Portada del sitio > Los Primos > Brasil > Après un an de pouvoir, Lula tient fermement la barre.
Le gouvernement bénéficie aujourd’hui d’une majorité accrue au Congrès grâce aux alliances stratégiques qu’il vient de conclure avec le deuxième parti du pays, de centre droit. En ratissant aussi large, ne va-t-il pas perdre sa base ?
Par Luiz Alberto Weber
Carta Capital. São Paulo, 12 février 2004
L’un des faits marquants de la première année du mandat de Luiz Inácio Lula da Silva a été la neutralisation de l’opposition et le renforcement de sa base parlementaire, notamment à la Chambre des députés. Au cours de la campagne électorale et juste après l’élection du candidat du Parti des travailleurs (PT), la plupart des analystes estimaient que la difficulté majeure à laquelle serait confronté le nouveau président serait l’absence de majorité au Congrès. Plus d’un an après, les mêmes analystes se montrent au contraire inquiets face aux pouvoirs conquis par le gouvernement depuis qu’il a officialisé son alliance avec le Parti du mouvement démocratique brésilien [PMDB, centre droit].
A son arrivée au pouvoir, en janvier 2003, le gouvernement pouvait compter sur le soutien de 311 députés, chiffre qui permettait à peine de faire adopter des réformes constitutionnelles (un amendement constitutionnel nécessite le soutien des trois cinquièmes des députés, soit 308 voix). Depuis, grâce à l’adhésion du PMDB, deuxième grand parti représenté à la Chambre, le gouvernement peut s’appuyer sur 11 des 15 partis en présence. Une fois prises en compte les migrations de députés d’un groupe vers l’autre, cette alliance compte aujourd’hui 376 députés, soit 73 % des sièges. Et il semble que cela ne soit pas encore suffisant.
Selon des parlementaires du PT, le gouvernement, qui cherche à attirer 80 % des parlementaires vers sa nouvelle base, ne craint pas de solliciter des partis et des parlementaires dont les idées semblaient au départ incompatibles avec l’idéal du PT.
"Personne ne peut refuser de soutenir un gouvernement qui s’impose au plan économique, qui entreprend une rénovation du secteur social et qui est par-dessus tout populaire", affirme Nelson Pellegrino, député PT, leader du parti durant cette période de croissance.
Il est toutefois impossible de nier qu’ "en dehors de la convergence d’intérêts non matériels" d’autres facteurs ont pesé à l’heure des alliances. Le PMDB n’a accepté de rejoindre la majorité qu’après la nomination du député Eunício Oliveira au poste de ministre des Communications et du sénateur Amir Lando à la Prévoyance sociale.
Les négociations se situent aujourd’hui à une échelle intermédiaire. Ces remplissages, combinés à la mollesse de l’opposition, sont monnaie courante dans le système présidentiel à la brésilienne. Fernando Henrique Cardoso a gouverné pendant huit ans avec le soutien d’une majorité aussi mobile que celle qui s’aligne aujourd’hui sur Lula. La situation n’est pourtant pas identique. Le Parti des travailleurs possède une base véritablement populaire. C’est un parti structuré, ayant toujours été dans l’opposition, composé en grande majorité de parlementaires disciplinés, et qui est parvenu, malgré son peu de poids au Congrès, à durer et à faire peser son droit de critique.
"Qu’ils apprennent à représenter l’opposition. Nous, au PT, nous n’avions pas plus de monde en session plénière qu’ils n’en ont aujourd’hui. Mais nous faisions beaucoup de bruit", se souvient Pellegrino. Il y a pire encore pour l’opposition : sous la houlette du ministre des Finances, Antônio Palocci, le gouvernement s’est approprié l’agenda économique de l’ère Cardoso et se montre encore plus conservateur sur certains points. "Des thèses qui faisaient partie du programme du PFL [front libéral] et du PSDB [sociaux-démocrates] ont été réutilisées par le gouvernement pétiste, ce qui leur ôte tout espace politique", reconnaît Pellegrino.
Il y a cependant des députés du PT, notamment ceux qui désapprouvent la politique économique, qui craignent un élargissement des alliances du gouvernement. La recherche d’une base diversifiée peut en effet conduire Lula à renier ses engagements et les aspirations au changement que le PT a toujours incarnées.
Compte tenu du pouvoir considérable que le gouvernement a engrangé, les mouvements sociaux, historiquement liés au PT, risquent en outre de ne pas pouvoir jouer leur rôle critique face à une administration qu’ils considèrent comme la leur. Sous les gouvernements précédents, les ONG, syndicats et organisations paysannes ont soutenu l’opposition conduite par les parlementaires du PT et empêché l’étouffement de visions alternatives concernant la direction du pays.
Voici un exemple récent de cette situation. La direction de la Centrale unique des travailleurs (CUT) a approuvé l’année dernière une résolution s’opposant au renouvellement de l’accord avec le Fonds monétaire international (FMI). Indépendamment du fait qu’on puisse juger cette décision obsolète ou inutile, il est visible que la CUT a évité d’organiser tout le tintamarre habituel, comme à l’époque de Cardoso, lorsqu’il fallait soutenir des campagnes d’opposition au FMI.
Le Mouvement des sans-terre (MST) se trouve lui aussi en plein dilemme. Ses leaders estiment que Lula est leur meilleur atout pour mettre en place une réforme agraire au Brésil. Ils ont donc décidé de soutenir le plan de légalisation des occupations de terres en faveur de 400 000 familles d’ici à 2006, malgré les incertitudes concernant l’enveloppe allouée à ce programme, dont l’annonce fut faite en fin d’année par Miguel Rossetto, le ministre du Développement agraire. La question est de savoir si le mouvement aura les moyens politiques de se radicaliser contre ses compagnons historiques.
Au Brésil, cependant, les unions à large spectre idéologique, ou les partis susceptibles de devenir uniques, n’ont jamais fait long feu. Sous-produit du PMDB, les tucanos [membres du Parti social-démocrate de l’ex-président Fernando Henrique Cardoso] ont conquis le pouvoir dans les années 90, se sont alliés avec la droite et ont mis en place une base parlementaire aussi large que celle de Lula aujourd’hui. Elle devait tenir vingt ans... Cela n’a pas été le cas.
En recherchant l’appui d’une majorité trop étendue, négligeant les différences idéologiques ou même individuelles, le PT court le risque de réitérer l’expérience des tucanos , qui, victimes de leur innocence ou de leur arrogance, ont été chassés par les urnes de Brasília en 2002. Nombreux étaient ceux du PSDB qui espéraient rester vingt ans au pouvoir et bouleverser les vieilles oligarchies brésiliennes. A la fin, ce sont elles qui les ont transformés. Ils ne se sont pas reconnus dans le miroir.
Traduction et source: Courrier International, 15/02/2004.