Accueil > Notre Amérique > Amérique latine : quand la justice se hâte lentement
Les anciennes dictatures commencent à regarder en face leur douloureux passé, marqué par les violations des droits de l’homme. Chaque pays à son rythme.
Politis, août 2005
Ces derniers mois, l’Amérique latine semble vouloir lever la chape de plomb qui pesait jusqu’ici sur les violations des droits de l’homme commises sous les dictatures. Soit par le biais de la justice, soit par celui de la politique. « Et cette évolution évidente, on la doit au fait que les gouvernements ne ressentent plus la même peur d’affronter le problème qu’avant », constate Sebastian Brett, spécialiste de l’Amérique latine pour l’association Human Rights Watch. Si le Chili et l’Argentine ont déjà beaucoup avancé, le Brésil et l’Uruguay notamment n’en sont encore qu’aux premiers pas.
Dans la plupart des pays latinos en transition démocratique, les militaires ont en effet réussi à éviter la justice et à étouffer une mémoire faite de morts, de disparus et de tortures. « En Amérique du Sud, rappelle l’avocat chilien Hector Salazar, qui défend de nombreuses affaires de droits de l’homme à travers l’association Fasic [1], le passage de la dictature militaire à la transition démocratique a généralement signifié deux héritages majeurs à gérer : les profonds changements économiques destinés à libéraliser le marché intérieur et la dette des militaires en matière de violations des droits de l’homme. »
Or, si le premier héritage n’est jamais remis en cause, le second a généré de conflictuelles négociations entre les militaires sortants et les civils entrants, souvent porteurs d’espoirs de vérité et de justice. « Et les négociations, constate Hector Salazar, ont toutes été très favorables aux militaires. Elles ont abouti à des garanties d’impunité importants. »
Le Chili est ainsi le pays le plus avancé d’Amérique latine en matière de poursuites judiciaires des responsables et de réparation aux victimes de violations des droits de l’homme. Et ce, notamment, grâce au récent rapport Valech, qui a sûrement eu pour plus belle victoire la reconnaissance par Emilio Cheyre, successeur indirect de Pinochet au poste de commandant en chef de l’armée de terre, de la responsabilité institutionnelle de son corps d’armée dans les crimes et tortures commis sous la dictature (1973-1990).
Pourtant, aucun gouvernement de la transition démocratique n’a abrogé la loi d’amnistie mise en place par la junte militaire en 1978, amnistiant l’ensemble des crimes commis entre 1973 et 1978. Ce qui n’a pas empêché la justice d’avancer, grâce à la pugnacité des familles de disparus. La première prison militaire, qui compte une cinquantaine de places, serait ainsi bientôt pleine. Et récemment, le 18 novembre, la Cour suprême, la plus haute instance judiciaire du pays, a refusé d’appliquer la loi d’amnistie, et condamné à la prison des hommes anciennement à la tête de la Dina, la police secrète de Pinochet sous la dictature. Un arrêt de la Cour qui ouvre la voie à de nombreuses autres condamnations, car il juge les conventions de Genève supérieures à la loi d’amnistie.
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(2) Selon le rapport « Jamais plus », version argentine du rapport chilien Rettig (voir encadré), 9 000 détenus auraient disparu sous la dictature. Les associations des droits de l’homme parlent de plus de 30 000 personnes.
(3) Il y aurait eu au total environ 400 opposants tués par la police militaire brésilienne et de nombreux torturés.
Notes :
[1] Cette association d’aide sociale de l’Église chrétienne a été fondée dans les premières années de la dictature au Chili (1973-1990) pour lutter pour les droits de l’homme.