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Nicolás Maduro sera élu très probablement ce dimanche président de la République Bolivarienne de Venezuela parce que l’opposition de droite et d’extrême-droite, qui n’a jamais gagné contre Hugo Chávez, n’est pas en conditions de gagner contre son fantasme qui a appuyé son héritier. Mais on peut être sûr que Washington et cette opposition n’accepteront pas le résultat des urnes, comme ils n’ont pas accepté la progression de l’influence politique de Jorge Eliécer Gaitan sur la Colombie, ni le gouvernement de Jacobo Arbenz au Guatemala, ni la majorité un péroniste dans les années 50 et 70, ni la révolution cubaine, ni le gouvernement de João Goulart au Brésil, ni celui de Salvador Allende au Chili. Là où elles ne peuvent gagner dans les urnes, ces forces cherchent toujours la sortie anticonstitutionnelle et n’hésitent pas devant les coups militaires, les génocides et les invasions ouvertes ou déguisées, comme celle de Castillo Armas, depuis le Honduras, au Guatemala, dans la baie des Cochons à Cuba, depuis le Honduras, le Nicaragua et les États-Unis.
Devant la révolution bolivarienne, dans cette période postchaviste, surgit donc l’alternative : ou approfondir politiquement et socialement le processus et les mobilisations pour consolider et faire face aux tentatives réactionnaires qui viendront, ou en revanche institutionnaliser le chavisme que Chavez se chargeait à chaque moment de modifier et même de troubler, ce qui implique tisser des liens à des secteurs de l’opposition et à Washington et maintenir les mouvements sociaux contrôlés. Dans une certain mesure, se reproduit la discussion qui a eu lieu au sein de l’Unité Populaire chilienne entre « le fait d’avancer pour consolider » et « le fait de consolider pour avancer », en négociant avec la démocratie chrétienne, en freinant les initiatives des travailleurs et en renforçant les institutions , politique qui, comme c’est connu, a favorisé le tancazo [coup de chars] et après le coup de Pinochet.
Maduro qui est un révolutionnaire mais non un socialiste puisqu’il attend tout de l’État il n’a ni le prestige ni la capacité ni le flair politique de Chavez, qui voulait construire un État moderne et en même temps combattre l’État capitaliste. De plus, au sein de l’appareil étatique et des forces armées, il y a des positions bolivariennes et chavistes, mais conservatrices, et il y a des forces qui cherchent à diminuer la tension en prenant contact avec l’ennemi et jusqu’à lui faisant des concessions dans le cadre du capitalisme d’État vénézuélien. Le Parti Socialiste Unifié du Venezuela n’est pas, de plus, un parti socialiste mais un appareil électoral, entendant par socialisme une série de mesures démocratiques et redistributrices qui laissent intact le système et n’essaie pas de construire le socialisme en suivant un programme de transformations décidées par les travailleurs et obtenues grâce à la participation décisive et au pouvoir des mêmes dans les entreprises et dans le territoire. Dans la direction de l’appareil étatique chaviste, enfin, abondent ceux qui veulent subordonner les germes de pouvoir populaire, comme les communautés ou les missions, aux gouverneurs ou aux forces armées (et ils coupent ainsi l’afflux de sève populaire à l’appareil de la révolution bolivarienne, en laissant « aux bases » un rôle passif de manifestants ou votants.
Telles sont, les fissures que l’opposition « sordide » essaieront d’utiliser dans leurs plans putschistes et comme faisant partie de la préparation des mêmes : ils chercheront à entrer dans les secteurs « mous », d’établir des liens avec la bolibourgeoisie et avec les conservateurs et bureaucrates, comme l’a remarqué Hugo Chavez, qui les voyait comme des blocages à l’avancée du processus et comme des mines potentielles sur le chemin de celui-ci. Le coup qu’ils préparent ne consistera pas seulement en une conspiration civilo-militaire préparée par une campagne de presse à un niveau national et mondial, ni dans l’achat d’un secteur réactionnaire des forces armées. Ce sera avant tout une action politique. Une campagne d’intelligence et de déstabilisation économique, de division de l’appareil chaviste, d’induction d’une partie du même jusqu’à geler sa force réelle, qui est la conscience et la participation des masses.
Dans l’immédiat, l’économie du Venezuela, qui dépend complètement de la rente pétrolière, ne présente pas de graves problèmes et la fuite des capitaux pourra être contrôlée en grande partie puisque l’immense majorité des devises proviennent de PDVSA, qui est étatique. Un secteur conservateur du gouvernement se fera écho de la campagne chauvine de la droite et pensera qu’il convient de se renforcer en réduisant les apports vénézuéliens à Cuba et l’ALBA et les efforts en faveur de l’intégration latinoaméricaine pour distribuer, croyant que « faut pouvoir mettre de l’ordre » avant tout grâce à l’appareil étatique. Cela pourrait le mener à voir la délinquance comme un problème purement policier et répressif et à considérer les grèves et les revendications ouvrières et les germes du pouvoir populaire comme du désordre et du gaspillage. L’autre, au contraire, plus chaviste et plus radical, insistera sur les plans du Commandant disparu. La lutte entre ceux-ci sera sourde et sera couverte par des déclarations chavistes. Le déterminant, pour diviser les eaux, cependant, ne sera pas la rhétorique chaviste (la bureaucratie et Staline déclamaient leur fidélité au léninisme tandis qu’ils l’enterraient) mais les mesures qu’ils proposent et, fondamentalement, leur appui à la jeunesse, aux femmes, à l’auto organisation des travailleurs, au contrôle de ceux-ci sur le territoire, à la délinquance locale et ses complices bureaucratiques, les appareils étatiques répressifs ou corruptibles.
La jeunesse, les femmes, le peuple qui auront voté pour Maduro ne peuvent pas déléguer le pouvoir à celui-ci, quelle que soit sa loyauté à Chavez et sa sincérité. Quand les ouvriers ont pris d’assaut les armureries de Buenos Aires et ont écrasé un coup sanglant, Perón est sorti au balcon du palais et a demandé : « les mecs, laisse-moi jouer ce match ! » Des mois après il fuyait devant un nouveau coup d’Etat. Moralité : Si l’on ne veut pas perdre le match il ne faut pas laisser le Directeur Technique jouer seul.
Guillermo Almeyra pour La Jornada, Mexique.
Traduit de l’espagnol pour El Correo par : Estelle et Carlos Debiasi.
El Correo. Paris, le 14 avril 2013.
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* Guillermo Almeyra Historien, chercheur et journaliste. Docteur en Sciences Politiques (Univ. Paris VIII), professeur-chercheur de l’Université Autonome Métropolitaine, unité Xochimilco, de Mexico, professeur de Politique Contemporaine de la Faculté de Sciences Politiques et Sociales de l’Université Nationale Autonome de México. Domaine de recherche : mouvements sociaux, mondialisation. Journaliste à La Jornada, Mexique. |