recherche

Accueil > Réflexions et travaux > Les mouvements sociaux latinoaméricains et leur alternative

13 mai 2013

Les mouvements sociaux latinoaméricains et leur alternative

par Guillermo Almeyra *

 

Toutes les versions de cet article : [Español] [français]

Par définition, les mouvements sociaux ont une finalité concrète et nationale (droits démocratiques, environnementaux, humains, défense des intérêts des paysans ou des ouvriers, revendications étudiantes, lutte contre la discrimination des indigènes, les différences de sexe ou des inégalités entre les genres). C’est en même temps la base de leur force de rassemblement et leur limite, puisque pas tous les travailleurs et les opprimés partagent chacune de ces finalités et, d’autre part, la lutte par chacune d’elles se fait dans le cadre du système social capitaliste qui, sur chaque champ d’activité et sur le terrain même de la survie de l’espèce humaine et de la Nature, est destructeur, prédateur, injuste, inhumain, assassin.

C’est pourquoi, bien qu’ils mènent des luttes braves, héroïques, constantes, les mouvements sociaux bénéficient seulement d’un appui partiel, ils n’arrivent pas à faire bouger tous leurs alliés potentiels et on ne peut pas attendre de ces mouvements une alternative à un système qui est international, mondial.

Ils peuvent, cependant, confluer, s’unir avec d’autres luttes et, depuis le terrain limité du local et du national, irradier , s’étendre, avoir une influence à distance sur d’autres continents comme c’est arrivé en 68 ou avec la lutte des Européens « indignés » … à condition d’avoir un axe qui puisse être reconnu mondialement comme commun et par conséquent d’être capable de socialiser la lutte et de réveiller sympathie, solidarité active, donner de l’espoir mobilisateur et soif de créer « des milliers du Viêt-Nam ». Pour cela, ils ne peuvent pas se limiter de combattre une conséquence ou une politique du capitalisme, mais doivent remettre en question le capitalisme lui-même. En un mot, ils doivent être politiques et anticapitalistes non seulement dans leurs déclarations sur un encore indéfini socialisme du futur mais, surtout, dans leur capacité d’unir contre ce dernier les diverses victimes du capitalisme au dessus de leurs différences de toute espèce et malgré celles-ci, en transformant en axe de leurs luttes le combat contre le pouvoir financier, la domination impériale, le pouvoir étatique des classes dominantes, leur vision du monde et de leur valeurs déformantes, conservateurs, oppressifs, néfastes et insoutenables. Parce que sans une éducation politique des majorités opprimées et exploitées, sans une bataille pour les idées, une formation dans la solidarité et dans l’internationalisme, les majorités pauvres et travailleuses seront toujours cela, seulement une majorité, et le 1 pour cent continuera à diriger les 99 %.

Au Mexique les instituteurs livrent une juste et dure lutte pour la défense de leurs conquêtes sociales, parce que la soi-disant réforme de l’éducation est en réalité une lutte pour empirer les conditions de travail et pour réduire les résistances à la privatisation de l’enseignement. Ils expriment, surtout les instituteurs ruraux, aussi la voix des paysans et des indigènes, comme les grèves générales continues des instituteurs argentins dans les provinces représentent aussi la population pauvre encore désorganisée. Mais les uns et les autres doivent être soutenus de toute urgence par d’autres secteurs syndicaux et, surtout, par des hommes politiques, comme les Mexicains Morena ou l’autre campagne, ou la gauche politique et sociale argentine qui ne partagent pas cette lutte des instituteurs pour construire un axe de l’action politique nationale solidaire et mobilisatrice et pour discuter les vraies priorités budgétaires et politiques, l’injustice du système, des bases pour un programme alternatif conjoint.

Du Mexique jusqu’à l’extrémité sud du continent, les luttes sont aujourd’hui dures, mais ponctuelles, isolées dans l’espace et dans le temps, et les mouvements sociaux n’avancent pas, ce qui permet aux gouvernements de porter des coups aux plus avancés du mouvement ouvrier (par exemple, électriciens, mineurs et instituteurs au Mexique), et aux gouvernements soi-disant « progressistes » de réprimer violemment les luttes locales sur la défense de l’environnement contre l’industrie minière (comme dans plusieurs provinces argentines) ou les mouvements des paysans-indigènes (comme en Bolivie), et aux autres gouvernements, comme le panaméen, le Colombien, le Péruvien ou le Chilien, aussi de réprimer l’un après l’autre, séparément, les mouvements indigènes qui luttent pour l’eau et leur territoire, contre la grande industrie minière ou pour leurs terres et ce mouvement ouvrier ou étudiant pour des augmentations salariales et pour la gratuité d’un enseignement public et gratuit, comme au Chili, aussi puissants et persistants qu’ils soient.

Le rejet de la putréfaction des partis et des institutions politiques capitalistes a donné prise à un reflet négatif et primitif, la dénommée « duplicité » néo-anarchiste (mais, les vrais anarchistes, en Espagne, par exemple, étaient politiques, défendaient la République, étaient antifranquistes et membres d’une gauche plurielle et ils donnaient une grande importance à l’étude, à la théorie et à la solidarité de classe sur le terrain national et international). On a besoin en revanche d’une politique anticapitaliste, d’unir politiquement les diverses rébellions autour d’une alternative anti systémique, de construire partout des mouvements-partis démocratiques et pluralistes indépendants du capitalisme et s’appuyant sur des organisations massives. Parce que la voie de la subordination à l’appareil étatique capitaliste, comme c’est le cas avec les mouvements sociaux qui forment le MAS bolivien ou, en partie, avec les mouvements sociaux vénézuéliens ou équatoriens, est la voie de la paralysie et de la bureaucratisation. Je reviendrai sur ce sujet parce qu’il faut apprendre des expériences vénézuéliennes et boliviennes, jusqu’à présent les plus importantes dans notre continent du point de vue de la relation entre les mouvements sociaux, les gouvernements « progressistes » et l’État capitaliste que ceux-ci administrent et qui doit précisément être remplacé par pouvoirs populaires pour échapper à l’extractivisme et aux s politiques néolibérales actuelles que tous les gouvernements latinoaméricains appliquent malgré leurs différences.

Guillermo Almeyra pour La Jornada de México

La Jornada. Mexique, le 12 mai 2013.

Traduit de l’espagnol pour El Correo par : Estelle et Carlos Debiasi

El Correo. Paris, le 13 mai 2013.

Contrat Creative Commons
Cette création par http://www.elcorreo.eu.org est mise à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Paternité - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 3.0 Unported.

*Guillermo Almeyra* Historien, chercheur et journaliste. Docteur en Sciences Politiques (Univ. Paris VIII), professeur-chercheur de l’Université Autonome Métropolitaine, unité Xochimilco, de Mexico, professeur de Politique Contemporaine de la Faculté de Sciences Politiques et Sociales de l’Université Nationale Autonome de México. Domaine de recherche : mouvements sociaux, mondialisation. Journaliste à La Jornada, Mexique.

Retour en haut de la page

El Correo

|

Patte blanche

|

Plan du site