Portada del sitio > Reflexiones y trabajos > Hobsbawm : Une vision globale curieusement partielle
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Une description écrite en 1996 d’« Age of Extremes - The Short Twentieth Century 1914-1991 », Eric J. Hobsbawm, Pantheon Books, Londres, 1994. Publiée dans le Vent du Sud, le Mexique, Nº7, été 1996, pages 78,79 et 80. En France : ( L’Âge des extrêmes : le court XXe siècle 1914-1991 , Le Monde Diplomatique, 1996)
L’objectif de ce livre du prolifique et connu historien communiste anglais est encyclopédique ; Hobsbawm essaie, en effet, d’aborder historiquement le développement de la société (politique, économie, arts, sciences, vision populaire du monde, etcetera) au cours de notre siècle (NDLT : XX ème siècle, texte écrit en 1996) . Pour cela il divise ce développement en trois phases : « l’âge de la catastrophe », époque de guerres mondiales et de révolutions ; « l’âge d’or », période de guerre froide, de changements sociaux et culturels, libération nationale, constitution du système « socialiste réel » ; et, enfin, « la démolition », phase de crise et d’irrationalisme qui mène vers un troisième millénaire plein d’inconnues et de dangers. Dans le choix de ces définitions il y a aussi une approche culturo-politique. L’auteur considère que, ce qui a été en réalité la démolition de la phase précédent 1914 et la naissance (certes sanglante et douloureuse) d’une nouvelle phase, est la catastrophe. L’âge d’or (d’autre part, également sanglant) serait en revanche celui du statu quo, de la « coexistence pacifique », des réformes résultant de la peur de la révolution et de la mise à l’écart sine die de celle-ci, celle de la reconstruction du capitalisme. Il voit, par conséquent, les deux premières phases du point de vue du système mais, curieusement, se réfère à la troisième - la démolition - non comme une nouvelle phase dans le développement de celui-ci, conclusion d’un processus de reconstitution fortement aidé par la « coexistence pacifique » et le « socialisme réel », mais comme une chute désastreuse de ceux-ci et de leurs illusions.
De toute façon, le livre est un vrai monument de fin d’une époque et est plein de références bibliographiques et de suggestions de lecture (qui occupent environ quarante pages bien tassées). Par conséquent, il est très utile pour les spécialistes et pour ceux qui s’intéressent à l’histoire, aux sciences politiques, à l’économie, à l’histoire de la culture, à l’histoire de la science. C’est une tentative importante de réponse culturelle à la mondialisation, une invitation réelle à la pensée - monde.
L’auteur reprend de l’auteur hongrois Ivan Berend le concept de siècle bref puisque, selon son opinion, le siècle qui s’achève ( NDLT : XX ème siècle, texte écrit en 1996) commence en réalité en 1914 et finit en 1989 (nous serions conformément à cela déjà au XXIe siècle tandis que la phase précédente serait née avec la révolution aux États-Unis au XIXe siècle et a duré jusqu’à la Première Guerre mondiale).
Cela vaut la peine de reproduire une page qui résume en même temps la vision historique globale et les limites de l’auteur :
C’est une ironie de ce monde étrange que le résultat le plus durable de la Révolution d’Octobre, dont l’objectif était d’abattre le capitalisme à l’échelle planétaire, fut de sauver ses propres ennemis, que ce soit dans la guerre, avec la victoire militaire sur les armées hitlériennes, que ce soit dans la paix, en donnant au capitalisme après la Deuxième Guerre mondiale l’impulsion et la peur qui l’ont amené à s’ auto reformer : en effet, le capitalisme a extrait des principes de l’économie planifiée des régimes socialistes, alors assez populaires, plusieurs méthodes pour sa réforme interne. Cependant, même quand le capitalisme libéral a survécu à grand-peine au triple défi de la crise économique, du fascisme et de la guerre, il a eu à affronter l’avancée mondiale des mouvements révolutionnaires, qui pouvaient se réunir alors autour de l’URSS, surgi de la Deuxième Guerre mondiale comme superpuissance.
Aujourd’hui, cependant, nous pouvons vérifier avec un regard rétrospectif que la force du défi mondial face au capitalisme des mouvements socialistes était fonction de la faiblesse de l’antagoniste. Sans la démolition de la société bourgeoise du siècle 19 ème siècle à l’âge de la catastrophe, ne se seraient pas produites la Révolution d’Octobre et l’Union soviétique. Sans la crise de la société bourgeoise, le système économique improvisé portant le nom de système socialiste sur les ruines de la structure rurale eurasienne de l’empire tsariste n’ aurait pas existé, il ni aurait été pris en considération par les autres, comme une alternative mondiale réaliste à l’économie capitaliste. Ce fut la grande crise économique des années 30 qui lui a conféré ce rôle apparent, de la même façon que ce fut le défi du fascisme qui a transformé l’ URSS en instrument indispensable pour renverser Hitler et, par conséquent, dans l’une de deux superpuissances dont a confrontation a dominé, à travers l’équilibre de la terreur, la deuxième moitié du siècle bref, donnant une stabilité – comme on le voit clairement aujourd’hui - aux structures des politiques internationales. Dans un cas contraire, l’URSS ne se serait pas trouvée à la tête du camp socialiste, qui comprenait un tiers du genre humain – comme était le cas pendant quinze ans vers la moitié du siècle - l’idée, selon laquelle son économie aurait pu dépasser celle du capitalisme, ne serait pas répandue même pendant peu de temps. |
Nous nous excusons pour cette long citation, mais elle résume la vision de l’auteur qui, malgré son érudition et un entourage qualifié de conseillers, consultants et assistants, ne peut pas échapper à la vision non dialectique, mécanique, propre au stalinisme qui l’a politiquement formé et avec laquelle il n’a pas complètement rompu dans sa vision du monde.
En réalité, le capitalisme actuel n’aurait probablement pas existé si en 1927 la Deuxième Révolution Chinoise n’avait pas amené à la catastrophe [1] (en ouvrant après le chemin aux autres infortunes résultant du maoïsme, y compris l’actuel régime en Chine ( NDLT : texte écrit en 1996)), et si la politique sectaire du « social-fascisme » [2] n’avait pas ouvert à Hitler le chemin du pouvoir en 1933 ; tout le panorama européen aurait changé et avec lui, même le panorama mondial. Les États-Unis n’étaient pas une puissance militaire ni politique de premier plan et n’auraient rien pu faire si l’armée russe avait honoré son pacte de défense mutuelle en cas d’invasion de la Tchécoslovaquie, quand le nazisme n’avait pas encore réarmé l’Allemagne. Le fait d’avoir essayé d’éviter la radicalisation de la révolution espagnole, en réprimant les anarchistes qui étaient en majorité des travailleurs - et les trotskistes, en refusant de permettre une réforme agraire ou l’indépendance des colonies en essayant de ne pas effrayer les gouvernements de la France ou de l’Angleterre, qui craignaient plus la révolution socialiste que l’avancée du nazi-fascisme, a autant collaboré pour préparer la guerre et pour sauver le capitalisme que les collectivisations forcées dans l’agriculture soviétique (en 1936), les déportations massives de millions de paysans, les purges terribles dans l’armée, la destruction des adversaires dans le parti. Sans le Pacte germano-soviétique et la neutralité résultante des partis communistes devant le nazisme, les destructions et les pertes chez des hommes et dans l’économie pendant l’inévitable guerre avec l’Allemagne auraient été nettement moindres, et par conséquent, après la Deuxième Guerre mondiale, mineure la faiblesse relative de l’URSS détruite et saignée en face des États-Unis, qui n’avaient non seulement pas souffert mais s’étaient enrichis avec le conflit. Si Staline et ses acolytes n’avaient pas durement travaillé pour sauver le capitalisme (dans la révolution espagnole, avec les dits « fronts antifascistes » qui soumettaient les intérêts des travailleurs à la négociation avec les alliés, dans chacune des révolutions, qu’ils ont condamné au nom de l’unité nationale) ,le capitalisme ne serait probablement pas sorti indemne de la guerre ni de la paix.
Bien sûr, l’histoire n’est pas faite avec des «si » et il n’est pas sûr qu’une autre politique aurait conduit à la liquidation du capitalisme, au moins en Europe et en Asie. Mais Hobsbawm exclut le rôle de l’URSS dans l’histoire contemporaine et, en URSS elle-même, il exclut celui du stalinisme et croit que l’histoire est régie par la fatalité et que si c’est arrivé ainsi, cela ne pouvait pas se passer autrement. Par conséquent, il ne rapporte, ni n’explore les alternatives potentielles qui se sont présentées à chaque moment et ne tient pas non plus compte de la politique de Staline et des partis communistes dans la reconstruction européenne et au niveau mondial du capitalisme et dans l’établissement de la « coexistence pacifique » avec l’impérialisme qui, effectivement, « a donné une stabilité aux structures de politiques internationales ».
Hobsbawm croit que, paradoxalement, la Révolution d’Octobre a sauvé le capitalisme. Mais il ne voit pas que toutes les révolutions se sont pas produites sans l’URSS mais malgré elle, comme la yougoslave, la chinoise ou la Cubaine. Ni que l’URSS a tout fait pour maintenir le statu quo avec l’impérialisme, non pour l’éliminer et que, par conséquent, l’URSS de Staline et de la bureaucratie soviétique qui a formée les Yeltsine, dans le meilleur des cas, ont avec la Révolution d’Octobre la même relation qu’un cancer du cerveau avec cet organe vital.
Pour Hobsbawm le fait que « les mouvements révolutionnaires pouvaient se réunir autour de l’URSS » n’exige pas d’étude du pourquoi les partis communistes n’ont pas dirigé ces mouvements (ou se sont opposés à eux) dans les colonies alliés, depuis l’Indonésie jusqu’à l’Inde, de l’Argentine à l’Algérie, ou ont été dissous pendant la guerre laissant le champ libre ainsi aux directions qui, comme celle de Nasser en Égypte ou celle de Siad Barre en Somalie, se sont « rapprochées » pendant un temps de l’URSS mais pour négocier avec les États-Unis en meilleures postures, jusqu’à se livrer à eux. Il faut se rappeler que Staline avait proposé à Mao Tsé–Toung un gouvernement d’unité nationale avec Tchang Kaï-chek et à Tito avec le roi Pierre … : Comment dire alors que « après 1956 » les partis communistes ont perdu leur « cœur révolutionnaire » ? (consulter, la page 95 de l’édition italienne du livre).
D’autre part, les révolutions naissent toujours des contradictions des systèmes qui les engendrent et, dans la lutte entre les classes comme dans toute autre lutte, la faiblesse de l’un constitue en grande partie la force de son adversaire. Par conséquent, ce fut grâce au capitalisme que l’URSS est née et a été renforcée mais, à l’inverse, cela fut grâce à la politique de l’URSS stalinienne que le capitalisme s’est maintenu malgré sa faiblesse et a réussi à se renforcer par la suite et à vaincre. De plus, comme l’histoire récente l’a démontré, cela continue d’être un mythe de parler « d’un camp socialiste » en confondant la fusion entre les partis « socialistes » et l’État avec l’existence d’un système alternatif au capitalisme …
Il est impossible de résumer les nombreuses analyses précieuses que cette œuvre encyclopédique contient, J’ai préféré, par conséquent, marquer sa faiblesse principale et laisser au lecteur le plaisir de profiter du reste. Je crois, cependant, que le vice de fond est grand et qu’en résulte pecata minuta la série d’imprécisions sur l’histoire latino-américaine, comme celle qui attribue un caractère révolutionnaire à la Réforme Universitaire née à Cordoba, Argentine, en 1918, ou la confusion entre la marche de Luiz Carlos Prestes et le « tenientisme » brésilien (qui était une expression de la radicalisation de la classe moyenne démocratique en uniforme), ou la rébellion paysanne et anti-impérialiste de César Augusto Sandino au Nicaragua, avec les groupes de guérilleros des années 50-60 ou avec la lutte armée contre Anastasio Somoza, ou l’idée de ce que le problème de l’impérialisme étasunien n’était pas important en Amérique Latine dans les années vingt, ou l’oubli de Cuba (la lutte contre Machado et Grau Saint Martin), ou celui du nationalisme portoricain pendant les deux guerres, etcetera.
Le mérite principal du livre - nous l’avons déjà dit - consiste dans la tentative de penser globalement, en incluant toute la vie de la société, et d’essayer de détacher de là quelques éléments – les changements économiques, culturels, sociaux, démographiques, en particulier - pour pouvoir comprendre quelles voies sont ouvertes à l’avenir. Si la vision globale est partielle à cause de son objectif et aussi parce qu’elle fausse quelques points ou étouffe d’autres, cela découle peut-être du fait que notre siècle (NDLT : XXème siècle, texte écrit en 1996) doit être analysé avec un spectre large par un nombre important de spécialistes de différents sujets, unis par la même conception historico-philosophique, bien qu’avec diverses nuances dans l’interprétation. Le travail dépasse les forces et la capacité de tout historien isolé. Donc, il est difficile de trouver les encyclopédistes, les Diderot et les D’Alembert de notre époque.
Guillermo Almeyra
– NDLT : Lire aussi : « Une histoire du XXe siècle. L’Age des extrêmes » échappe à ses censeurs», par Eric Hobsbawm, Le Monde Diplomatique, septembre 1999
Traduit de l’espagnol pour El Correo par : Estelle et Carlos Debiasi
El Correo. Paris, le 13 octobre 2012.
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[1] En fusionnant d’abord le P.C. chinois avec le Kuomintang bourgeois et après en organisant un aventureux soulèvement à Shanghai et Canton pour présenter un « triomphe »au Congrès de l’International communiste, et pour battre l’Opposition de Gauche.
[2] Staline et le PC allemand qualifiaient les socialistes, majoritaires dans la classe ouvrière, de « social-fascistes » et sont arrivés à appuyer les mouvements des nazis contre ceux-ci qu’ils considèrent être le danger principal.