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13 juin 2015

PTCI / TTIP : La Constitution des entreprises

 

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Cela s’appelle l’ISDS . C’est la clause cruciale, le cœur de l’accord de libre-échange entre les États-Unis d’Amérique et l’Union Européenne, le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (PTCI en français ; TTIP, en anglais) qui a mis le Parlement européen en alerte cette semaine. Un rapport de 100 pages devait être l’objet d’un vote mardi 9 juin 2015 à Strasbourg, qui s’il est approuvé, constituerait la feuille de route pour que le commissaire européen au Commerce Cecilia Malmstrom, poursuivre les négociations en vue du PTCIP. Mais à 17h45 en cet après-midi du mardi, le seul vote qui a eu lieu fut la suspension du vote sur le rapport. Quelque chose a fait capoter l’approbation. Les Verts et la Coalition de la Gauche ont mis leur veto, et les conservateurs et les « populaires » l’ont appuyé. Les socialistes étaient de ceux qui ont donné le là avec des hauts et des bas : après s’être opposé à la clause ISDS dans un premier temps, ils avaient fait marche arrière dans un second temps. Et dans un troisième temps, qui était mardi après-midi, quelques députés socialistes ont fait savoir qu’ils allaient à nouveau le rejeter. Le rapport n’a pas été soumis au vote, en bref, par qu’il avait un sérieux risque que le « Non » gagne.

Dans ce cas précis les acronymes ne sont pas innocents. Ils dissimulent, comme d’habitude. Des millions d’Européens, depuis leurs maisons, leur crise, leur hésitation quotidienne, ne parviennent pas à percer la signification de ces noms qui ressemblent à noms de molécules ou de minéraux, mais en vérité désignent une manœuvre politique sans précédent. Qui si elle est approuvée, reviendrait à décapiter les lois municipales, d’Etat, nationales et européennes, pour imposer d’emblée, la gouvernance des entreprises dans la zone euro. Et ce n’est pas que c’est si difficile à comprendre. C’est que le TTIP navigue par les eaux médiatiques qui le bercent, bien calé par les consignes, que payent les entreprises. Les grands médias européens sont exactement les mêmes que les médias de masse partout dans le monde. Ils ne sont pas régis par le critère du droit à l’information, mais celui du capitalisme déluré actuel, qui est la mère de tous les problèmes.

La solution proposée par la clause sur le « Mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États (ISDS » (en anglais-Investor-state dispute settlement) futurs conflits potentiels entre une entreprise et un Etat. Comme cela, comment cela se lit, et tout ce qui suit est de savoir comment cela se lit. Il faut comprendre l’ampleur de la sinistre clause ISDS pour réaliser ce qui est en jeu, qui n’est pas autre chose que la souveraineté de chaque Etat qui le signe. Parce que ... comment à l’avenir vont se résoudre les conflits entre une société transnationale et un État en vertu de cette clause ? Ah, facile, si une quelconque entreprise considère que toute loi nationale, étatique ou locale l’empêche d’obtenir les « avantages escomptés » , elle peut poursuivre cet État devant ... une cour privée composée de « trois arbitres » qui décideront si cet État doit indemniser l’entreprise ou non. A quoi renoncent les Etats signataires de cet article ? A Rien de moins que leur propre législation. Et qu’acceptent- ils en échange ? Des Tribunaux privés qui jugeront entre le privé et le public. C’est à ce niveau de perversion qu’arrive le néolibéralisme, qui n’est pas mort, ni passé de mode, ni repenti, ni réécrit. Il est toujours le même. Celui de la population à sacrifier et des territoires non viables.

Le président de l’Institut Transnational, Susan George chercheuse en sciences sociales de longue date, et président d’honneur d’Attac France -a dit lors du pré-sommet de l’UE et de la Cepal cette semaine, se référant aux frénétiques discussions qui se produisent dans UE concernant le TTIP : « Nous devons renverser l’idéologie néolibérale en appelant aux principes des droits de l’homme. Sinon, les États-Unis continueront de plonger dans la brèche ouverte par le Nafta – traité de libre échange entre les États-Unis et au Canada, et finira par la signature de deux accords similaires, l’un avec l’UE, le TTIP, et un autre avec l’Alliance Pacifique, le PPT. Ils seront donc en situation de contrôler 60 % du PIB mondial, et 75 % du commerce mondial ». À propos de TTIP et de la clause toxique, Susan George a été brutale : « c’est un horrible texte de législation. Il donnera aux entreprises la possibilité de défaire tout le travail qui a été fait en Europe pour construire un modèle social pour le bénéfice des personnes et des travailleurs ».

Pendant ce temps, Lola Sanchez, eurodéputé espagnol de Podemos, a déclaré que ceux qui s’y opposent au TTIP au Parlement européen ne doivent pas seulement donner leurs raisons à l’intérieur de l’enceinte, mais essayer d’être écoutés par les citoyens « de sorte que les gens sachent ce qui se trame ». Il est impensable, sauf sous l’« inévitable » cheval de bataille connu que pose le néolibéralisme, que des dirigeants responsables s’inclinent autant jusqu’à céder à leurs compétences législatives respectives contre la promesse d’investissement bidon qui, s’ils viennent, envoient leurs profits à leurs bases, souvent offshore.

« Nous devons l’arrêter avant qu’il avance » répète encore Lola Sanchez, « et évidemment ne pas permettre qu’il soit approuvé. Ceci est un coup d’Etat.C’est la Constitution des entreprises ». Ceci est ce qui discrètement rampe sous la décomposition souhaitée de l’Europe, parce qu’il est impossible que ceux qui ont mis le bateau vers ce cap ne soient pas conscients de ce qu’ils font, qui est finalement de préparer le paysage de charogne pour qu’arrivent les vautours déguisés ou avoués. Il convient de souligner que l’eurodéputée espagnole utilise le terme de « coup d’Etat » dans un sens nouveau, loin des irruptions militaires en Amérique Latine des années 70, plus proche de la déstabilisation institutionnelle actuelle nous connaissons ici. Mais elle nous parle également de quelque chose d’autre, d’une forme embryonnaire d’imposition de règles par les entreprises, pas par les gouvernements, mais directement envers les États. Sanchez a conclu : « Ils mènent un processus déconstituant. Nous ne disposons pas, ni la Commission européenne, ni le Parlement européen, de mandat pour déconstruire la structure juridique et l’appareil judiciaire et législatif que nous avons ».

Le projet auquel prétendent les entreprises est si terrible que les députés des nouvelles forces politiques exigent qu’on le prenne pour ce qu’il est, une nouvelle Constitution, qui pour être approuvée devrait être soumise à référendum pays par pays. Ce qui est énoncé comme du « libre-échange » est le modèle de monde unipolaire qui file entre leurs doigts.

Sandra Russo pour Página 12

Página 12. Buenos Aires, le 13 juin de 2015.

* Sandra Russo est journaliste, éditorialiste, auteur et animatrice argentine de diverses émissions de radio et télévision

Traduit de l’espagnol pour El Correo par : Estelle et Carlos Debiasi

El Correo. Paris, le 13 juin 2015.

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