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2 octobre 2003

A Cancun, le Brésil est devenu un acteur global

 

A Cancun, le brésil est devenu un acteur global. Après avoir commencé à exercer un leadership régional en Amérique latine, Brasilia accroît ses atouts pour obtenir un siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU.

Par Paulo A. Paranagua
Le Monde, 29 septembre 2003. 13h40

La conférence ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), réunie au début du mois à Cancun, est perçue de manière diamétralement opposée : échec ou victoire, selon les points de vue. Les partisans du multilatéralisme ont de bonnes raisons de craindre l’occasion ratée à Cancun, tout comme les ONG et les altermondialistes ont de solides arguments pour se réjouir de l’insuccès.

Pour les uns et les autres, l’événement inattendu aura été l’apparition du groupe des 22 (G22), introduisant un troisième interlocuteur dans le dialogue de sourds entre les grandes puissances et les ONG, au sein même de l’OMC. Pour la première fois, les pays du Sud ont fait face et se sont présentés en bloc, au lieu de subir. Or le G22 est une initiative de la diplomatie brésilienne et une réussite du ministre des relations extérieures, Celso Amorim, qui en a assuré la coordination. Alors que l’alliance entre l’Afrique du Sud, le Brésil, l’Inde et la Chine pouvait évoquer du déjà-vu - le tiers-mondisme, le non-alignement -, M. Amorim a insisté sur les bases "pragmatiques", non idéologiques, du G22.

Le commissaire européen Pascal Lamy partage avec son homologue américain Robert Zoellick la sous-estimation de l’opposition rencontrée. L’optique purement commerciale ou économique les a sans doute amenés à miser sur les contradictions d’intérêts, si ce n’est l’éclatement du G22, alors même qu’il s’élargissait. Ils ont perçu le G22 comme un avatar du groupe de Cairns, réunissant de grands exportateurs agricoles comme l’Australie, le Canada et le Brésil. L’ébauche d’un monde multipolaire déjoue à la fois les projets des unilatéralistes et les pronostics des tenants d’une scène bipolaire transatlantique.

La résistance opposée par le G22 au rouleau compresseur des Etats-Unis et de l’Europe, liés par une même volonté de verrouiller le dossier chaud de l’agriculture, n’est pas une performance subite, mais le résultat d’une démarche patiente. Le galop d’essai a été le G3 formé par le Brésil, l’Afrique du Sud et l’Inde pour l’accès aux médicaments du sida, qui a obtenu gain de cause contre les multinationales pharmaceutiques. Réussir ensuite à mettre côte à côte l’Inde, la Chine et le Pakistan est un pas non dénué de signification politique. Les premiers ralliements africains, le Nigeria et l’Egypte, étaient aussi fort représentatifs.

Ressources diplomatiques

La configuration du G22 a été complétée par l’adhésion d’une douzaine de pays d’Amérique latine, entraînés par Brasilia, avec un œil sur la prochaine manche, la négociation d’un Accord de libre commerce des Amériques (ALCA). Jusqu’alors, il y avait des raisons de douter de la fermeté du bloc latino-américain face à Washington, à partir du socle du Mercosur, l’union douanière sud-américaine, dont la consolidation n’est pas acquise. Les Etats-Unis signent des accords bilatéraux (Chili) et abordent l’intégration hémisphérique avec l’intention de diviser, grâce à des propositions différentes selon les cas, les plus défavorables étant réservées au Mercosur.

Cancun a apporté la démonstration des ressources diplomatiques du Brésil. Une chose est de se détacher du lot à Asuncion, à Cuzco ou à Carthagène, lors d’un sommet régional. Une autre bien différente est de tenir tête à la conjonction des deux poids lourds de l’OMC, les Etats-Unis et l’Europe.

Le président brésilien, Luiz Inacio Lula da Silva, a séduit ses interlocuteurs, de Davos à Evian (le Forum économique mondial et le sommet du G8), de Londres à Washington ou New York, sans renier l’étape initiale à Porto Alegre (le Forum social mondial). Cependant, l’"effet Lula" n’explique pas tout. Le Palais d’Itamaraty, siège de la diplomatie brésilienne, incarne une tradition qui a traversé les phases de dictature militaire sans trop de dégâts : le père de Sergio Vieira de Melo, le représentant de l’ONU tué à Bagdad, a été l’un des rares cas de mise à la retraite anticipée pendant les années de plomb.

En revanche, le Palais San Martin à Buenos Aires démontre l’inconstance produite par les coups d’Etat et les alternances partisanes. Le voyage de Nestor Kirchner, le président argentin, en Europe illustre les impasses de la diplomatie argentine. Le nouveau président a agi comme s’il était en campagne électorale en Patagonie. Les pesanteurs du péronisme l’ont conduit à parler des Malouines devant Tony Blair, à éviter la presse européenne et le Medef à Paris, puis à se mettre à dos les investisseurs de Madrid, alors que le plébéien Lula venait de séduire la cour d’Espagne.

Le Palais de Tlatelolco, à Mexico, dispose d’une respectable continuité, exprimée au Conseil de sécurité de l’ONU - contre la guerre en Irak, malgré les liens créés par le traité de libre commerce de l’Amérique du Nord (Canada, Etats-Unis, Mexique). La diplomatie mexicaine souffre toutefois d’une certaine paralysie.

Le Parti révolutionnaire institutionnel, l’ancienne formation hégémonique désormais dans l’opposition, a préféré bloquer les réformes et miser sur un retour rapide au pouvoir. Le prestige du président Vicente Fox s’en est trouvé diminué. Son premier chef de la diplomatie, Jorge Castaneda, s’est attelé à un dossier considérable, l’immigration illégale aux Etats-Unis, enseveli sous les ruines des attentats du 11 septembre 2001. Son successeur, Luis Ernesto Derbez, hôte de l’OMC à Cancun, a été accusé de ne pas tenir compte des propositions des pays du Sud et de suspendre prématurément la conférence.

Brasilia a-t-elle les moyens de son ambition ?

L’Institut Rio Branco fournit à la diplomatie brésilienne des fonctionnaires de haut niveau très sollicités par les autres administrations, et pour un nombre croissant de missions internationales. Pourtant le Brésil dispose d’à peine 1 100 diplomates, alors que le Mexique en aligne 2 900 (à titre de comparaison, le Quai d’Orsay compte 6 000 diplomates depuis la fusion des ministères des affaires étrangères et de la coopération). Le Palais Itamaraty a augmenté les effectifs en poste en Amérique du Sud, sa priorité, tout en restructurant le ministère pour maîtriser les négociations sur l’ALCA.

Le Brésil revient au Conseil de sécurité en 2004, comme membre non permanent, en attendant une réforme de l’ONU. Les prochains voyages du président Lula en Afrique, en novembre, et dans les pays arabes, en décembre, prennent, après Cancun, une nouvelle dimension. Le Brésil ne sera un acteur majeur qu’à condition d’assurer sa légitimité régionale. En Amérique latine, les défis sont connus : sécurité et droits de l’homme, consolidation de la démocratie et intégration régionale, croissance et réduction des inégalités, et ils sont parfaitement imbriqués.

• ARTICLE PARU DANS L’EDITION DU 30.09.03


Marie-Christine LACOSTE,
CNRS, Information Scientifique
Coordinadora de "RUMBOS"

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