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29 juin 2020

Politique et police : le désaccord indispensable

par Nora Merlín

 

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Le racisme et la haine sont des stratégies indispensables du dispositif néolibéral, qui est un dispositif de gestion de la vie et de la mort. Un système oligarchique dans lequel quelques-uns pénètrent et isolent « ceux en trop » : des vies indignes d’être vécues, comme cela se disait des juifs pendant le nazisme, aujourd’hui ce sont les vulnérables, les pauvres, les immigrés, les personnes âgées, les indigènes et les noirs.

Le 25 mai dernier, au Minnesota, aux États-Unis, George Floyd a été arrêté pour avoir acheté de la nourriture avec un faux billet de 20 dollars. L’Afro-américain est mort par l’asyphixie, causée par l’agent Derek Chauvin qui, après l’avoir menotté et tourné vers le sol, l’a pressé contre le trottoir avec son genou posé sur son cou pendant 8 minutes et 46 secondes, tandis que George Floyd a crié désespérément : « Je ne peux pas respirer ».

L’incident a provoqué une vague d’indignation et de protestations contre le racisme, la xénophobie et les abus de la police aux États-Unis, et se propageant dans d’autres villes du monde. Pourquoi le meurtre de George Floyd a-t-il remué et mobilisé le monde de cette façon, si pendant toutes ces années de progrès néolibéral le racisme, la haine et l’injustice ont formé un ordre qui est devenu naturel ?

La pandémie a permis de rendre visible, comme jamais cela ne s’était produit si clairement auparavant, que le néolibéralisme est un instrument d’administration de la vie et de la mort , un système oligarchique dans lequel quelques-uns pénètrent et isolent « ceux en trop » : des vies indignes à vivre, comme on disait des Juifs pendant le nazisme, ce sont aujourd’hui les secteurs vulnérables, pauvres, immigrés, âgés, autochtones et noirs.

Le racisme et la haine sont des stratégies indispensables du dispositif néolibéral. La crise sanitaire, économique et alimentaire qu’ a déclenché la pandémie, a révélé que le néolibéralisme est un système antidémocratique, qui n’a fait qu’augmenter les inégalités. Le coronavirus a anéanti des modes de vie et des croyances prétendument normaux et établis devenus naturels, y compris le racisme. Au milieu de l’épidémie, nous voyons apparaître une clameur mondiale qui crie Non à la discrimination.

Le meurtre violent de George Floyd et les manifestations mondiales qu’il a déclenchées résument deux façons opposées de répondre au racisme et aux inégalités, deux réponses qui montrent le scénario et les stratégies qui seront jouées « après le coronavirus » ; Le différend entre les deux a déjà commencé.

D’une part, un néo-fascisme croissant se propage avec toute la furie de la violence institutionnelle, à la manière de Trump ou de Bolsonaro. En opposition, un avant-poste démocratique, humanitaire et féministe mondial qui rejette les pratiques racistes, exige l’égalité et la justice sociale. Ce sont deux stratégies antinomiques qui, après le coronavirus, vont s’intensifier en prenant la forme d’un conflit d’hégémonie ; exprimée dans les termes de Jacques Rancière, il s’agit de la lutte entre la police et la politique.

Le philosophe français demande : qu’est-ce que la politique ? Il répond que c’est un lieu d’intersection où se rencontrent deux processus hétérogènes, deux logiques opposées : l’une qu’il appelle « la police » et l’autre émancipatrice, qu’il identifie comme « la politique ». La police se réfère au maintien de l’ordre, s’occupe des lieux attribués par l’organisation sociale qui se banalisent. Au contraire, la politique présuppose l’égalité comme principe, remet en cause l’ordre établi par la police et exige une nouvelle répartition des rôles de la communauté. La politique naît lorsque l’ordre de domination, qui nie l’égalité, est interrompu de la part de ceux qui n’en ont pas. Ce sont des pratiques visant à vérifier l’égalité, menées par n’importe qui. La politique est la seule activité qui puisse annuler l’ordre de la police ; Pour cela, ce que Rancière appelle le « désaccord » doit apparaître.

La politique suppose l’irruption du « désaccord », qui n’est pas entre qui dit blanc et qui dit noir, mais entre deux manières différentes de comprendre le sens de la noirceur. Dans le cas de George Floyd, le désaccord implique deux façons de traiter les inégalités : par le racisme et la violence policière, qui tend à garder l’ordre établi, et ce qui émerge comme une demande contre le racisme et la lutte pour l’égalité, la politique, qui rend visible la partie qui ne comptait pas.

Alors que la police implique la tentative de réduire au silence, de réprimer ou de tuer les inégalités au sein de la communauté dans son ensemble, l’irruption de la politique, une distorsion non domesticable, rend possible l’interruption de l’ordre.

Le désaccord constitue une situation dans laquelle le sens est en conflit et, à partir d’un acte litigieux, se produit une rupture susceptible de conduire à une nouvelle représentation de l’espace, où les roles sont redéfinies et distribuées. En d’autres termes, l’enjeu est l’hégémonie : la distribution, l’inclusion et le sens dans l’espace commun.

Du résultat de cet affrontement, qui se présente comme l’avancée du néofascisme en opposition à l’ensemble des actions collectives qui vérifient l’égalité, se joue le sort de la civilisation : la politique s’avère l’outil capable de refonder la démocratie.

Nora Merlin * pour El Destape

El Destape. Buenos Aires, le 28 juin 2020

Traduit de l’espagnol pour El Correo de la Diaspora par : Estelle et Carlos Debiasi

El Correo de la Diaspora. Paris, 29 juin 2020

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