Introduction
Les métamorphoses du pouvoir.
Qui gouverne le monde en cette fin de millénaire ? Après la fin de la « guerre froide », il ne reste qu’une seule grande puissance, les Etats-Unis. Mais quelle est leur véritable influence dans un univers où l’économie dicte sa loi ? Quel est le rôle, dans ce nouveau contexte, des instances de régulation internationales comme l’ONU, le G7, l’OCDE, l’Organisation mondiale du commerce (OMC), etc. ? Quel est le vrai pouvoir des médias, des groupes de pression (lobbies), des Organisations non-gouvernementales (ONG) ? Partout, dans les relations internationales comme au sein de la société, une mutation du pouvoir se produit. C’est perceptible aussi bien à l’échelle de l’Etat, dont la capacité d’intervention est amoindrie, qu’à l’échelon de la famille, de l’école ou de l’entreprise. Nous sommes en train de passer de formes de pouvoir autoritaires, hiérarchiques, verticales à des formes négociées, réticulaires, horizontales, plus civilisées mais plus complexes.
Conflits et menaces de nouveau type.
Du point de vue géopolitique, le monde présente l’aspect d’un grand chaos : d’un côté, multiplication des unions économiques régionales (Union européenne, Aléna, Mercosur, Apec...) ; de l’autre, renaissance des nationalismes, montée des intégrismes, Etats divisés, minorités réclamant leur indépendance. La plupart des conflits en cette fin de siècle (Algérie, Albanie, Bosnie, Tchétchénie, Kurdistan, Afghanistan, Chiapas, Soudan, Libéria, Congo-Zaïre, Rwanda, etc.) sont des conflits internes, intraétatiques, qui opposent un pouvoir central à une fraction de sa propre population.
Par ailleurs, des réseaux mafieux internationaux et le crime organisé constituent de nouvelles menaces parce qu’ils contrôlent toutes sortes de circuits clandestins (prostitution, contrebande, trafic de drogues, vente d’armes, dissémination nucléaire). D’autre part, les grandes migrations dues à la pauvreté sont perçues également comme une menace transfrontière par les Etats riches du Nord. Contre laquelle (comme contre les pollutions atmosphériques ou contre la propagation des nouvelles maladies) les armes traditionelles de la panoplie militaire ne servent à rien.
Montée des inégalités et des discriminations.
L’aggravation des inégalités entre le Nord et le Sud trouve son prolongement au sein même des pays les plus développés. Bien que faisant partie des 20% de la population de la planète qui se partagent plus de 80% du revenu mondial, l’Union européenne compte plus de 50 millions de pauvres... Le nombre de chômeurs y dépassera, en 1997, les 20 millions. La machine économique fabrique de plus en plus de marginaux, notamment parmi les jeunes, les femmes et les immigrés. Les étrangers sont stigmatisés, et des dirigeants d’extrême droite attisent insidieusement les sentiments xénophobes de la population confrontée à la misère et au chômage. Ces problèmes mettent en cause la finalité des sociétés libérales.
La mondialisation de l’économie.
En cette fin de siècle, tous les Etats sont pris dans le grand mouvement de la mondialisation, qui rend les économies dépendantes les unes des autres. Les marchés financiers tressent une toile invisible qui relie les pays et, en même temps, ligote et emprisonne les gouvernements. Aucun État, pratiquement, ne peut plus s’isoler du reste de la planète. Quelles conséquences pour les citoyens ? Pour la démocratie ?
Les nouveaux maîtres du monde.
La Terre est désormais disponible pour une nouvelle ère de conquète, comme au XVe siècle. A l’époque de la Renaissance, les acteurs principaux de l’expansion conquérante étaient les Etats. Aujourd’hui ce sont des entreprises et des conglomérats, des groupes industriels et financiers privés qui entendent dominer le monde, lancent leurs razzias, et amassent un immense butin. Jamais les maîtres de la Terre n’ont été aussi peu nombreux, ni aussi puissants.
La Planète mise à sac.
Au nom du progrès et du développement, l’homme a entrepris, depuis la révolution industrielle, la destruction systématique des milieux naturels. Les prédations et les saccages en tous genres se succèdent, infligés aux sols, aux eaux, à la végétation et à l’atmosphère de la Terre. La pollution produit des effets - réchauffement du climat, appauvrissement de la couche d’ozone, pluies acides - qui mettent en péril l’avenir de notre planète. Le productivisme à outrance est le premier responsable de l’actuelle mise à sac, mais aussi l’explosion démographique du Sud, et la pollution urbaine. L’étendue des désastres écologiques et des problèmes qu’ils soulèvent préoccupent tous les citoyens de la planète. La disparition de nombreuses espèces de la faune et de la flore crée d’inquiétants déséquilibres. Protéger la variété de la vie devient un impératif. Car la richesse de la nature, c’est en premier lieu sa diversité.
Les Villes à l’assaut de la Terre.
Sur toute la planète, irrésistiblement, la population se concentre dans les villes, dont la croissance démesurée échappe de plus en plus à la maîtrise humaine. Au Nord, comme au Sud, des agglomérations tentaculaires bouleversent les équilibres écologiques, sociaux et économiques, drainent l’essentiel des richesses, accumulent, entre une minorité de privilégiés et la masse des exclus, des tensions qu’un pouvoir, souvent peu démocratique, est impuissant à régler pacifiquement.
Les mégavilles du Sud (Mexico, Sao Paulo, Calcutta, Le Caire, Lagos, Shanghai) semblent annoncer la décomposition du modèle occidental de société urbaine. Tandis que dans les banlieues du Nord, la crise enferme dans des cités-ghettos des populations sans perspectives d’avenir qui expriment leur désespoir dans de fréquentes explosions de violence.
Sciences et techniques, triomphes et dangers.
Plus d’un millier de satellites tournent en permanence autour de la Terre. Des engins devenus indispensables pour la télévision, les télécommunications, la météorologie, la surveillance militaire, la navigation, etc.
Les enjeux économiques et politiques des technologies de l’espace sont devenus, pour les Etats, extrêment importants. La puissance passe désormais par l’espace. Ce qui suppose une industrie performante en matière d’aéronautique ainsi que de fusées, de lanceurs, et de fabrication de satellites. Seuls quelques Etats (Etats-Unis, Union européenne, Russie, Chine, Japon, Inde, Israël) possèdent les atouts pour dominer ces techniques qui leur ouvrent la voie de la puissance pour le prochain siècle.
Ce développement irréversible de la technologie met-il en jeu la survie de l’humanité ? L’homme continue de tenir la nature pour servante alors que ses recherches atteignent désormais des frontières essentielles. Au lieu d’être mis à contribution pour répandre le bien-être et la justice, le savoir sert trop souvent les détenteurs de pouvoirs privilégiés.
Une poignée de firmes dominent la recherche mondiale pour leur propre profit. Au Nord, les catastrophes de Tchernobyl, du sang contaminé, de l’amiante ou de la « vache folle » n’ont pas suffi à provoquer le vaste débat qu’exige l’émergence de la « techno-société ». Le Sud, victime de l’exode des cerveaux, refuse de plus en plus d’accueillir les déchets de la société industrielle et les pesticides. Non content d’étendre la logique marchande à l’ensemble des activités sociales, l’homme contemporain y intègre désormais la vie elle-même. La cellule, le gène, grâce aux performances des manipulations génétiques et des biotechnologies, deviennent de la matière première au même titre que le pétrole ou le coton. L’être humain peut-il accepter de devenir, au nom de la science et du progrès, une matière première rentable ?
Révolution dans les communications.
Le mariage de l’informatique, des télécommunications et de la télévision provoque une véritable révolution que rendent possible les technologies du numérique. Cela signifie davantage de moyens de communiquer (comme le montre le boom actuel du téléphone mobile ou celui d’Internet) et le développement de nouveaux usages.
Dès à présent de nombreuses richesses du multimédia sont accessibles. Cette révolution des communications entraîne des conséquences de tous ordres, aussi bien dans le domaine économique (les industries de la communication pourraient être les locomotives de l’économie au début du prochain millénaire) que dans le domaine sociologique (nouveau clivage entre inforiches et infopauvres, entre pays du Nord hyperéquipés et pays du Sud sous-équipés).
Vers une civilisation du chaos ?
Les sociétés occidentales ne se voient plus clairement dans le miroir du futur ; elles semblent hantées par le chômage, gagnées par l’incertitude, intimidées par le choc des nouvelles technologies, troublées par la mondialisation de l’économie, préoccupées par la dégradation de l’environnement, et fortement démoralisées par une corruption galopante. De surcroît, la prolifération des « guerres ethniques » répand sur ces sociétés les relents d’un remords et comme un sentiment de nausée.
Dans ce sombre contexte, quelle est la responsabilité de la culture ? Les Etats-Unis restent, en la matière aussi, la référence et les pionniers de la culture de masse, qu’il s’agisse de sport, de « world music », de séries télévisées, d’émissions d’information, ou de parcs de loisirs. Pris en main par les marchands, le modèle culturel a dérapé dans l’insignifiant, le sensationnel ou le vulgaire.
Les créateurs peuvent-ils laisser faire ? Les intellectuels sauront-ils se mobiliser pour éviter que, à l’aube d’un nouveau millénaire, la civilisation sombre dans la fascination du chaos ?
I. R.