recherche

Accueil > Argentine > Économie > Débat sur l’enseignement de l’Économie dans les Universités Publiques argentines

15 septembre 2011

Le règne du libre marché

Débat sur l’enseignement de l’Économie dans les Universités Publiques argentines

 

Toutes les versions de cet article : [Español] [français]

Les cursus d’économie des universités nationales de Buenos Aires et de La Plata débattent de leurs plans d’étude. Les autorités cherchent à renforcer un paradigme qui renie l’économie politique et dissimule sa condition de science sociale.

Des failles dans la formation

Karina L. Angeletti et Pablo Lavarello

La reformulation du Plan d’études du cursus de Maîtrise d’Économie la Faculté de Sciences Économiques de l’Université Nationale de La Plata proposée par les responsables du Département d’Économie laisse encore une fois relégué le débat sur ce que devait être la formation des économistes dans un pays comme le nôtre. A cours des trente dernières années cette faculté a été détournée sournoisement vers une formation selon laquelle on cherche à expliquer comment il est possible d’atteindre le bien-être maximum de la société à partir d’une conception utopique du marché. Toute déviation qui existe entre cette conception utopique et le fonctionnement réel des marchés est considérée comme une « distorsion » qui doit se corriger grâce à l’ouverture, la dérégulation et la libéralisation de l’économie. Seulement dans des cas ponctuels où existent « des failles de marché » (exemple : la présence de biens publiques) se justifierait un autre type de politique.

La proposition de la réforme que les responsables de la faculté consolident cette vision, transformant en options les rares matières encore existantes qui permettraient d’expliquer les problèmes économiques sous d’autres angles. Ainsi, la Sociologie est éliminée comme matière, l’histoire économique est réduite à un seul cours obligatoire et l’on envoie suivre des cours à la faculté de sciences humaines ceux des étudiants qui considèrent nécessaire d’approfondir le thème. En même temps que ces contenus sont réduits, on cherche à interpréter les conflits en renforçant la formation dans la Théorie des jeux . Bien que se maintient une forte formation dans des outils économétriques et mathématiques, les failles dans une formation théorique critique gaspillent son potentiel à poser des questions et remettre en question une hypothèse. La formation du diplômé perd en densité théorique et devient anhistorique et asociale, en approfondissant les failles que le plan en vigueur possède.

La prééminence de cette vision que nous appelons Théorie économique Standard (TEE) [Orthodoxie conservatrice] mène à une sorte de schizophrénie dans la formation de l’économiste. Cette vision non seulement empêche d’interpréter les crises internationales mais se trouve souvent à son origine. Il ne permet pas non plus d’expliquer comment un pays comme l’Argentine qui ne suit pas ses recommandations a réussi à minimiser les effets de la crise internationale en 2009 et à maintenir neuf année de croissance commencée en 2003. Il réussit beaucoup moins à identifier les possibles limites structurelles, comme la diversification limitée et l’hétérogénéité persistante de la structure productive, qui peuvent porter atteinte à la longévité du sentier précité. Les problèmes structuraux qui réapparaissent dans le débat économique et qui constituent le symptôme d’une nouvelle réalité à laquelle une université doit répondre avec sa propre tête.

Nous croyons qu’il est nécessaire d’avancer vers une vraie reformulation des Plans d’Étude en introduisant une orientation que nous appelons Théorie Structurale du Développement  [1] (TED), qui cherche à aller au-delà d’un ensemble délimité de contenus hétérodoxes, permettant aussi l’incorporation dans le corps professoral de professeurs avec des formations différentes à celle dominante. Pour cela nous proposons un tronc commun de trois ans et deux orientations pour les deux dernières années, l’une dans TEE et l’autre dans TED, chacune avec une cohérence propre. Les deux orientations partageraient plusieurs matières, facilitant ainsi le débat entre les deux.

C’est intéressant de souligner que dans notre région existaient déjà dès les années 50 un ensemble cohérent d’apports qui ont cherché à expliquer les problèmes structuraux que tout processus de développement pose dans un pays périphérique. C’est le cas des travaux des pionniers du développement comme Prebisch [2], Furtado, Hirschmann, Pinto, entre autres. Dans cette orientation, les apports des postkeynésiens, régulationistes, institutionnalistes et évolutionnistes, entre autres, qui permettent d’introduire les dynamiques de changement structurel, d’accumulation du capital et les comportements en déséquilibre dans les fondements mêmes de la formation de l’économiste.

Nous comprenons qu’il est indispensable d’avancer dans cette direction pour renouer avec une formation de l’économiste, quel que soit son environnement de travail, qui lui permette de participer au développement de nos pays et de nos peuples, en s’éloignant pour toujours de l’application irréfléchie de recommandations de politiques qui ignorent les spécificités historiques et structurelles de la région.

Karina L. Angeletti et Pablo Lavarello ont les Chaires Nationales et Populaires, FCE-UNLP.

***

Le faux pluralisme

Martín Kalos et Martín Gonilski

La crise mondiale déclenchée en 2008 et ses manifestations actuelles ont non seulement rappelé au monde que le système capitaliste n’est pas une forme de production sociale harmonieuse. Ils ont aussi mis sur la table les énormes failles et le retard de la théorie économique contemporaine qui a pour expression dominante la doctrine néoclassique pour expliquer un phénomène si propre à l’actuel capitalisme que sont les crises.

Dans ce contexte apparaît la nécessité de réviser les écoles économiques qui étudient les mêmes problèmes qui traversent les économies du monde aujourd’hui. Avec cette motivation, des étudiants et des enseignants de Maîtrise en Économie de l’UBA ont proposé ces dernières années des changements concrets dans la structure du plan d’études des cours, qui intègrent les théories éminentes des qui aujourd’hui sont laissées de coté par le courant néoclassiques sous l’argument fallacieux qu’elle « appartiennent au passé »

Pendant ce temps, les responsables de la faculté de Sciences Économiques (FCE-UBA) ont ouvert un processus de révision partielle des matières du cursus, bien qu’ils essaient de le restreindre à des modifications mineures qui n’affectent pas sa structure néoclassique actuelle. Depuis cette posture, on allègue que le Plan en vigueur est pluraliste parce qu’existent des cours avec des professeurs critiques de la théorie dominante. Cependant, avec un cursus structuré autour d’un tronc central de matières néoclassiques, tout enseignant qui veut introduire des écoles alternatives a très peu de marge pour le faire de manière intégrale et effective. Ainsi, un étudiant en économie peut arriver à la fin de son cursus sans avoir lu, par exemple, Adam Smith, Karl Marx, Joseph Schumpeter ou John Keynes.

L’actuel Plan d’études a été institué en 1997 et a ignoré un vaste mouvement étudiant qui réclamait un débat sérieux et s’opposait à des coupes dans les contenus et méthodes. Dans un contexte général de réduction de la dépense publique, la réforme a impliqué une réduction de la charge horaire du cursus, moins de matières « sociales » et plus de mathématiques, en renforçant une structure d’orientation nettement néoclassique. L’actuelle proposition de « retoucher » seulement ce plan implique d’ignorer que l’on n’a convenablement jamais débattu de ses contenus et formes a sein même de FCE-UBA. Aujourd’hui n’existent pas des mécanismes institutionnels pour le dialogue dans le Cursus d’Économie qui permettent une analyse des réformes précitées tandis que dans d’autres facultés existent des Commissions par cursus qui permettent la participation des trois parties prenantes dans la prise de décision. Cette situation empêche que les dirigeants écoutent les enseignants et les étudiants, qui ces dernières années ont formulé de nombreuses critiques et propositions globales alternatives, depuis des espaces comme l’École d’Économie Politique (EsEP-UBA), les Journées d’Économie Critique (JEC) et le Syndicat Enseignant (AGD).

En même temps, on tend à penser l’Université comme un élément délimité de la société. Cependant, l’Université est un espace vital dans lequel doit être générée la pensée critique qui elle même permet à la société de se repenser continuellement, pour se transformer. La société argentine dans son ensemble devrait être l’acteur fondamental au moment de décider de quel type d’économistes elle a besoin et désire que les universités publiques forment. Il faut donc que le débat soit aussi ouvert à la communauté ; cela inclut des entreprises, bien sûr, mais de plus (et crucialement) divers organismes de l’État, ONG, syndicats de travailleurs et mouvements sociaux. Le Plan d’études, les lignes de recherche et les formes pédagogiques dans l’Université ne peuvent être liées à aucun intérêt en particulier, mais à celui de la société en général.

La FCE-UBA ne peut pas s’offrir le luxe de décider que seule une certaine idéologie doit être apprise à ses futurs lauréats en maitrise d’Économie. Il est nécessaire que les diplômés possèdent un vaste bagage pluriel des outils et des théories qui leur permet, d’un côté, d’affronter avec succès les problèmes auxquels ils sont confrontés dans n’importe quel environnement de leur vie professionnelle et, de l’autre, d’avancer dans le développement de nouvelles connaissances scientifiques pouvant apporter la réponse aux problèmes du monde actuel. Seule une formation plurielle, vaste et de qualité peut leur offrir les outils pour analyser, comprendre et transformer la réalité.

 Martín Kalos est enseignant FCE-UBA, membre de l’EsEP-UBA.
 Martín Gonilski est chercheur IIE-FCE-UBA.

debate@pagina12.com.ar
Página 12. Buenos Aires, le 12 septembre 2011

Traduit de l’espagnol pour El Correo par : Estelle et Carlos Debiasi

Contrat Creative Commons
Cette création par http://www.elcorreo.eu.org est mise à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Paternité - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 3.0 Unported.

El Correo. Paris, le 15 septembre 2011.

Notes

[2Raúl Prebisch (19011986), économiste argentin connu pour sa contribution à l’économie structuraliste, en particulier la Thèse de Singer-Prebisch sur la dégradation des termes de l’échange qui forme la base de la théorie de la dépendance.

Retour en haut de la page

El Correo

|

Patte blanche

|

Plan du site