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5 de marzo de 2007

Entre l’Humanisme et l’irresponsabilité morale.

Violence du maître, violence de l’esclave.

por Jorge Majfud *

 

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C’est pour quelque chose que la phrase "la violence engendre la violence" est devenue populaire partout dans le monde eu même temps alors que sa signification implicite demeurait restreinte à la violence de l’opprimé. C’est à dire, la violence du maître sur l’esclave est invisible dans un état d’esclavage, comme dans un état d’oppression la force qui le soutient use de tous les moyens (idéologiques) pour ne pas perdre cette caractéristique d’invisibilité ou - en étant découverte - de naturalité.

Dans ce cadre invisible ou naturel, l’esclave Cubain Juan Manzano se référait avec nostalgie à ses premières maîtresses : "j’ai eu là bas la même Madame Da Joaquina qui me traitait comme un enfant, elle m’habillait, me peignait et veillait à que je ne me frotte pas avec les autres petits nègres de la même table comme au temps de Madame la marquise Justis, on me donnait à manger aux pieds de ma Madame la marquise". Sont ensuite venus les mauvais temps, où le jeune Juan était puni par l’emprisonnement, la faim et la torture. Passé la punition, il mangeait "sans mesure" et pour ce péché, on le punissait à nouveau. "Maintes fois j’ai souffert par la main de vigoureux noirs le fouet", rappelait-il dans son Autobiografía de un esclavo (Autobiographie d’un esclave) (1839), ce qui prouve la perfection de l’oppression même dans un état primitif de production et d’éducation.

Ce type d’esclavage fut aboli dans les lois écrites presque dans toute l’Amérique Latine au début du XIX è Siècle. Mais l’esclavage du même style a perduré dans la pratique jusqu’au XXème Siècle. L’Équatorien Juan Montalvo signalait que "les Indiens sont affranchis par la loi, mais, comment-peut-on le nier ?, ils sont esclaves de l’abus et de la coutume". Et ensuite : "le coup bâton qu’on lui donne pour qu’il se souvienne et qu’il revienne pour un autre. Et l’Indien revient, parce que telle est sa condition, quand on lui donne le fouet, tremblant sur le sol, il se lève en remerciant son bourreau : ’Diu son lu pagui, amu’[...] Les races opprimées et avilies pendant trois cents ans, en ont besoin de huit cents pour revenir à elle "(les Indiens, 1887).

Pour sa part, le bolivien Alcides Arguedas, dans Pueblo enfermo (Peuple malade) (1909), reconnaissait que les propriétaires terriens de son pays refusaient de développer le chemin de fer parce que les Indiens portaient leurs récoltes d’une zone à une autre pour un rien et, comme si cela ne suffisait pas, l’honnêteté de ces derniers les rendait incapables de voler le bœuf d’autrui. Il suffirait donc seulement de cet exemple pour démontrer que les idéologies des classes dominantes s’enkystent dans la morale des opprimés (comme le fait qu’un analphabète applique des règles grammaticales complexes, démontre l’existence d’une connaissance inconsciente). Un autre Arguedas, le péruvien José María Arguedas, nous a laissé une peinture vive de cette culture de l’indien-pongo [1], l’affranchi sans salaire, dans les rivières profondes (1958).

Selon le bolivien Alcides Arguedas, les soldats prenaient les Indiens par les cheveux et à coup de sabre ils les amenaient pour nettoyer les casernes ou leur volaient leurs brebis pour nourrir un régiment de l’armée de passage. Pour qu’il soit bien clair que l’oppression se sert de toutes les institutions possibles, dans le même livre, nous lisons la citation d’un document de l’époque qui raconte, en se référant à un de ces condamnés par l’histoire, que "le bœuf et son fils de sept ans sont saisis par le prêtre comme acompte pour des droits de l’enterrement de sa femme". Et par la suite : "Exaspérée la race indigène, abaissée, usée physiquement et moralement, inhabile pour tenter une revendication violente de ses droits, s’eut livrée à l’alcoolisme de manière alarmante...] L’Indien on ne le voit jamais rire sauf quand il est ivre [...] son âme est un puits de rancunes accumulées depuis très longtemps, depuis que , enfermée contre sa volonté dans le fond des mines, la fine fleur de sa race s’est rapidement épuisée, sans susciter la clémence de personne [...] De nos jours, l’ignorant, dégradé, misérable, fait l’objet de l’exploitation et de l’antipathie générale". Jusqu’à ce qu’un jour explose "en entendant son âme remplie de haine, défoule ses passions et vole, tue, assassine avec une sauvagerie indigne". Et comme la violence ne peut rester impunie, "vont les soldats bien munitionnés ; fusillent autant qu’ils peuvent ; volent, violent, sèment la frayeur et effrayent partout où ils passent". Dans cette culture de l’oppression, la femme ne peut pas être meilleure : "rude et maladroite, elle se sent aimée que lorsqu’elle reçoit des coups du mâle ; dans le cas contraire, pour elle un homme n’a pas de valeur."

Un an plus tard, dans divers articles parus dans des journaux de La Paz et réunis dans le livre Creación de la pedagogía nacional(Création de la pédagogie nationale), Franz Tamayo répond à quelques conclusions d’Arguedas et en confirme d’autres : "le travail, la justice, la gloire, tout est mensonge, tout n’ est que mensonge en Bolivie ; tous mentent, sauf celui qui ne parle pas, celui qui agit et se tait : l’Indien". Ensuite : "même les blancs d’une certaine catégorie ont proféré des malédictions divines, et les prêtres des peuples et villages ont répandu parmi leurs ignorants fidèles Indiens, les colères de Dieu contre une race déchue et leur désir de la faire disparaître pour être inobéissante, peu soumise et peu obséquieuse" (1910). Il va sans dire qu’au lieu de la Bolivie nous pourrions écrire tout autre nom de pays latinoaméricain et nous ne violenterions pas la vérité de la phrase.

Le maître est perçu comme un être pur et gentil quand il accorde un bénéfice inhabituel à l’esclave, comme s’il possédait un pouvoir divin pour administrer le droit étranger. Peut-être pourrions-nous accepter une certaine bonté de l’oppresseur si nous considérions un contexte particulier. Le point est que nous n’exigeons pas des anciens féodaux qu’ils pensent comme nous ; nous nous imposons à nous-mêmes de ne pas penser comme les anciens féodaux, comme s’il n’existait pas une expérience historique au milieu.

D’un point de vue humaniste, la violence de l’esclave est toujours engendrée par la violence du maître et non l’inverse. Mais quand nous imposons l’idée que la violence de l’esclave engendre davantage de violence, nous mettons sur le même plan ce qui n’est pas égal pour maintenir un ordre qui, de fait et dans leur discours, nie l’égalité humaine même.

Pour cette raison, ainsi que vers le milieu du XXème siècle les réactionnaires de tout type associaient, par stratégie, l’intégration ethnique au communisme pour revendiquer l’apartheid comme système social, de la même façon aujourd’hui ils associent les principes humanistes à une certaine gauche politique. Les conservateurs ne peuvent pas comprendre qu’une partie de leur -tant rabâchée- responsabilité personnelle, c’est de penser de manière globale et collective. D’une autre manière, la responsabilité personnelle n’est qu’égoïsme, c’est-à-dire, irresponsabilité morale.

Si récemment en 1972 René Dubos a marqué par la phrase célèbre, "il Pense globalement, il agit localement", la pensée réactionnaire a toujours utilisée une formule morale inverse : "Il pense localement, il agit globalement". Autrement dit, il pense comme un provincial les intérêts de ton village, de ta classe, et agit comme un impérialiste qui va sauver la civilisation comme s’il était le bras armé de Dieu.

Si les maîtres insistent tant sur les avantages de la concurrence, pourquoi exigent-ils tant de coopération des esclaves ? Parce qu’on a besoin plus que de toutes les armes du monde pour soumettre un peuple entier : C’est la démoralisation de l’opprimé, l’idéologie du maître, la peur de l’esclave et la collaboration de l’autre moitié peuple qui fonctionne de point d’appui du levier de l’oppression. Autrement, on ne pourrait pas comprendre comment quelques milliers d’Espagnols aventureux ont conquis, ont dominé millions d’incas et d’Aztèques et ont détruit des siècles de cultures sophistiquées.

A de nombreux moments de l’histoire, depuis ce qu’on a appelé l’indépendance des pays américains jusqu’à la libération des esclaves, fréquemment la seule sortie fut l’utilisation de la violence. Il reste à examiner si cette ressource est toujours opportune ou, parfois, ne fait qu’aggraver le problème initial.

Je soupçonne qu’il existe dans l’histoire un coefficient de progression critique qui dépend des possibilités matérielles -techniques et économiques- du moment et de la maturité mentale, morale et culturelle des peuples. Un état idéal de l’humanisme, comme il fut développé depuis le XVème siècle, devrait être un état social parfaitement anarchique. Cependant, prétendre éliminer la force et la violence même de l’État sans avoir atteint le développement technique et moral suffisant, ne nous ferait pas avancer vers cette utopie mais au contraire ; nous reculerions de quelques siècles. Tant une avance révolutionnaire qui prétend dépasser ce paramètre de progression critique qu’une réaction conservatrice, nous conduisent à la frustration historique de l’humanité dans son ensemble. Je crains qu’il y ait des exemples récents en Amérique latine où, même, l’oppresseur organisait la violence de l’opprimé pour légitimer et conserver ses privilèges d’oppresseur. Cette amélioration des techniques de domination a une raison d’être. A un point de l’histoire où la population compte, non seulement dans les systèmes de démocratie représentative mais, même, dans quelques dictatures, la construction de l’opinion publique est une pièce clef, la plus importante, dans la stratégie des élites dominantes. Ce n’est pas par hasard, la mal nommée universalisation du vote au XIXème siècle fut une façon de maintenir le statu quo : avec une faible instruction, la population était facile à manipuler, particulièrement facile quand elle croyait que les caudillos étaient choisis pour eux et non pour un discours préalablement construit par l’oligarchie, discours qui incluait des mots lourds d’idéologie comme patrie, honneur, ordre et liberté.

Traduit de l’espagnol pour El Correo de : Estelle et Carlos Debiasi.

El Correo. Paris, le 2 mars 2007.

Notes:

Notas

[1Indien-pongo : Indigène qui travaille gratuitement les « haciendas ». Celles-ci apparaissent comme unité de production au XVIIIè siècle et se perfectionnent pendant le siècle suivant, en donnant lieu à un système appelé "système de haciendas", fonctionnant à la fois comme mécanisme de production et de domination sociale. En ce sens, on considère le système des haciendas comme la matrice de la société et de l’État en Amérique latine. Les haciendas ont formé une base pour la constitution des États Oligarchiques et ont formé un type particulier de comportement des secteurs dominants : la manière d’être oligarchique. Aussi le système des haciendas génère un ensemble de pratiques sociales dont les traits caractéristiques sont la soumission et l’obéissance.

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