparue dans l’environnement le plus inespérée : une sœur bénédictine.

Cette refondation peut seulement être (en Europe et dans le monde) internationale et internationaliste, mais, à moins que voulions nous dissoudre dans un sommeil idéaliste de fraternité universelle, son cadre peut seulement être national.

Cette reconquête ne peut pas se faire à Bruxelles, avec sa bureaucratie bien plus dominée par le lobby patronal que celle des états nationaux, ni dans l’insignifiant Parlement Européen. L’agora, le point de rencontre et l’articulation de ce Front populaire doit être atteinte depuis les schémas nationaux respectifs : parmi des communautés de personnes voisines unies par leur environnement géographique et socio- professionnel, leur langue leur culture et leur identité commune intégratrice. L’expérience des forums mondiaux, si intéressante mais en même temps si éthérée et indéterminée, donne beaucoup à penser. Comme l’a dit il y a peu Oskar Lafontaine, « L’Europe démocratique commence à la maison ». Ce cadre national ne remplace, ni n’est une alternative à l’international, mais plutôt sa condition première. [2]

Pour finir, une réflexion sur la violence.

III) L’Europe d’aujourd’hui n’est pas celle du XIXe, quand toute avancée sociale se payait par le prix d’énormes quantités de sang et de violence. Dans ce continent beaucoup plus riche, beaucoup plus cultivé et démographiquement beaucoup plus vieux que celui du XIXe siècle, plus ou moins, tout le monde a quelque chose à perdre. Cela suggère que la non violence populaire a un nouveau sens et de grands espaces en sa faveur.

En même temps, la rébellion civile et pacifique, le mouvement social transformateur, n’est en rien une plaisanterie postmoderne et « on-line ». Cela exige comme toujours : compromis, volonté, organisation et sacrifice. Et voilà qu’on récolte répression et réaction. C’est-à-dire : il faut être conscient de ce que signifie dire non à une oligarchie absolutiste.

L’expérience historique la plus récente nous avertit du potentiel d’énorme de violence et provocation que l’establishment a. Les deux leaders principaux contre la guerre de 1968 aux États-Unis, Martin Luther King et Robert Kennedy, ont été assassinés. Le fut aussi, le leader estudiant le plus remarquable de 68, l’allemand, Rudi Dutschke, mort des séquelles d’un attentat.

Il faut aussi rappeler que la dictature n’est pas une impossible lointaine relique historique. Il y a moins de quarante ans l’Europe du Sud, du Portugal à la Grèce en passant par l’Espagne, était gouvernée par des dictatures. Il y a un peu plus de vingt ans toute l’Europe de l’Est était gouvernée par des dictatures « communistoÏdes ». C’est-à-dire : la majeure partie de l’Europe était sous des dictatures il y a très peu de temps.

Et voilà qu’il faut recommencer à lire tout ce que le Professeur suisse Daniele Ganser expose dans son livre de 2005 sur « Gladio », l’évidence chaque fois plus étayée de la manipulation directe du terrorisme des années soixante-dix et quatre-vingt par des groupes liés à l’OTAN - les pires attentats en Italie, en Belgique et en Allemagne l’ont été. Recommencer à écouter l’opinion de quelques anciens membres de groupes allemands violents qui avouent aujourd’hui que sûrement leur travail fut politiquement manipulé depuis le début. Analyser ce que nous savons des manifestations anti-mondialisation de juillet 2001 à Gênes. Ce qui se passe sous nos yeux avec les soutiens policiers et patronaux à l’extrême droite grecque, ou ce qui s’est vu en Espagne avec les Indignés … [3]

Il faut bien savoir que toute pression vers cette nécessaire dé-mondialisation citoyenne se heurtera, se heurte déjà, aux réactions habituelles, trames noires, répressions, manipulations médiatiques et jeux déloyaux. Je le répète : il faut être conscient de ce que signifie dire non à une oligarchie.

(*) Ce texte suit les notes d’une conférence prononcée le 30 novembre au « Centre d’estudis Cristianisme i Justicia » de Barcelone.

Titre original : « L’Europe inutile »

La Vanguardia. Barcelone, le 7 décembre 2012.

Traduit de l’espagnol pour El Correo par : Estelle et Carlos Debiasi

El Correo. Paris, le 12 décembre 2012.

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* Rafael Poch, Rafael Poch-de-Feliu (Barcelone, 1956) a été vingt ans correspondant de « La Vanguardia » à Moscou et à Pékin. Avant il a étudié l’Histoire contemporaine à Barcelone et à Berlin-Ouest, il a été correspondant en Espagne du « Die Tageszeitung », rédacteur de l’agence allemande de presse « DPA » à Hambourg et correspondant itinérant en Europe de l’Est (1983 à 1987). Actuelement correspondant de « La Vanguardia » à Berlin.

Notes

[1Pour l’exposition de Samir Amin en castillan consulter l’Europe vue depuis l’extérieur (dans www.mientrastanto.org)

[2Le concept démondialisation employé par Bernard Cassen. Dans « L´heure de la démondialisation est venue », Mémoire des Luttes aôut 2011.

[3Livre de Daniele Ganser, « L’opération Gladio et le terrorisme en Europe Occidentale », 2005. Sur l’écrasement brutal de la manifestation contre le sommet de juillet 2001 à Gênes voir « El atropello de Génova » dans La Vangardia, « Quotidien de Berlin ».

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