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6 septembre 2004

L’Etablishment en Argentine est de retour avec le nouveau cheval de Troie : les objectifs de l’inflation

par Alfredo Eric Calcagno - Eric Calcagno

 

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La convertibilité ayant échoué- elle a détruit bonne partie de l’appareil productif, a désemparé des milliers de travailleurs et a garanti des profits élevés au secteur financier et aux groupes les plus forts- l’establishement retourne à la charge avec les mêmes objectifs, mais avec une autre méthode : les " objectifs de l’inflation". L’indépendance de la Banque Centrale est la clé politique de cette régulation économique.

L’establishment économique local et international, structuré autour du secteur financier, paraît aussi insatiable que multiforme. Après chaque défaite, il prend de nouvelles formes pour assurer l’appropriation et l’évasion de l’excédent économique, que ce fut sous la dictature, avec la politique de Martínez de Hoz, où sous la démocratie, avec le « un » pour « un » " (1 dollars = 1 peso) de Cavallo, ministre de Menem et de la Rua. Dans les deux cas, l’ennemi proclamé et unique est la hausse des prix. Tous les moyens de politique économique, notamment un niveau élevé de chômage, des bas salaires,une hausse de taux de change et des taux d’intérêt élevés, confluent. Maintenant que ces modèles ont échoué, les mêmes objectifs réapparaissent mais avec de nouveaux instruments : ce sont les "objectifs d’inflation" et l’indépendance hégémonique de la Banque Centrale.

Le nouveau paradigme

Le nouveau paradigme [1] établit qu’une inflation faible et prévisible est l’objectif fondamental de la politique monétaire et la mission exclusive de la Banque Centrale. Ainsi, réapparaît un ancrage, non sur les taux de change, comme avant, mais par l’instrumentation d’un faible taux (prédéterminé) d’inflation, que la Banque Centrale prétend atteindre à condition de disposer à son caprice du taux de change, du taux d’intérêt et des autres instruments qu’elle estime nécessaires.

Mais l’objectif réel est autre. Il s’agit d’ancrer la politique économique dans le modèle néolibéral et de maintenir une distribution injuste des revenus. Au lieu d’utiliser le taux de change qui n’a pas fonctionné, ni libre, ni complètement fixe, on parle d’objectifs d’inflation qui impliquent de stabiliser les prix sur la base du chômage et des bas salaires. Ce concept figure dans le manuel du parfait néolibéral du FMI et répète ainsi les vices du modèle.

Premier mensonge de fond consiste à conférer aux instruments une hiérarchie d’objectifs. Avec ce critère, on ne s’intéresse pas la croissance économique, au bien-être de la population, à l’homogénéité sociale, à l’industrialisation, à l’élévation de la productivité, à la souveraineté nationale. La seule chose qui compte, c’est qu’il n’y ait pas d’inflation. Un instrument -la stabilité de prix- est devenu le principal objectif. En particulier, l’emploi et le taux d’intérêt ne doivent pas être ceux qui conviennent le mieux au développement du pays et au bien-être général, mais ceux qui provoquent le moins d’augmentations de prix.

La deuxième grosse erreur conceptuelle est l’analyse depuis l’unique point de vue de l’offre. C’est un clair retour à l’orthodoxie monétaire dont les résultats sont connus. On préconise "un taux de chômage qui n’accélère pas l’inflation". Dans cette vision, la principale cause de l’inflation, ce sont les salaires, d’où l’utilité d’une masse de chômeurs qui provoque une diminution des salaires et contribue ainsi à la stabilité des prix. On ne considère pas la croissance de l’économie, la demande effective et la distribution de salaires [2]. On oublie qu’une augmentation soutenue de la demande génère davantage de production et d’investissements, augmente la productivité et décompresse les possibles tensions inflationnistes. On ne démontre pas non plus que des salaires élevés sont la cause de l’inflation. Il est impossible d’avoir une position aussi réactionnaire et aussi aveugle.

La troisième aberration est la gestion des taux d’intérêt. Pour maintenir une inflation faible, on propose d’augmenter ces taux, avec l’effet récessif qui suit. En suivant les objectifs d’inflation, la politique monétaire n’est pas exercée à travers la détermination de l’offre monétaire mais des taux d’intérêt, qui doivent rejoindre les objectifs d’inflation [3]. En outre, par cette voie, on arrive à la surestimation du taux de change, par lequel reviendront des importations bon marché qui réduiront les prix et empêcheront la reconstruction de l’industrie nationale. C’est-à-dire, ressusciter une des pires conséquences de la convertibilité (Taux de change de 1 x 1).

Les résultats des "objectifs d’inflation " se sont fait sentir dans les récessions du Chili, Brésil et Mexique. Mais ils n’ont pas tous échoué, le résumé arithmétique de ce mélange de faible inflation (« l’objectif »), du taux nominal d’intérêt et du change élevé ("les instruments"), est l’obtention de taux d’intérêt réels élevés pour les investisseurs locaux et internationaux. Comme par hasard ! Il existe un inconvénient : le Président de la Banque Centrale ne définit pas la Politique économique, parce que cela relève du Président de la République et du ministre de l’Économie.

Pour éviter le problème, l’establishment a inventé la chimère de la Banque Centrale indépendante. Sous des supposés principes anti démagogiques et une douteuse excellence académique, ceci signifie détacher la Banque Centrale de la politique économique du gouvernement ; ou pire encore, ce qui est fixé par la Banque Centrale, comme s’il s’agissait de problèmes techniques et non d’arbitrages politiques. Ce principe est inadmissible dans une démocratie, où la définition de la politique économique est une attribution de ceux choisis par le peuple. En définitive, par la voie de l’inflation présumée, on retourne à la politique économique du FMI.
Un autre argument, c’est la compétence technique. Bien sûr, il y a eu des époques fastes, comme quand Raúl Prebisch rédigeait les Mémoires de la Banque Centrale et les premiers comptes nationaux élaborés par Manuel Balboa et l’équipe qui a continué à l’INDEC [4] avec le même niveau d’excellence. Mais la vague néo-libérale a aussi dégradé cette qualité technique, avec l’incorporation massive de diplômés du CEMA [5] et autres centres monétaristes, incapables de séparer l’important de l’accessoire, ainsi que de manifester le moindre petit intérêt pour l’intérêt national. Leur compétence technique non plus n’est pas excellente : ils sont incapables d’analyser, si ce n’est à travers le filtre idéologique, le fonctionnement de l’économie et d’apprendre des crises provoquées par leurs propres politiques. Si la mauvaise praxis économique était punie, plusieurs d’entre eux seraient condamnés à la prison à vie.

Deux exemples : pendant la convertibilité, on a permis que les banques reçoivent des dollars et qu’elles les représentent sans avoir une assurance de change, ni de réserves constituées ; on n’a pas pensé à qui paierait la différence en cas de dévaluation. De même, on a promu l’installation de banques étrangères avec l’argument qu’en cas de crise les maisons-mère répondraient présentes ; les épargnants savent déjà ce qui vaut cette politique.

Maintenant, le pays fait face à une charge du FMI pour qu’il adopte le système d’ "objectifs d’inflation". Le mémorandum de politique économique présenté au FMI en septembre 2003, prévoit qu’à la fin de 2004 le gouvernement fixe les objectifs d’inflation pour 2005 et 2006. Évidemment, le président de la Banque Centrale a formé un Comité d’Objectifs d’Inflation et il est le chef de file de cette politique, fidèle troisième acte de ce qui est déjà connu.

Les véritables causes

En Argentine, aujourd’hui au moins, il n’est pas certain que le principal problème économique soit l’inflation. Il est important de la limiter, mais non pour la baisser (par exemple, de 8 à 5 %), il faut monter les taux d’intérêt, baisser à nouveau le taux de change, augmenter le chômage et arrêter la relance économique.

Il n’est pas vrai non plus que l’inflation actuelle est provoquée par des salaires élevés ; la cause fut la dévaluation de janvier 2002, qui a rajusté les prix relatifs mais a laissé les salaires au plus bas ; entre le quatrième trimestre de 2001 et mai 2004, les salaires ont progressé de 23.8% et les prix de 48,3%.

C’est absurde d’accuser les salaires de cette hausse de prix ; cela semble plutôt un acte de complicité ne pas expliquer avec rationalité quelles sont les causes qui provoquent l’inflation ; ne pas analyser le taux de changes, les prix internationaux, la gestion de la fixation des prix locaux (entre eux les prix de monopole et l’augmentation de tarifs), les taux de profits, les transferts à l’extérieur. On laisse intacts les causes, mais on attaque avec vigueur les conséquences, avec des remèdes radicaux étrangers à l’inflation : chômage et augmentation du taux d’intérêt. De telle manière, on maintient l’hégémonie de l’establishment néo-libéral et ce sont ceux qui souffrent plus de l’inflation qui sont punis, ce sont les salariés, les retraités et les chômeurs. Nous nous trouvons en contradiction flagrante avec la politique d’emploi et de travaux publics du gouvernement national.

Confondre l’essentiel avec l’accessoire, causes et conséquences, instruments et objectifs fut l’essence du modèle néolibéral. C’est pourquoi, on ne doit pas remplacer le totem de la convertibilité et le tabou de la dette externe par le totem des objectifs d’inflation et le tabou de l’inévitabilité du chômage. Au-delà des disputes entre personnes, c’est une question politique fondamentale, qui peut marquer le succès ou l’échec du gouvernement.

Traduction de l’espagnol pour El Correo de  : Estelle et Carlos Debiasi

Le Monde Diplomatique, le Dipló, Buenos Aires, août 2004

Alfredo Eric Calcagno, Ex Fonctionnaire de l’ONU en ECLA et la CNUCED. Auteur de l’UNIVERS NÉO-LIBÉRAL (en collaboration) et la DETTE PERVERSE

Eric Calcagno, Diplomé de l’Ecole Nationale d’Administration (France)

Notes :

Notes

[1Martin Abeles et Mariano Borzel, Metas de Inflación : Implicancias para el desarrollo, Centro de Economía y Finanzas para el Desarrollo de la Argentina, Buenos Aires, junio de 2004

[2Ibid

[3Ibid

[4Institut National Statistiques et Recensements. www.indec.mecon.ar

[5Université de CEMA http://www.cema.edu.ar

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