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Grand Bretagne-théâtre-guerre-Irak-USA PREV "Henri V", une pièce admirée par le Pentagone, 400 ans après sa création.
Par Catherine MARCIANO
AFP, Londres, 26 mai 2003
La pièce shakespearienne "Henri V", l’histoire d’un jeune roi qui s’engage dans une guerre difficile à justifier, brûle les planches du National Theatre de Londres, dans une mise en scène moderne d’une saisissante actualité.
Le texte de Shakespeare, qui glorifie la guerre, fait partie des lectures distribuées cet hiver aux soldats américains par le Pentagone. Mais la pièce, jouée pour la première fois en 1599, expose aussi la brutalité d’une armée, avec son lot de propagande et d’humiliation infligées aux vaincus. Dans ce drame, le roi délivre un viril discours pour galvaniser les troupes anglaises à l’assaut des Français à Azincourt (1415).
Avant l’assaut, dans le désert irakien, le lieutenant-colonel britannique Tim Collins (aujourd’hui soupçonné de brutalités en Irak) lança un vibrant plaidoyer pour inspirer ses soldats irlandais rappelant étrangement les accents d’Henri V, subjuguant George W. Bush et le prince Charles. Le discours d’anthologie d’Henri V, qui n’échappe décidément pas à l’attention des militaires, avait déjà été offert par le général américain Norman Schwartzkopf à ses soldats pendant l’opération Tempête du Désert, en 1991.
Le directeur du National Theatre, Nicholas Hytner, a choisi la pièce l’été dernier, lorsque le conflit pointait déjà, et a répété en pleine guerre en Irak, avant la première du 13 mai. "Depuis 400 ans, il s’agit de la meilleure pièce disponible sur la guerre", juge-t-il.
Il se défend de "chercher à créer une polémique" mais espère que "les gens vont lire cette pièce dans le contexte actuel". Pour les y aider, treillis, jeeps ou fusils-mitrailleurs, mais aussi le brillant Adrian Lester (acteur noir d’origine jamaïcaine) dans le rôle du charismatique Henri V, accompagnent la langue poétique de Shakespeare. Les conseillers du roi en costume cravate se perdent dans des justifications tortueuses pour envahir la France mais n’ont pas trop de mal à convaincre un monarque déjà déterminé. Les propos du roi, empreints de références à Dieu qui veille à la victoire, peuvent faire penser à la ferveur religieuse prêtée à Tony Blair. Reste que l’archevêque de Canterbury pousse à aller en guerre, contrairement à son pacifiste successeur de 2003. Le roi de France propose un compromis, rejeté par les Anglais, qui gagneront glorieusement avec peu de pertes humaines. Henri V n’aura de cesse de rendre la France seule responsable de l’invasion...
Au passage, il ne cache pas son mépris à l’égard des Français, montrés parfois arrogants ou grivois, de quoi assurer à l’époque un succès commercial à Shakespeare selon les spécialistes. Dans le contexte actuel, "le directeur n’a pas versé dans la facilité en forçant le trait sur les Français", précise toutefois l’acteur Iain Mitchell, gardien de l’ordre à la Cour de France. Les discours du roi, quelquefois prononcés au micro, sont retransmis sur écran géant, regardé et zappé dans un pub ou à la Cour de France (avec sous-titres). La rhétorique de guerre dispose au 21ème siècle d’atouts médiatiques...
Déguisé pour sonder ses soldats, Henri se rend compte qu’il a perdu le contact, certains doutant de la légitimité de l’offensive. Il fait aussi montre de brutalité, surtout lorsqu’il fait exécuter ses prisonniers de guerre (de quoi enfreindre la Convention de Genève), un épisode souvent omis par les directeurs de théâtre et peut-être ignoré par le Pentagone.
Laurence Olivier tourna "Henri V" durant la Deuxième Guerre mondiale en 1944, en gommant tous les passages subversifs afin de créer un film patriotique dédié aux troupes appelées à libérer la France. cm/heg/bm eaf