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Les prix surélevés scandaleux sont au cœur de l’affaire Andis. Página/12 a eu accès aux prix des médicaments pour lesquels l’Agence pour les personnes handicapées a payé trois fois plus cher que le PAMI et d’autres mutuelles. Cas de maladies graves ou de cancer.
Le médicament oncologique que le PAMI et les mutuelles Ioma, Apross et Obsba ont acheté au prix unitaire de 2 039 000 pesos (1 212,35€) a été payé par l’Agence nationale pour les personnes handicapées, dirigée par Diego Spagnuolo, à hauteur de 5 996 137,70 pesos (3 565,20 €). Soit près de trois fois plus. Quatre millions de pesos (2 378,33€) ont été détournés chaque mois pour chaque patient atteint d’un cancer du sang. Un deuxième médicament destiné aux cas très graves d’arthrite, de psoriasis et de colite ulcéreuse a été payé 6 207 000 pesos (3 690,57€) par le PAMI et les mutuelles, et 11 909 591,45 pesos (7 081,23€) par l’Agence Nationale pour les Personnes Handicapées. Six millions de pesos (3 567,49€) ont été détournés par patient. Un troisième médicament, destiné aux cas incurables de rhumatisme et de saignements du côlon, a été acheté par le PAMI à 1 455 000 pesos (865,12€), et l’Andis de Spagnuolo, avec les 3 % que Karina Milei et les cousins [plusieurs fois controversés] Eduardo « Lule » Menem et Martín Menem [président de la Chambre des Députés] auraient empoché, l’a payé 4 295 961,35 pesos (2 554,30€). En d’autres termes, l’État lui-même et les Caisses d’Assurance Maladie de référence ont payé trois fois moins cher des médicaments représentants une question de vie ou de mort pour des centaines de personnes.
Ces prix surélevés sont au cœur de l’Affaire ANDIS, instruite par le procureur Franco Picardi et le juge Sebastián Casanello. Selon l’affaire, les laboratoires qui ont vendu les médicaments sont liés à Miguel Angel Calvete [1] et Pablo Atchbahian[ [Pablo Atchbahian est un dirigeant libertarien qui maîtrise parfaitement la gestion financière et les réseaux d’affaires et de pouvoir qui entourent l’Affaire des pots-de-vin présumés à l’ANDIS. C’est un dirigeant aux multiples facettes qui a toujours été lié à la gestion des médicaments et aux marchés publics.]] et, dans plusieurs appels d’offres, ils ont reçu des instructions de le distributeur Suizo-Argentina. La fraude consistait à limiter les offres à quelques pharmacies qui étaient de mèche.
Un groupe de spécialistes liés au monde des médicaments a réalisé cette étude pour Página/12, en prenant un échantillon très restreint de médicaments. La conclusion met à nu le sinistre vol perpétré dans le domaine du handicap, s’appropriant des milliards de pesos tout en refusant les prestations les plus élémentaires aux personnes handicapées. Cette politique sinistre perdure encore aujourd’hui.
Le Daratumumab est aujourd’hui le médicament qui figure dans le top 5 mondial en termes de chiffre d’affaires. Selon les sources, le laboratoire Janssen, de Johnson & Johnson, encaisse entre 10 et 40 milliards de dollars par an dans le monde, uniquement pour ce médicament. Pour les personnes atteintes de myélome multiple, un cancer du sang, cela signifie une prolongation de la vie d’environ 10 ans. Dans le cadre de l’Andis, il faisait partie de ce qu’on appelait les PACBI, Prestations à coût élevé et faible incidence. Il est également indispensable pour les autres mutuelles, c’est pourquoi il est acheté par l’IOMA, la mutuelle de la Province de Buenos Aires, l’APROSS, la mutuelle de la province de Córdoba, et l’OBSBA, la mutuelle de la ville de Buenos Aires. Tous paient le même prix pour le Daratumumab 400 mg, soit 2 039 000 pesos (1 212,35€). Lors de l’appel d’offres, le distributeur pharmaceutique Génesis a remporté le marché de l’Andis, au prix de 5 996 137,70 pesos (3 565,20€).
Selon le procureur Picardi, l’appel d’offres était truqué entre des pharmacies liées à Calvete et Atchabahian, qui ont participé à l’appel d’offres à prix réduit 01-25-08-382. Le médicament y figure à près de 6 millions de pesos. Il n’y avait qu’un seul concurrent pour ce médicament, New Farma S.A., également lié au duo qui, selon l’enquête, dirigeait l’Andis de l’extérieur et donnait des instructions aux fonctionnaires. « Ces entreprises, telles qu’elles ont été développées, seraient liées à Calvete, Palotti, Atchabahian, Rama, Armaudo et Lozano », indique le rapport de Picardi. La commande résultant de l’appel d’offres 01-25-08-382, qui comprenait d’autres médicaments, s’élevait à 2 338 749 512 pesos. Deux milliards trois cents millions de pesos. Rien de moins.
L’Ustékinumab 90 est utilisé dans les cas graves de psoriasis, d’arthrite, d’inflammation intestinale et de diarrhées sanglantes et douloureuses. Le PAMI et les mutuelles l’achètent à 6 207 000 pesos (3 690,57€), mais Andis l’a payé 11 909 591,45 pesos (7 081,23€). La concurrence pour la fourniture a toujours été la même, Genesis contre New Farma, qui ont même des liens actionnaires.
Enfin, le troisième médicament de l’échantillon, le Golimumab 50 mg, est associé à de graves problèmes de mobilité, ainsi qu’à des diarrhées sanglantes, des douleurs abdominales et des inflammations intestinales. Le PAMI et les mutuelles l’achètent à 1 455 000 pesos (865,12€), et lors de l’appel d’offres, Andis l’a payé 4 295 961,35 pesos (2 554,30€).
Il va sans dire que ces trois médicaments sont importés des États-Unis et que le laboratoire Janssen, de Johnson & Johnson, en détient le brevet. S’il existait une version locale, elle serait beaucoup moins chère, comme c’est le cas pour d’autres médicaments. Contrairement à ce que l’on tente de faire croire, les laboratoires argentins respectent les médicaments que les laboratoires étrangers brevètent en Argentine. Il se trouve que l’Argentine, comme le Brésil et de nombreux autres pays, n’homologue pas automatiquement ce qui est breveté à l’étranger et applique en outre des règles assez strictes en matière de brevets. C’est ce que Washington veut abolir dans les accords qu’il négocie avec le gouvernement de Javier Milei : que le brevet américain, et de nombreuses extensions plutôt trompeuses, s’appliquent en Argentine et que les exigences en matière de brevets soient réduites.
Il va sans dire que Picardi et Casanello soupçonnent que trois des pharmacies participant à l’appel d’offre étaient en réalité des coquilles vides. Lorsqu’ils ont perquisitionné leurs domiciles, ils ont constaté, comme le dit textuellement le procureur, « l’absence dans leurs entrepôts et leurs bureaux de médicaments et de fournitures médicales importants qui justifieraient le volume millionnaire des adjudications qu’ils avaient reçues d’Andis ». En d’autres termes, elles n’étaient que la façade de la manœuvre des appels d’offres : les médicaments étaient fournis par d’autres. Le rapport de Picardi était accompagné de photos de réfrigérateurs et d’étagères vides, ce qui montrait clairement qu’il ne s’agissait pas des véritables fournisseurs. Le soupçon, bien sûr, est que les médicaments étaient fournis par Suizo Argentina.
Ce n’est pas que Genesis, le fournisseur des trois médicaments, avait une longue expérience. Ses débuts ont été spectaculaires. La société a été agréée pour la première fois le 12 juillet 2024 et invitée à soumettre une offre le 25 juillet, moins de deux semaines plus tard. Lors de cet appel d’offres, le 01-24-07-296, les soumissionnaires n’ont eu qu’une heure et demie pour faire une proposition. La meilleure offre était celle de Suizo Argentina, mais le marché n’a pas été attribué à cette société : il a été attribué à Genesis, pour 179 millions de pesos.
Grâce à ces méthodes, les fournisseurs Profarma et Genesis ont remporté 93,11 % des appels d’offres, suivies par Calvete et Atchabahian, sans être les véritables fournisseurs. Elles n’étaient que des prête-noms pour mener à bien cette manœuvre.
Le procureur Picardi a longuement énuméré les prix surélevés en comparant ce qu’Andis a payé dans les appels d’offres à prix réduits, qui étaient ceux des manœuvres, et les appels d’offres à prix élargis, où la participation d’autres sociétés et soumissionnaires était autorisée.
Par exemple, le Burosumab 20 mg était acheté entre 16 (9 513,31€) et 19 millions de pesos (11 297,06 €) lors d’appels d’offres généraux, mais lorsque les offres ont été limitées à deux ou trois fournisseurs - en 2025 - le prix est passé à 39 millions (23 188,70 €), voire 45 millions (26 756,19 €), les mêmes fournisseurs participant toujours : Genesis et Profarma. Une escroquerie scandaleuse à l’encontre des personnes handicapées.
Avec toutes ces informations sur la table, même si le procureur Picardi n’a même pas mentionné les enregistrements audio dans lesquels on entend la voix de Spagnuolo, il est évident que ce que disait le directeur d’Andis dans les enregistrements était vrai. De plus, il le disait à tous ceux qui voulaient l’entendre : Fernando Cerimedo, sa femme, le journaliste Alejandro Fantino et les interlocuteurs des enregistrements.
Comme on peut s’y attendre, Spagnuolo a pris sa part. Picardi décrit comment on lui a apporté 5 millions de pesos en espèces, comment Calvete s’est rendu à quatre reprises dans la propriété de Spagnuolo, presque certainement dans le même but, celui de lui apporter de l’argent, et il y a une description de dépenses qui ne correspondent pas à ses revenus, parmi lesquelles le déménagement dans la propriété et les travaux de rénovation de la maison. Il en va de même pour Garbellini.
Les 700 000 dollars de la fille de Calvete, Ornela, les six appartements dont elle est propriétaire et la fortune de son père font partie de l’histoire, tout comme le fait, décrit par le procureur, que Genesis a acheté une camionnette importée et que la carte grise est au nom d’Atchabahian, bien qu’il ne figure pas comme actionnaire de l’entreprise. Tout cela montre qui sont les acteurs de cette escroquerie qui se chiffre en millions.
Ce qui se passe dans cette affaire judiciaire ne devrait pas attirer l’attention. Spagnuolo a refusé de témoigner, Garbellini a refusé de témoigner, Atchabahian a refusé de témoigner, Calvete a refusé de témoigner, sa fille Ornella a démissionné du Ministère de l’Économie, le compagnon d’Ornela, Javier Cardini, a également dû quitter le Ministère de l’Économie, l’avocat de Calvete, Camilo Cordero Fabbri, a démissionné du Bureau Anti-corruption, le Laboratoire Roche a licencié Luciana Ferrari qui, sans être employée chez Andis, disposait d’un nom d’utilisateur et d’un mot de passe falsifiés pour accéder aux appels d’offres. Et les mouvements se poursuivent. La logique veut qu’à un moment donné, le tsunami atteigne la Casa Rosada. Ce n’est pas pour rien que Spagnuolo était l’ami et l’avocat de Milei et, selon ses dires, il a averti le président du 3 % pour Karina et du vol aux personnes handicapées. Fort de sa prétendue victoire électorale, Milei a déclaré que « ce ne sont que des ragots de salon de coiffure ».
Raúl Kollmann* pour Página 12
Página 12. Buenos Aires, le 30 novembre 2025.
Traduit de l’espagnol depuis et pour El Correo de la Diáspora par : Estelle et Carlos Debiasi.
El Correo de la Diaspora. Paris le 1er décembre 2025.
[1] Miguel Angel Calvete était l’un des dirigeants parapublics de l’Agence nationale pour les personnes handicapées (ANDIS), où un « énorme réseau de corruption » a été démantelé, qui aboutirait entre les mains de Karina Milei.